Au début, je n'ai rien compris. Et pourtant, je vous jure que j'ai essayé. Comme à chaque fois que je pose le pied dans une ville, j'ai humé l'air, tâté l'ambiance, levé le nez vers les monuments, longé les avenues et me suis faufilée dans les ruelles. J'ai observé les façades, les gens, écouté le flux des conversations et ai tenté de caler mon pas sur le rythme de la ville. Et Cork m'a bien embrouillée. Dans un premier temps, je n'ai pas aimé. Je me suis dit, je le reconnais, que deux jours dans ce bazar, ça promettait d'être long et qu'une seule journée aurait amplement suffi à errer entre ces murs de briques rouges et dans ces rues pas très clean. Eh, quoi ! On n'est pas en Suisse !, me suis-entendu répondre. Je me suis platement excusée à genoux devant la première église venue et, quand j'ai compris qu'il y en avait une à chaque carrefour, dans chaque quartier, j'ai compris que Cork se payait pas tête. Alors, j'ai tout repris à zéro. Je lui ai dit, ah oui, c'est comme ça, tu veux me perdre ? D'accord, entendu, je vais jouer le jeu. Je vais ranger mon plan dans ma poche et aller là où tu veux m'emmener. Et la bougresse m'a fait tourner en rond jusqu'au soir.
D'abord, elle m'a entraînée dans le quartier populaire de Shandon avec ses maisons colorées et ses petites rues. J'aime bien les petites rues, elle avait dû le deviner. Seulement, à force de tourner à droite et à gauche, de monter des côtes et de les redescendre en plein soleil (parce qu'en plus, elle m'avait sorti le grand jeu), je me suis retrouvée à mon point de départ. Très drôle. J'ai décidé de suivre la Lee, ce fleuve qui sépare la ville en deux pour former une île qui est le cœur historique de la cité. Une église, deux églises, toutes de caractère et d'architecture différents, j'en ai eu ma dose. Une sorte d'Italie du sud, le cagnard en moins. Les Irlandais sont si dévots que, quand j'ai voulu acheter une petite bouteille au supermarché pour me remettre de mes émotions, la vendeuse m'a gentiment expliqué que le dimanche matin, on ne vendait pas d'alcool avant midi et demi, heure de fin de la messe. J'ai eu l'air dépité. Cork s'est bien marrée. Bref, j'ai poursuivi mon chemin.
Je me suis retrouvée dans d'anciennes églises qui abritaient des musées ou des expositions d'art contemporain, dans des ruelles ponctuées de gens pas très clairs, face à un charmant monsieur d'un certain âge qui m'a sorti, yeux pétillants, les quelques mots de français qu'il connaissait, devant la façade du musée du beurre, dans des lieux plus improbables les uns que les autres. Patchwork. C'est le nom que j'ai donné à Cork. Elle a bien aimé. Enfin, de grandes avenues. La bougresse me les avait cachées jusque-là. Je suis entrée dans quelques magasins, sport, déco, histoire de retrouver un peu mes repères qui avaient été mis à mal. Ici, les gens avaient l'air de vivre normalement. Après tout, la ville n'était pas si bizarre. Il y a même eu un moment où la tendance s'est inversée : j'avais tellement l'air sûr de moi que des touristes anglophones m'ont demandé leur chemin. Moi, je ne savais même pas où j'allais, puisque c'était la ville qui me guidait. C'était marrant. A cet instant, j'ai senti que Cork commençait à être contente de moi. En récompense, elle m'a fait entrer dans l'English Market, ces halles à la façade imposante et qui renferment tout ce que j'aime : de la nourriture fraîche, vendue par des producteurs locaux et sur des étals garnis et odorants qui mettent l'eau à la bouche. J'ai adoré.
Au fond, cette ville n'était pas si folle. Elle voulait juste que je la découvre autrement qu'avec un plan à la main et un itinéraire pré-établi. C'est ce que je me disais en fin de soirée en sirotant une red beer dans un pub qui diffusait une demi-finale de hurling (le sport gaélique par excellence) devant quelques supporters enthousiasmés et concentrés. Il y a des villes qui ne supportent pas d'être visitées comme des musées, étage 1, allée B. Cork est de celle-là. Il était vingt heures. Je l'aimais.