« Je crois qu'habiter poétiquement le monde, c'est l'habiter aussi et d'abord en contemplatif.
Contempler est une manière de prendre soin. C'est casser tout ce qui en nous ressemble à une avidité, mais aussi à une attente ou un projet. Regarder et s'émouvoir de l'absence de différence entre ce qui est en face et nous. J'ai là sous les yeux, dans cette forêt, quelque chose qui est beaucoup plus riche que tout ce qu'un musée ne pourra jamais s'offrir. Dans l'ordre, un peu de mousse, un peu plus loin des ronces, une fougère que le soleil traverse comme un vitrail. Cette fougère est sainte par sa mortalité, par sa fragilité, par le fait qu'elle va connaître le dépérissement. Que faire de mieux que de saluer ceux qui sont dans le passage avec nous ? Ce serait beau de bâtir toute une conversation autour de cette fougère... Le monde est rempli de visions qui attendent des yeux. (...)
La contemplation est ce qui menace le plus, et de manière très drôle, la technique hyperpuissante. (...) Qui a dit que la vie devait être facile et pratique ? (....) La technique (...) fait grandir une lèpre d’irréel qui envahit silencieusement le monde.
La contemplation, ce qu'on appelle la poésie, c'est le contraire précisément. C'est le contraire même de ce qu'on entend trop souvent par poésie. Ce n'est pas une décoration, ce n'est pas une joliesse, ce n'est pas quelque chose d'esthétique, c'est comme mettre sa main sur la pointe la plus fine du réel. Et en le nommant, de le faire advenir. Le réel est du côté de la poésie et la poésie est du côté du réel. »
Christian Bobin,
extrait de Le Plâtrier siffleur, Revue Reflets, N* 28, « Dossier Poésie - Dire l'indicible », p. 33-34.
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