Quand on tombe sur une entreprise, c'est un peu comme quand on croise un être humain. On a tendance à s'en faire une opinion assez tranchée très rapidement. Parfois c'est juste, mais parfois on est complètement à côté de la plaque. Un des premiers aspects qui pose problème, c'est sa réputation. Evidemment, plus la société est grosse, plus on est pollué par l'image qu'elle dégage. Actuellement par exemple, tout le monde n'a d'yeux que pour Amazon. Alors certes, la croissance des revenus, des bénéfices et du cours de cette firme est impressionnante, mais qu'est-ce qui nous garantit que ce sera encore le cas dans le futur ? Rien. Les bénéfices sont par nature inconstants, les gagnants d'aujourd'hui sont très souvent les perdants de demain et vice-versa. Malgré cela, tout le monde se rue sur AMZN et n'hésite pas à payer 75 fois les bénéfices, en pleine euphorie.
Il est difficile de garder la tête froide. Pour ceci il faut s'appuyer sur quelques éléments factuels qui doivent nous permettre de remettre en question la pensée dominante et éviter les pièges qui se mettent sur notre route. Dans un monde idéal, il faudrait parcourir de A à Z les rapports financiers, regarder chaque valeur, son évolution, lire les notes de bas de page, etc. On peut néanmoins déjà s'éviter beaucoup de mauvaises surprises en ayant en ligne de mire trois points cruciaux :
- Le prix d'achat
- Les liquidités et leurs flux
- Le retour aux actionnaires (en fonction des fondamentaux)
Le prix d'achat
On ne va pas refaire ici toute l'explication sur les ratios de valorisation. Peu importe la façon d'appréhender le prix, l'important c'est d'acheter avec une "marge de sécurité", selon les principes chers à B. Graham. Mettre le prix pour une action sous prétexte qu'elle a des perspectives futures incroyables, c'est de la pure spéculation. Ce qui compte c'est ce qui existe aujourd'hui. Les faits. Payer 75 fois les bénéfices d'Amazon alors que ceux de Bridgestone par exemple peuvent être obtenus pour plus de 7 fois moins, c'est ouvrir un pari sur le futur que seuls des joueurs compulsifs peuvent faire, pas des investisseurs. En achetant bon marché, les chances de gain sont importantes, tout comme le risque de perte est énorme si on achète trop cher. Cela paraît être une évidence, mais vu la progression de cours de certains titres, notamment américains, depuis quelques années, on dirait que le monde financier tout entier souffre d'amnésie.
Les liquidités et leurs flux
Une entreprise qui ne génère pas d'argent ne peut pas payer ses factures, ses impôts et ses salariés. Elle va droit à la faillite. C'est aussi simple que cela. Si le passif à court terme devient supérieur aux actifs courants, il y a potentiellement un problème. L'évolution des flux de trésorerie libre (Free Cash Flow) est autre point crucial. Comme les bénéfices, le FCF est inconstant et peut donc fluctuer assez fortement d'une année à l'autre. Néanmoins, sur le long terme, il doit être positif et se répercuter de manière favorable sur les réserves de cash. Une entreprise qui ne parvient pas à dégager de FCF de manière régulière ne peut pas payer durablement de dividende, ne peut pas racheter d'actions et ne peut pas investir dans son propre développement. Autrement dit, elle ne peut pas récompenser ses actionnaires. Les bénéfices sont sujets à des manipulations comptables. Le FCF nettement moins. Plutôt que de regarder les premiers, souciez-vous en premier du second. Si les deux n'évoluent pas dans le même sens c'est qu'il y a un problème. Une entreprise dont le bénéfice croît alors que le FCF est à la rue fait quelque chose de faux. En avril 2018 par exemple, j'ai décidé de me séparer d'un de mes titre fétiches, Bell Food (BELL:VTX), parce que les liquidités de l'exercice précédent me posaient problème (alors même que le bénéfice avait progressé). Mes questions auprès du service des actionnaires n'avaient pu obtenir aucun renseignement susceptible de lever mes doutes. Le cours de l'entreprise avait de plus déjà commencé à diminuer sensiblement, alors qu'il ne faisait que progresser jusque-là. Depuis, le titre a perdu presque 20%, les chiffres de l'année 2018 (publiés un an après ma vente) reportant une baisse du bénéfice de 16.5%. Ce n'est là qu'un petit exemple, car parfois le temps de réaction entre le FCF et le bénéfice est bien plus long. Comme dit le dicton "plus c'est long, plus c'est bon". Sauf si on est actionnaire !
Le retour aux actionnaires (en fonction des fondamentaux)
Historiquement parlant, près de la moitié des gains boursiers sont issus des dividendes. Ces derniers sont la preuve vivante pour l'actionnaire que les bénéfices de l'entreprise sont bien réels. Enfin, dans la plupart des cas (on verra ce point plus loin). De plus, les entreprises qui sont parvenues à augmenter leur dividende durant plusieurs décennies ont fait la preuve de la viabilité et de la solidité de leur modèle d'affaires, malgré toutes les crises possibles et imaginables auxquelles elles ont été confrontées. Faire un résultat c'est bien, le perpétuer sur le long terme et le traduire pour ses propriétaires c'est encore mieux. Ceci exclut de facto la plupart les startups et les éternelles promesses d'Elon Musk. Cela exclut aussi les entreprises trop cycliques ou qui végètent depuis pas mal de temps. Pour payer des dividendes, il faut des reins solides, et donc du FCF comme nous l'avons vu ci-dessus.
Attention néanmoins aux entreprises qui paient de juteux dividendes. Très souvent ce n'est malheureusement pas le signe qu'elle est bon marché, mais plutôt qu'elle dilapide son bénéfice. Prenez en compte l'équation : Ratio de distribution = PER x rendement en dividende. Si le rendement est de 7%, même avec un PER de 15 le bénéfice n'arriverait déjà plus à couvrir le dividende (payout ratio de 105%). Si vous achetez un titre qui paie un rendement pareil, vous avez toutes les chances du monde pour que celui-ci soit réduit, voire carrément supprimé, l'année suivante. Sans compter que le cours aura suivi la même direction... Veillez à rester au-dessous d'un ratio de distribution de 70%. Mais ne regardez pas seulement les bénéfices... rappelez-vous ce que nous avons dit ci-dessus à ce propos. Surveillez aussi le ratio de distribution par rapport au Free Cash Flow, surtout si celui-ci ne suit pas la même tendance que les bénéfices. Pas de liquidités = pas de dividende ! En tout cas pas sur le long terme.
Typiquement, le ratio de distribution de General Motors par rapport aux bénéfices est très bon, avec seulement 25%. Cependant, cela fait des années que GM ne parvient pas à dégager de FCF positif, à cause de dépenses en capital importantes. Alors comment se fait-il me direz-vous que ce géant américain de l'automobile parvienne malgré tout à payer encore un dividende ? Le diable se cache dans les détails. La première chose qui nous doit nous faire dresser l'oreille c'est le dividende qui n'a plus progressé depuis 2016. Une stagnation des distributions est souvent un bon signal d'alarme. L'autre point, c'est l'endettement, qui a représenté ces cinq dernières années un rendement annuel moyen négatif de -23.75% pour l'actionnaire. Voilà qui relativise la générosité actuelle du dividende. Pire, cela signifie que GM finance ses distributions aux actionnaires en s'endettant.
Une entreprise peut donc payer un dividende généreux, même plusieurs années, alors même qu'elle ne dégage pas de liquidités. Elle peut le faire en ponctionnant sur ses réserves, en s'endettant ou en émettant des actions. Bien entendu, à long terme, c'est une stratégie vouée à l'échec. Méfiez-vous donc firmes qui :
- paient un dividende trop généreux par rapport au marché
- affichent un FCF négatif depuis plusieurs années
- paient des distributions supérieures au FCF sur le long terme
- voient leurs réserves de cash fondre
- possèdent des passifs à court terme supérieurs aux actif à court terme
- présentent un endettement en progression sur plusieurs années
- ont tendance à émettre de nouvelles actions sur la durée
- font stagner, diminuent ou coupent leurs dividendes
En ayant en ligne de mire ces questions, vous vous éviterez bien des tracas.