C'est quoi le yoga ?
Il y a plusieurs définitions traditionnelles : union de l'âme avec le divin, immobilisation des mouvements, discrimination entre le sujet et l'objet, attention au moment présent ; et d'autres, plus récentes: agir en conscience, éveil de la Koundalinî, thérapie douce, équilibrage hormonal, etc.
Nous connaissons surtout le yoga postural, dérivé du hatha yoga, lui-même d'origine bouddhiste tantrique, lequel est très largement une imitation du yoga shivaïte.Il serait donc intéressant de faire connaissance avec le yoga shivaïte. D'autant que notre connaissance du shivaïsme a énormément progressé.
En gros, il y a deux visions du yoga :
- le yoga comme extinction (nirvâna) ou séparation du sujet et de l'objet (sâmkhya, patanjali), qui est l'idéal des "shramanas", ces ascètes qui ont fondé le bouddhisme, le jaïnisme et une partie du brahmanisme ancien.- le yoga comme divinisation et révélation des pouvoirs innés de l'âme. C'est la définition shivaïte. On peut aussi la qualifier de "tantrique", car le shivaïsme a été imité par les autres grandes religions de l'Inde, à savoir le vishnouïsme et le bouddhisme. Donc par exemple, "bouddhisme tantrique" veut dire, en clair, "bouddhisme qui imite le shivaïsme". Le tantrisme, c'est-à-dire la Voie des Mantras (mantra-mârga) ou doctrine des Mantras (mantra-naya) est purement shivaïte à l'origine. Cet voie originale a ensuité été imitée par les bouddhistes, les vishnouïtes et les Djaïns.
Le "grand arbre des tantras" (titre de l'une des œuvres d'Abhinava Goupta) possède ainsi de nombreuses branches. Dans la tradition Koula, vue traditionnellement comme omniprésente en toutes les autres traditions à la manière du parfum dans les fleurs, le yoga est la révélation du divin dans le corps et à travers le corps. Le yoga est ici l'abandon au divin, non au sens puritain (la prapatti des vishnouïtes), mais en un sens chamanique. C'est l'âvesha, la possession, l'envahissement de l'individu par la puissance sacrée, rudra-shakti. Le yoga consiste alors à prendre des poses divines (mudrâ, karana) qui induisent cette possession, laquelle se traduit par des signes physiques (immobilité ou mouvement) et surtout des expériences : silence absolu au-delà du mental, sensation de transparence, clarté, légèreté du corps, ralentissement de la respiration.
Dans la tradition Koula ultime, celle de Kâlî, on trouve encore une autre définition du yoga, plus vaste et profonde :
grāhyagrāhakasaṃvittiḥ sāmānyā sarvadehinām |yogināṃ tu viśeṣo 'yaṃ saṃbandhe sāvadhānatā
"L'expérience du sujet et de l'objet
est commune à tous les êtres vivants.Mais le propre des yogis est
d'être attentif à la relation entre (le sujet et l'objet)."
Le yoga n'est pas la disparition de la relation sujet/objet. Être une yoginî, ça n'est pas vivre dans une sorte de néant ou un vide éthéré. Les yogis voient, sentent, touchent et sont touchés, comme tous le monde. Mais quand un yogi voit, il ne se perd pas dans cette vision, il voit que l'objet qu'il voit apparaît dans le Voyant, dans la Présence vivante.
Que signifie "attentif à la relation entre le sujet et l'objet" ?
Cela veut dire voir que tout apparaît, existe et disparaît dans la conscience de l'instant présent. C'est la pratique du "laisser venir, laisser partir" et tout spécialement du "laisser partir", comme un myriade de petits "om" qui vont se perdre dans la Présence silencieuse, instant après instant.C'est aussi ressentir que tous les mouvements individuels (gestes, respirations, émotions, pensées, désirs) partent du pur mouvement d'être, de l'acte d'être, qui est la source sacrée.
Ces deux yogas sont d'abord explorés dans un cadre de méditation, puis dans le quotidien.
C'est très simple :Voir, c'est juste faire silence intérieur. Encore et encore. Ressentir, c'est juste se plonger dans le tout commencement d'un mouvement, n'importe lequel, par exemple lever le bras.
Voilà les yogas de Shiva et de Shakti, la quintessence des tantras.
C'est un autre yoga, qui ne dépend de rien, mais qui n'exclut rien, ni posture ni thérapie. Juste un geste intérieur qui libère du mental et ouvre les vannes du ciel.