Passons sur le fait que Victoria Mas est la fille de la
chanteuse Jeanne. Cela n’a pas dû influencer le jury du Prix Première Plume que
décerne le Furet du Nord, cette grande librairie qui a gagné du terrain en Belgique.
Le bal des folles, premier roman de
Victoria Mas, est le roman primé cette année, succédant à La vraie vie, d’Adeline Dieudonné. La primo-romancière double la mise avec le Prix Stanislas qui lui sera remis à Nancy le 14 septembre, à l'occasion du Livre sur la Place.
En 1885, la Salpêtrière est un lieu maudit où s’entassent
des folles, oui, mais aussi et surtout des femmes dont la famille ou la société
ne veut plus, pour de bonnes ou, plus souvent, de mauvaises raisons. Eugénie,
par exemple, fille de bonne famille où l’on est notaire de père en fils, souffre
d’être considérée comme quantité négligeable – juste bonne à marier et surtout
pas à manifester le goût de la conversation à fleurets non mouchetés, de la
lecture et de la pensée.
En outre, et c’est là son principal défaut après celui d’être
du sexe féminin, elle est dotée d’un pouvoir singulier : elle voit les
esprits de certains morts, entend ce qu’ils lui disent, engage avec eux des
relations qu’elle n’a pas choisies mais qui s’imposent à elle tout
naturellement. Confiante dans l’apparente bienveillance de sa grand-mère, elle
lui a confié qu’elle possédait ce don parfois encombrant – et la grand-mère,
révélant son véritable visage, s’est empressée de la dénoncer à son fils, le
père d’Eugénie. Direction la Salpêtrière, chez les folles !
Elle semble, dans une certaine mesure, y avoir toute sa
place : sa révolte contre les idées reçues, sa volonté d’être une personne
à part entière bien que femme la désignent à l’opprobre familial et collectif.
Pendant ce temps, Charcot multiplie ses expériences à l’aide
de l’hypnose. Il maîtrise la méthode – jusqu’à un certain point, car nous
assisterons à un accident en même temps que l’assemblée qui se presse aux
séances dans l’espoir, souvent comblé, d’assister à d’excitantes scènes d’hystérie.
Geneviève, attirée par la médecine depuis son plus jeune âge
– au contraire de sa sœur Blandine, trop tôt disparue, qui avait voué sa vie à
Dieu – est d’une aide précieuse aux recherches de Charcot et, par sa présence
et sa constance d’humeur, rassure les patientes. Mais la rencontre avec Eugénie
bouleverse tout ce qu’elle croyait, et jusqu’aux principes de l’hôpital
auxquels elle adhérait de tout son corps et de toute son âme. Elle entrevoit la
possibilité d’une vie spirituelle telle qu’elle est décrite par Allan Kardec
dans Le Livre des Esprits, lecture
sulfureuse s’il en est.
Mais, après tout, si l’Église croit que la Vierge est
apparue à Lourdes, pourquoi d’autres défunts ne se manifesteraient-ils pas aux
vivants ?
Sur la crête qui sépare le
rationnel de l’irrationnel, la romancière tient un équilibre précaire – le lecteur
qui aurait de moindres talents d’équilibriste risque cependant de choir en
attendant le clou du spectacle, ce bal des folles promis pour la mi-carême et
qui est aussi attendu par les internées que par le public qui s’y pressera en
quête de sensations fortes.