Avocat notamment pour la défense du terroriste Carlos ou de Jean-Claude Romand (au passage, lisez le brillant livre d’Emmanuel Carrère, L’Adversaire), André Buffard s’essaye à la fiction avec le roman Le jeu de la défense, qui a été retenu pour le Prix du polar.
Le jeu de la défense est, à ce stade, le texte sur lequel j’ai le plus indiqué de renvois au cours de ma lecture, ce qui n’est pas bon signe…
L’histoire tourne autour du meurtre d’une femme, Ghislaine Labreuil, jeune magistrate, meurtre dont son amant est accusé. Et, logiquement compte tenu du métier de l’auteur, le protagoniste est l’avocat chargé de la défense. L’idée est tentante ; un polar français dans le milieu de la justice (chose rare), écrit par un spécialiste de ce domaine, cela suppose un certain nombre de qualités et cela créé beaucoup d’attentes.
Le défaut majeur de Buffard, ce sont ses personnages. Aucun ne parvient à créer un semblant d’empathie, et son protagoniste encore moins que les autres, ce qui fait que le lecteur ne s’identifie pas à eux, qu’il reste méfiant, distant, étranger, et du même coup reste assez insensible à l’intrigue et à ses enjeux.
En l’occurrence, les personnages de Buffard sont tous des obsédés sexuels. La moindre femme est traitée comme un objet, et la majorité d’entre elles ne pensent d’ailleurs leurs rapports aux hommes qu’à travers le sexe. Du sexe, du cul, de la poitrine, le tout accommodé d’une mise en scène banale empruntée à du roman érotique sans saveur. A ce rythme, avec tous ces personnages qui ne pensent qu’avec leur trique, c’est André Buffard lui-même qu’on suppose être un beauf. A la chaîne, j’ai noté des scènes sexuelles minables ou des réflexions perverses p. 17, 21, 38, 42, 50, 56, 61, 77, 82, 110 (ouf, trente pages d’accalmie !), 129, 176, 184, 276 (ah, ça se calme…?), 325… et j’en oublie sûrement. Si encore cela ne concernait qu’une ou deux figures à travers le récit, soit. Mais rien ne justifie cette obsession continue de l’ensemble des personnages.
En prime, en plus de reluquer la moindre femme (avec pour adjectif récurrent et presque unique « belle » – pire que Garou !), l’avocat au cœur de l’histoire est souvent hautain, il s’endort devant le match à la télé (le beauf, le vrai ! p. 134), suit un régime constitué principalement de truffes (à plus de trois reprises, notamment p. 274 et 278) et d’alcools indiqués dans le détail pour appuyer sa suffisance.
Et, grave problème avec le protagoniste, il est plus stupide que le lecteur, ce qui n’aide pas à nourrir l’intérêt qu’on lui porte : en particulier dans les dernières pages (p. 378 en particulier) et fait preuve d’un racisme médiocre (ce qui laisse penser, avec quelques remarques politiques, que la balance penche nettement à droite chez Buffard, et pas seulement chez ses personnages) : « On vit une époque formidable. Dans un coin aussi reculé, dans un patelin perdu aux confins de l’Ardèche et de la Haute-Loire, c’est un curé black qui dit la messe pour les enterrements. » (p. 403)
Autre travers dans Le jeu de la défense, la narration d’André Buffard n’est pas bonne. Régulièrement, il fait des choix surprenants qu’il ne reproduit pas (reproche que je faisais également à Mo Malo) et qui se retrouvent par conséquent injustifiés. L’auteur mélange régulièrement les temps de la narration, si bien qu’on ne sait plus par moments s’il écrit au passé simple/imparfait, ou au présent/passé composé (entre les pages 91 et 95 par exemple). Il enchaîne subitement dans un paragraphe entier des « il » en début de phrase, reproduisant plus d’une dizaine de fois la même construction de phrase, ce qui produit un effet extrêmement déplaisant à la lecture (p. 98).
La rédaction est ratée par moments, comme p. 108, p. 209, p. 221 (« et pourquoi, et pourquoi si longtemps après ? »), p. 234 (« j’étais hyperfier »), p. 282, etc – des transitions ratées, des temps lourds, des tournures malvenues…
Il brise le quatrième mur (ou c’est du moins la sensation donnée) de façon très lourde, « Quand la question de l’innocence ou de la culpabilité se pose, on bascule, en plus, dans le roman policier. J’étais donc pressé de découvrir la procédure. » (p. 137), et de remettre ça une page plus loin : « J’ai donc attaqué la lecture comme on dissèque un polar : les faits, les constatations matérielles, les personnages, les suspects, les charges, les pistes. », et encore plus loin, lorsque le mot « polar » est prononcé par deux personnages distincts (p. 174). Cela ne fait que repousser le lecteur hors du récit.
Dernier écueil à noter, des coquilles récurrentes : « Celui[-ci] » (p. 236), « OK Cor[r]al » (p. 253), « un bruit différen[t] » (p. 258), « dans les vap[e]s » (p. 296).
Quand on lit un type qui prétend être un grand avocat, on s’attend à un minimum de style, une profondeur d’analyse. En réalité, comme avec Lyautey lorsqu’il décrit la diplomatie française, le résultat est assez plat, l’intrigue convenue, le livre globalement mauvais. Reste une enquête ponctuée de quelques rebondissements dans un univers rarement exploité par la littérature policière française. Mais le livre ne satisfait pas les attentes du lecteur et, plus que tout, les personnages et l’ambiance de Buffard (et, encore une fois, cela laisse supposer que c’est le cas de Buffard lui-même) sont rebutants, des portraits de beaufs, un univers de maniaques…
Ma plus mauvaise lecture parmi les six premiers livres de la sélection des éditions Points.