Vite, il faut nationaliser le réseau ferré. Oh. Wait.

Publié le 23 août 2019 par H16

C’est dans la torpeur humide d’un été caniculaire aux températures sahariennes (25°C au thermomètre, 75°C ressenti dans les rédactions) et alors que se déroule un G7 hyper-important aux implications fondamentales, indispensables et inévitables qu’on apprend, écrasé de chaleur, que le réseau ferré français serait dans un état légèrement émoussé.

C’est Le Parisien qui nous apprend la nouvelle, en n’hésitant pas à sortir la grosse titraille d’occasion évoquant un état « alarmant » du réseau ferré, pendant que d’autres rédactions, encore plus hystériques, bondissent sur l’occasion d’utiliser le mot « désastreux ».

♩ Allons. ♪ Tout ceci est ♫ très exagéré ♬ …

Tout le monde sait que le réseau ferré de France n’est plus tout à fait au top de sa forme olympique et qu’il y a eu, par le passé, de petits égarements qui ont malheureusement conduit à des déraillements dont certains, un peu trop vigoureux, ont fait quelques blessés et quelques morts ahem broum bref… Mais tout ça c’est du passé et depuis, tout a été mis en oeuvre pour que les choses s’améliorent, tralali ♫ tralala ♩ …

Tout, ou presque donc puisque ce vilain rapport pointe quelques petits manquements, comme des « dizaines d’anomalies », dont certaines n’ont pas été traitées dans les temps réglementaires et dont la réparation affiche au moins « un an de retard ».

L’article du Parisien évoque même des éclisses aux boulons desserrés ou manquants. C’est enquiquinant parce que c’est ce genre de pièces qui a joué un rôle dans le déraillement du Paris-Limoges à Brétigny-sur-Orge. Si l’on ajoute les cas de câbles électriques rongés par des animaux, dont un « situé sur un passage à niveau de la ligne Le Dorat-Limoges (Haute-Vienne) », on comprend que le rapport n’est vraiment pas cheminot-friendly comme on dit de nos jours.

Bon. Soit.

Convenons-en : ce genre de rapport est un tantinet gênant en ce qu’il montre qu’encore une fois, le privé assoiffé de profits est incapable de chercher à fournir un service de qualité et que, de surcroît, même lorsque est survenu un accident entraînant des blessés et des morts , il n’est pas fichu de se remettre en cause comme seul le Service Public National d’une République Responsable serait à même d’y parvenir en faisant appel vibrant et citoyen à l’Intérêt Général et Supérieur de la Nation.

Ici, il ne fait pas l’ombre d’un doute que RFF, Réseau Ferré de France, a failli dans sa mission et qu’en faisant passer les profits de ses nombreux actionnaires avant la vie de ses clients, cette société capitaliste sans foi ni loi ne mérite que l’opprobre par une nationalisation bien sentie et à vil prix. Pas de pitié pour les exploiteurs capita…

On me souffle dans l’oreillette que RFF est une EPIC détenue à 100% par l’État français, que le réseau ferré est totalement nationalisé, que la concurrence ferroviaire, dans ce pays, est encore une très lointaine chimère pendant que les trains, aussi nationaux que publics, roulent en tchoutchoutant bruyamment d’un passage à niveau coincé à une volée d’éclisses déboulonnées, entre deux pannes de caténaires, des feuilles mortes qui glissent, des arrêts de travail inopinés d’une certaine catégorie de personnel indépendante de toute volonté et attention à l’augmentation de la recrudescence sur les lignes, merci.

Hum.

Ici, je sens déjà poindre les commentaires aigris sur la méchanceté de mon propos qui revient à tirer sur une ambulance, une ambulance arrêtée sur un chemin défoncé, à laquelle il manque une roue, dont le chauffeur est parti manger pendant que le malade à l’intérieur ne tient plus qu’au respirateur branché à même la batterie du véhicule dont on se doute qu’elle ne durera plus très longtemps, soit, mais une ambulance tout de même.

L’ensemble ferroviaire français (j’inclus SNCF et RFF tant la scission de ces deux entités n’est qu’un pur artifice comptable destiné à embrouiller Bruxelles en camouflant une dette afférente colossale) n’est plus, on l’a compris depuis un moment, qu’une vaste pétaudière dans laquelle même le fleuron français du rail, le TGV, tire la langue à chaque période de grands départs, subissant les pannes matérielles tant sur le matériel roulant, vieillissant, que sur l’infrastructure, tenue à bout de bras avec ficelles, scotch et trombones par des équipes dont le nombre, la gestion, les motivations et le savoir-faire se sont progressivement évaporés à mesure que les « réformes » ferroviaires se sont empilées n’importe comment.

Malheureusement, les petits bricolages, ça ne peut tenir qu’un moment, et il semble qu’on parvienne au bout des expédients. Lorsqu’on en arrive à constater qu’une cause connue d’accidents mortels (des éclisses mal ou plus boulonnées) est encore repérée à de nombreux endroits des voies ferrées, plusieurs années après ces accidents, on ne peut aboutir à aucune autre conclusion : la situation est catastrophique et la vie des clients du service public de transport ferroviaire est effectivement en danger.

Devant cette catastrophe et cette mise en danger, les réactions ministérielles sont, comme on pouvait s’y attendre, parfaitement ridicules. Propulsée derrière un gros micro mou à la sortie de sa léthargie estivale, la marmotte ministérielle en charge de la question a ainsi déclaré :

« On va tous être vigilants à ce que des correctifs soient apportés à court et moyen terme. »

Ceci revient donc à demander aux Français en général et aux clients de la SNCF en particulier de faire confiance en l’État pour remédier aux problèmes, ces problèmes qui auraient dû trouver des correctifs à court terme après l’accident de Brétigny-Sur-Orge, il y a six ans de cela.

Autrement dit, on demande de faire confiance à l’entité qui a officiellement déjà échoué à tenir son infrastructure en état avant l’accident de Brétigny (et pour cause), qui a clamé à l’époque que les moyens seront mis en œuvre pour que ce type de problèmes ne se reproduise plus, et qui, six ans plus tard, réclame un renouvellement de confiance alors même que ce type de problème se reproduit, à l’identique et en plusieurs endroits, de façon alarmante, en plus d’autres problèmes au moins aussi graves.

Ceci porte un nom : ceci s’appelle du foutage de gueule.

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