Je me suis demandé comment l'idée de redonner vie à Isadora Duncan lui était venue. Etait-ce lorsqu'elle se produisit au théâtre des Champs-Élysées en 2018 ? Elle y reviendra d'ailleurs à la fin de cette année pour Oh là là.
En effet, lorsqu'il fut construit en 1913, le portrait d'Isadora a été peint par Maurice Denis sur la fresque murale de l’auditorium représentant les neuf Muses et gravé par Antoine Bourdelle dans les bas-reliefs situés au-dessus de l’entrée, qui reprit des chorégraphies de la danseuse américaine (qu'il avait rencontrée en 1909 au Théâtre du Châtelet) pour réaliser les 75 sculptures.
Isabelle incarne au Théâtre des 3 Soleils cette fascinante Isadora. Celle qui fut raillée à ses débuts pour sa grâce de morceau de chiffon et son refus de devenir une majorette de paillettes fut très vite adulée.
La danseuse aux pieds nus a libéré le corps des femmes. Elle sera considérée comme l’inventrice de la danse moderne et son art lui vaudra d'être ovationnée sur toutes les grandes scènes du monde. Elle a sidéré le public de la Belle époque par son audace, sa manière de danser, sa soif de liberté et son esprit révolutionnaire : Je ne veux pas être danseuse. Je veux danser. Elle implorera plus tard de la laisser être qui elle est.
Il ne faut pas s'attendre à un biopic d'une absolue vérité. L'équipe prévient que le spectacle est librement adapté de la vie d'Isadora Duncan (1877 à San Francisco - 1927 à Nice). Mais l'essentiel y est. L'intérêt de ce spectacle est aussi de laisser apparaître la femme derrière l’artiste. La rebelle. L’amoureuse au cœur bohème. La mère désespérée. La créatrice d’une école. Celle qui voulait vivre à en avoir mal. On a retenu surtout d'elle sa mort épouvantable, étranglée par le long foulard de soie qui s'enroula dans les rayons de la roue d'une voiture de course.
Dominique Wenta,qui a écrit les dialogues, y voitune symbolique mystique qui clôt l’histoire comme elle a commencé, dans le mouvement et les voiles. En effet la danseuse fut la première à refuser tutu et chaussons pour prôner la danse et le corps libre.
** *Autre tragédie, mais cette fois imprégnée d'énormément d'humour avec, à 20 heures, Gardiennes, de et avec Fanny Cabon dans la mise en scène Bruno de Saint Riquier.
On m'avait proposé de le découvrir en juin à Paris, au Théâtre du Gymnase mais je n'ai pas trouvé de date,
mais faute de temps et je m'étais promis d'aller la voir cet été, d'autant que je n'avais pas pu le faire l'année dernière (mais je dirais à mon corps défendant que je n'étais alors restée que quelques jours en Avignon).Gardiennes a été
élu meilleur seul en scène du festival Off 2018 (même s'il y avait sans nul doute plusieurs autres spectacles méritant cette distinction). Il a en effet toutes les composantes qui poussent à en faire l'éloge.Le texte est écrit par une femme issue d'une famille de femmes. Elle a (hélas) entière légitimité pour traiter le sujet. L'auteure est aussi
comédienne et était toute désignée pour interpréter ce récit largement autobiographique. Elle joue tous les rôles, ce qui en soi est déjà une prouesse, mais elle le fait en distillant beaucoup d'humour alors que le thème est d'une profonde gravité.Le spectacle est parfaitement réussi sur le plan théâtral et on peut le regarder et l'apprécier comme tel. On peut aussi y voir un acte social. Parce qu'on le droit à disposer de son corps n'est pas acquis dans de nombreux pays. Le nombre d'états américains le révoquant grandit. Et surtout, peut-on imaginer, et pourtant la statistique est vraie, qu'une femme meurt dans le monde toutes les 9 minutes d'un avortement clandestin ? L'Eglise, Ogino et Pétain ont fait du mal au ventre des femmes, et ça continue.
La thématique est forte et entre en résonance avec l’actualité. J'ai été surprise du nombre de pièces qui s'emparait de cette problématique cet été. Comme aussi Mauvaises Filles à Théâtre Actuel ou Paulina au Sham's. La condition féminine a peut-être bénéficié d'un ministère à partir de l'année 1974 mais elle n'a guère progressé.
Regardons par exemple le principe de l’égale rémunération des femmes et des hommes. Il est inscrit dans notre Droit du travail depuis la loi du 22 décembre 1972. Pourtant l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est de 9 % à travail égal et de 25 % sur l’ensemble de la carrière, selon des chiffres absolument officiels, publiés par le ministère du Travail. Il a donc fallu de nouveau légiférer et la Loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 veut tenter de remédier à ces écarts de rémunérations.On ne peut donc pas totalement se réjouir de la loi du 17 janvier 1975, dite Weil (dont on oublie d'ailleurs qu'elle encadre la dépénalisation de l'avortement, ce qui signifie qu'il restait beaucoup à faire ...) même si la comédienne a raison de juger que Giscard a eu du nez de la solliciter.
Les gamines d'aujourd'hui, elles savent pas la chance qu'elles ont mais il ne faut pas prendre les progrès sociaux pour acquis. La vigilance s'impose et le devoir de mémoire concerne aussi ces domaines là. C'est ce que fait brillamment Pauline Bureau avec Hors-la-loi. C'est aussi le propos de Caroline Vigneaux dans Croque la pomme. C'est la mission que s'est donnée Fanny Cabon et on souhaite que son spectacle va maintenant voyager en région car il est nécessaire.
Je n'ai jamais surpris dans ma famille de témoignages comme ceux que Fanny Cabon a recueillis. On acceptait autant d'enfants que ce que le "bon Dieu" envoyait et on priait même pour leur survie car il ne faut pas oublier non plus que la mortalité infantile était très élevée. Peut-on comparer la vie à la campagne de mes grands-parents et la vie à la ville ...?
J'ai réalisé cet été, et j'en remercie la comédienne, que la vie de mes ancêtres était loin d'être celle de tout le monde. Même si parfois elle y ressemblait, ne serait-ce que par les privations subies pendant les guerres. Et puis, à force d'entendre surtout parler de procréation médicalement assistée, et du droit de tous les couples à pouvoir avoir un enfant, j'avais oublié que pendant des siècles les femmes ont connu une préoccupation diamétralement opposée alors que Colette Renard chantait impassible Avec les anges :
Y a rien à s'dire Y a qu'à s'aimer Y a plus qu'à s'taire Qu'à la fermer
Gardiennes est un spectacle que j'ai eu à coeur de défendre et suite à un acte manqué insensé j’ai supprimé le post (dithyrambique) que j’avais mis 45 minutes à écrire sur mon téléphone pour le publier sur Facebook. Je me suis pitoyablement rattrapée.
Je terminerai en vous suggérant de regarder la bande-annonce de ce spectacle essentiel pour rendre visibles et audibles des secrets qui se vivaient et ne se disaient qu'entre femmes.
** *
On pouvait terminer la soirée, à 22h00, avec Qui a peur de Virginia Woolf ? qui est une comédie dramatique dont on a tous plus ou moins le souvenir en raison de l'adaptation cinématographique interprétée par Liz Taylor et Richard Burton. Il faut du cran pour la monter et Frédérique Lazarini et Stéphane Fiévet ont eu raison de demander à Panchika Velez de les mettre en scène.
La pièce de Edward Albee a beau avoir été écrite dans les années soixante (ce qui est bien rendu par un décor vintage illustrant à la perfection l'idée qu'on se fait du cadre moyen-bourgeois-universitaire américain) le thème demeure hélas d'actualité. De nombreux couples se déchirent après vingt ans de mariage. C'est ce qui arrive au retour d'une soirée plutôt arrosée entre Martha et George.
Leurs altercations vont monter d'un cran lorsqu'ils auront un public. La panthère vulgaire (Frédérique la campe avec mesure) a invité pour cela deux jeunes mariés, Nick (Aurélien Chaussade) et Honey (Agnès Miguras) dont les attitudes interviennent en contrepoint ou en miroir.
La pièce avait été créée avec cette distribution au Théâtre 14 à l'automne dernier et je n'avais pas trouvé de date pour la voir (décidément quoiqu'on en dise il est vraiment intéressant qu'Avignon présente aussi des reprises). La tension est encore plus impressionnante après une journée de canicule avignonnaise. Le machiavélisme est manifeste. C'est un sommet en terme de passion et haine sur fond de secret. La scène devient un ring et le saxophone joue une plainte sur la promesse de l'un de faire vraiment du mal à l'autre.