Phet commence à peindre en 1989 suite aux pièces et pièces qu’il voit dans la rue. Amok 156, Dejoe, Phos et Odem figurent parmi les artistes qui l’inspirent. Il commence par écrire Kugel et change pour Phet en 1991. Ce nouveau pseudonyme est inspiré d’une réplique de Jackie Chan. Son père étant fan de kung fu, ils regardaient certains soirs des films d’arts martiaux. Phet étudie pendant trois ans et obtient un diplôme de peintre-décorateur en 1994. Après avoir été décorateur pendant 22 ans il s’initie au tatouage et ouvre en 2018 un salon de tatouage dans le quartier de Wedding à Berlin. Phet maîtrise la réalisation de personnages, décors et lettrages, mais sa recherche s’épanouie réellement dans le travail de la lettre.
La lettre ne se situe ni dans la figuration, ni dans l’abstraction, elle est entre les deux. Le writing propose des images d’un nouveau genre : une représentation par l’abstraction de l’alphabet. Lorsque le writer crée des lettres, il crée à partir d’une base calligraphique simple une proposition de calligraphie plus complexe. Il cherche de nouvelles formes comportant mouvement, rythme, cohérence. Cette opération de l’esprit appel à ses aptitudes de logique, d’observation, de réflexion, de déduction, d’invention afin de pouvoir créer des lettres harmonieuses revisitées par cette technique. Créer des lettres pour le peintre est comme résoudre un problème mathématique. Il dispose de formes et couleurs tandis que le mathématicien a des chiffres et des opérateurs, et comme le mathématicien, il doit usiter de ces éléments pour créer un ensemble cohérent, harmonieux. Il manie les formes et les couleurs pour trouver une juste harmonie, comme un mathématicien utilise les chiffres et les opérateurs pour créer un ensemble cohérent.
Phet invente des lettres où la ligne de l’écriture s’étire en surface. Ses lettres entraînent le regard à circuler du long de leurs lignes de l’intérieur vers l’extérieur et de l’extérieur vers l’intérieur. La surface est rythmée par une structure dynamique composée d’une alternance de lignes droites, rondes et pointes flottant entre vides et pleins, invoquant : force, fluidité, légèreté et dynamique. Phet hybride ces éléments pour créer des paraboles rendant la pointe plus délicate, la parabole plus gracieuse, évoquant une sensation de fragilité forte. Les droites courbées convoquent une sensation de douce stabilité. Il réinvente des éléments propres au writing : une poignée prend l’inflexion d’une courbe en cloche, il cambre et recourbe une flèche, ajoute un simulacre d’apostrophe triangulaire étirée d’un apex incurvé, ses volutes finissent des polygones convexes, et le bout de ses lettres s’échappent en arabesques. Avec parcimonie il ajoute aux surfaces internes et externes des lettres des éléments chromatiques qu’il revisite (effet chrome, zébrures, fumée, nuages, éclats). Les structures que créé Phet bénéficient d’une palette originale (gris, vert d’eau et rose ; beige, orange et bleu par exemple) où dégradés et aplats se juxtaposent. Ces éléments constituent son alphabet personnel dont il se sert pour exprimer des sensations faisant osciller son éventail entre joie et peine, folie et sagesse, colère et sagesse.
La maîtrise de l’aérosol qu’il pratique depuis 1989 offre à son style précision et assurance. Les années d’expérience de Phet octroient une liberté à sa peinture qui dépasse la technique (quasiment depuis ses débuts dans le writing). Le style de Phet est parfaitement identifiable et sa complexité rendent rend son style difficilement copiable.
Le traité de peinture de Léonard de Vinci nous enseigne que le mouvement donne vie aux figures. Cela s’incarne dans les compositions de Phet qui défigent l’espace statique d’une toile ou d’un mur. Les supports émettent sous les traits de Phet un mouvement de respiration. Les lettres y dansent sur un rythme émis par les sillons de musiques imaginaires. Elles sont sobres, leur structure se suffit à elles-mêmes. Elles sont comparables à une formule mathématique qui est élégante parce qu’elle simplifie la complexité du monde. Les peintures de Phet ont cette élégance. Mais elles ne sont pas juste une représentation du monde, elles présentent un nouveau monde. Une » mise en abysse » façonnée par les aller-retours d’une peinture du réel qui déchire le réel à même le réel des murs.
Si les germanistes font de bons logiciens, la vague d’immigration (des latinistes du nouveau monde) latino-américaine a largement contribué a inventé un style d’expression international, populaire, libre et aussi comme leur langue : chaleureux. Le writing apporte une représentation de l’humain par ce qui le distingue des autres créations : l’écriture. L’écriture permet de communiquer des concepts complexes pouvant permettre de voyager dans l’espace par exemple. La figuration nous informe que nous sommes faits de chair, de nos images, et le tag nous dit que nous somme également fait de pensées, de ces mots qui existent parce que l’humanité a créé un langage pour matérialiser cette pensée, et des alphabets pour les perpétuer. Le writing est ce nouveau genre de peinture qui nous représente comme des individus modelés par la pensée. En effet c’est la pensée qui nous éduque, qui configure nos actes. Il est l’art du tag (pseudonyme) qu’il soit beau, démultiplié à l’infini, brutal, épaissit en graff (ou pièce), il est cette représentation d’une humanité qui pense.
En défiant l’autorité pour s’implanter dans la ville, le writing devient ce feu que Prométhée dérobe à l’Olympe. Il est cette folle tentation de se mesurer aux puissants et de s’élever au-dessus de sa condition. Il tente d’aplanir toute hiérarchie pyramidale, adoucir les maux échappés de la boite de Pandore par ses mots. Il est à l’image des révolutions industrielles qui ont contribué à pouvoir démocratiser l’accès aux ressources matérielles et intellectuelles longtemps confisquées par les classes aristocratiques et cléricales. La lignée (qui peut être symbolisée par l’image) ne définit plus notre place dans la société, mais avec la révolution industrielle c’est l’idée, l’innovation, qui va désormais définir notre place dans le monde. L’art s’est emparé de cette nouvelle organisation, et le writing en est une des déclinaisons possibles. Il est le résultat d’une histoire des arts qui cherche à créer un mouvement de peinture international et la technologie qui permet de réduire les distances du monde de façon physique comme virtuelle.
Phet magnifie par ses compositions cette propension de l’humanité à créer des concepts que l’écriture pérennise, à éduquer par la pensée et former des humains libres, à égalité avec les puissants. Il invente un monde de lettres empreint de liberté. Un monde de lettres logiques nées d’un élan plus émotionnel. A l’image du processus de rationalisation décrit par Antonio Damasio : le corps reçoit des sensations qui vont provoquer des émotions qui vont devenir des informations qui seront rationalisées ; Phet édifie un monde où l’irrationnel croise son antagoniste. Sa peinture symbolise le parfait compromis entre la raison et l’émotion.
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