Le storytelling peut aider les managers après un conflit

Publié le 29 août 2019 par Dangelsteph

Après un conflit avec un salarié membre de son équipe, un manager peut utiliser le storytelling pour accompagner la réintégration de son collaborateur.

Cet article m'a été inspiré par les travaux de John Winslade de la California State University. John Winslade est l'un des principaux chercheurs qui travaillent sur la thématique de l'approche narrative en psychothérapie. Ici, j'adapte donc des principes prévus pour d'autres cas que les situations managériales. Pour ce travail précis, John Winslade a été assisté par Michael Williams de l'Edgewater College en Nouvelle-Zélande. Leurs travaux sont tous récents : ils ont été soumis en mai 2019 pour parution dans la revue scientifique Narrative and Conflict.

De la réintégration d'un étudiant perturbateur au travail de management en entreprise

John Winslade a travaillé sur la réintégration en classe d'étudiants renvoyés temporairement. Il est parti du principe que le retour de l'étudiant se fait comme si rien ne s'était passé. On présume qu'il aura retenu quelque chose de cette expérience, pour un engagement dans une nouvelle voie, plus positive, mais sans s'en assurer. Franchement, pour en avoir été témoin moi-même, cela se passe très souvent de la même manière dans les entreprises ou autres types d'organisations, au retour d'un collaborateur mis à pied.

La suite des événements est grandement laissée au gré du hasard. Et une classe ou une organisation peut être minée par des non-dits, des frustrations et des ressentiments intériorisés. Un mauvais climat de travail et des conséquences sur la performance collective sur la durée peuvent en découler.

La méthode proposée par John Winslade pour une réintégration accompagnée par du storytelling :

Pour John Winslade, et je partage son opinion, un processus narratif doit être mis en place lors du retour de la personne. Attention, il ne dit pas (et je ne dis pas non plus), qu'il faut accueillir le "revenant" en lui racontant une histoire.

Il parle de conversation de rentrée (ou, si on traduit littéralement, de "re-entrée" (Winslade utilise le mot "re-entry") avec une médiatisation exercée. Dans l'idée de Winslade et dans le contexte scolaire, le médiateur est un conseiller de l'établissement (du genre conseiller principal d'éducation comme on en trouve dans notre système français). Dans une organisation non éducative, il peut s'agir d'un cadre de la direction des ressources humaines, pas du manager protagoniste de "l'affaire". Dans mon adaptation de la solution de Winslade à l'univers des entreprises, j'évite volontairement d'impliquer directement le manager dans le processus. Il y a trop de risques de ne pas arriver à prendre une distance suffisante par rapport aux problèmes initiaux.

Comment ce processus narratif fonctionne-t-il ?

L'objectif de cette démarche n'est pas de ressasser des griefs à l'égard de la personne en tort, mais d'essayer de construire une nouvelle histoire avec elle, faite d'espoir, positive donc. Dans le monde de l'entreprise, c'est assez contre-intuitif, car on a plutôt tendance à rappeler sans cesse ce qui ne va ou n'allait pas. Et pas seulement lors du retour d'un collaborateur mis à pied : les entretiens d'évaluation ordinaires sont très orientés dans ce sens, eux aussi.

Les principes actifs d'une conversation narrative de re-entrée dans un poste de travail :


    La prise de conscience par le collaborateur de retour que ses actions font partie d'un ensemble plus grand impliquant et impactant d'autres personnes : c'est une forme d'externalisation de la situation. L'idée n'est pas de se servir de cet entretien comme d'une séance de rappel du règlement intérieur de l'entreprise. La personne n'est pas le problème, le problème est le problème
Des questions sur les forces du collaborateur
    Ne pas blâmer le collaborateur : il a déjà eu sa "punition". Bien entendu, il ne s'agit pas non plus de le décharger de responsabilités qui sont les siennes. Cependant, l'objectif ici est de réintégrer, pas de punir
    Chercher à savoir ce que pense le collaborateur, non pas de son comportement passé, mais des nouvelles pistes de relations entre lui (ou elle) et l'organisation qui peuvent s'ouvrir

Les questions qui peuvent alimenter la conversation narrative :

Et non pas sur ses failles ! Exemples :

Que pensez-vous que je respecte le plus chez vous ?

Des questions sur les événements qui se sont produits
Des questions sur les effets de la suspension

Qu'est-ce qui vous intéresse dans la vie ? Pour quoi êtes-vous connu(e) ?

Des questions pour générer du sens

Qu'est-ce que vos amis, votre famille, vos collègues disent de vous ?

Bien entendu, en mettant cela en contraste avec l'objet de la suspension du collaborateur : il ne s'agit pas de faire comme si rien ne s'était passé !

L'objectif est de décrire ce qui s'est passé, et comment la personne s'est retrouvée embarquée dans ce mauvais plan. Egalement : comment il ou elle a vécu sa suspension. Et des questions sur ses réactions si les événements étaient rendus publics auprès de tous les collaborateurs (ce n'est pas une menace : c'est pour écouter le collaborateur).

Il s'agit de "cartographier" les effets du problème. c'est la suspension qui est traitée comme le problème, pas le comportement du collaborateur qui en a été la cause (c'est tout le sens de l'externalisation dont je parlais plus haut).

Des séries de questions précédentes, le collaborateur peut à présent retirer du sens. Il ou elle peut donner du sens à ses intentions futures. L'hypothèse est évidemment que l'on a affaire à une personne sincère, qui a un vrai désir de changement, d'engagement dans une nouvelle histoire. Et, si possible : que cette histoire n'est pas uniquement centrée sur soi, personnelle, mais au service d'un idéal, ou au minimum d'un objectif plus grand.

Le plan pour la suite

Quelle nouvelle histoire va pouvoir s'engager entre ce collaborateur et l'organisation dans laquelle il ou elle travaille ? On est toujours dans l'après-problème qui est bien la suspension du collaborateur, ne l'oublions pas.

C'est la construction d'une contre-histoire, par rapport à l'histoire négative dans laquelle était engagée la personne.

Pour cela, une équipe support peut être constituée, qui va aider le collaborateur dans sa construction d'une nouvelle histoire. Ce n'est pas une équipe de soutien psychologique formalisée qui est nécessaire. C'est bien plus l'identification des personnes de l'entourage de la personne (collègues...) qui pourront être un soutien, et aussi de la manière dont leur aide pourra se manifester.

Le bilan de la conversation

Comment avez-vous vécu notre conversation ?

Qu'est-ce qui est important et que je n'aurais pas compris ?

Est-ce qu'il y a quelque chose d'important que les autres ne perçoivent pas chez vous ?

Il y a une part de questions rhétoriques dans ces questions finales, pour bien insister sur des aspects positifs clés du collaborateur.

Le processus se termine idéalement par une note écrite par l'interviewer au manager de la personne reçue en entretien, récapitulant ce qui a été dit.

Tout ce processus est inspiré de ce que l'on appelle l'approche narrative, utilisée en psychothérapie, et que j'applique moi-même dans ma pratique d'audit en storytelling.