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Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 319

Publié le 25 août 2019 par Antropologia

Canoë

Le canoë sur le toit de la voiture, Suzanne partait au petit bonheur la chance en direction du Sud de l’Espagne … Elle récupéra Jeff dans la petite bourgade de Sandwich à quelques miles de Douvres Elle venait du pays de Galles, lui de Southampton. Tous les deux étaient artistes, bohèmes par la force des choses. Plus que les tubes de peinture, c’est le canoë qui les avait rassemblés et le besoin vital de s’éloigner du monde bruyant de la ville pour retrouver celui bruissant de la rivière.

C’est une panne d’essence qui stoppa net leur envie de Galice et les immobilisa dans le Lot. Ils y découvrirent tout ce dont ils avaient besoin : calme, douceur des couleurs de la vallée et des reflets du Lot mêlée à la rudesse de sol granitique des Causses. Ils emménagèrent dans plusieurs maisons au gré des hébergements proposés gracieusement par les propriétaires. Ceux-ci, ravis de trouver des locataires prêts à occuper leur résidence secondaire pendant leur absence et suffisamment souples pour leur libérer dès qu’ils le souhaitaient.

Ils avaient bien essayé de retourner en Angleterre mais Suzanne avait fait une fausse couche pendant la traversée vers Douvres un jour de novembre et ce fut pour elle un signe. Ils s’établirent durablement en France et dans le Lot plus précisément. Ils eurent une fille puis deux et le garçon. Ils leur apprirent le canoë bien sûr mais aussi à jouer d’un instrument de musique pour se ressourcer les jours d’hiver et la botanique. Ensemble, Ils jardinèrent et créèrent au fil des saisons un petit jardin à la fois fouillé et raffiné. Ils ne pouvaient pas renier leurs racines anglaises quand celles-ci étaient d’aussi bonnes qualités !

C’est un jour de pluie que Suzanne eut l’idée : les enfants partis, ils devaient maintenant ouvrir la porte de leur maison pour exposer leurs œuvres « Les toiles ont besoin d’être vues, admirées pour rester vivantes ! » lui dit-elle. Jeff était toujours surpris de l’imagination de sa femme… C’est ce qu’il aimait en elle. Il n’aurait jamais pu imaginer ses toiles s’ennuyant dans l’obscurité de leur garage. En définitive, lui, se fichait de l’état d’âme de ses toiles, ce qu’il aimait lui, c’est prendre son canoë en toute saison plutôt tôt le matin ou tard en soirée et se coltiner avec la matière pour saisir toutes les variétés de tons de la nature et du miroitement de l’eau si calme du Lot.   Mais une fois la toile achevée… Elle devenait comme un outil supplémentaire à sa boite à outils de peintre et peut être une source de revenu.

C’est ainsi qu’ils ouvrirent la porte de leur maison aux amateurs de passage tout en leur offrant « a cup of tea » et leur parler de leur passion. C’est à lui qu’est revenu le job : « Tu fais cela si bien, moi, je m’emballe. Et le monde me terrifie… Je suis devenue un peu sauvage ! » lui disait Suzanne Mais les rares fois où elle venait se présenter et parler… elle le faisait avec passion. Elle avait tort : cela plait toujours les artistes qui parlent de leur travail. Elle leur racontait avec sincérité du temps qui s’évanouissait quand elle se mettait à son chevalet. « Une sorte de méditation qui nous fait oublier la réalité ! » Lui, ne disait plus rien. Il servait la réalité : le thé…

Depuis 30 ans, ils étaient là, ancrés dans ce Lot qu’ils avaient fait leur.  Leurs parents étaient maintenant décédés. Leurs enfants implantés à proximité… Plus rien ne les rappelait en Angleterre.  Le Brexit précipita leur décision : demander la nationalité française. Et c’est avec ferveur et qu’ils nous racontèrent, avec un joli accent des îles, la cérémonie pendant laquelle une quarantaine d’étrangers des environs de Cahors devinrent FRANÇAIS.

Ils sont des Franglais qui n’hésitent pas à partager leur riche terreau avec l’étranger de passage !

Virginie Perchais


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