Tout spectacle de clown est voué à l’echec !
Et le clown va explorer cela !
C’est merveilleux pour lui !
Il est un être dépassé, de A à Z ; il fait tout ce qu’il peut pour réaliser son projet
et en même temps on voit qu’il s’empêche de le réaliser… il peut avoir un projet précis ; les difficultés qu’il va rencontrer sont son terrain de jeu …
Tout spectacle de clown est voué à l’échec : le clown peut naître de ce désespoir même. Tout désespoir est source de jeu. Ce qui ne va pas : creuse-le ! Le premier problème est le premier désespoir et le premier désespoir est le premier paradis. Devant toute chose, le clown laisse échapper : « ah bon ? » suivi par : « ah chouette ! « .
Ah bon, on ne peut pas faire de spectacle de clown ? Chouette alors ! C’est le paradoxe fondamental. Le clown est de l’instant et l’instant est le lieu privilégié de son engagement et de sa générosité – généreux qu’il est de lui-même. Et il s’engage comme un intrus – même dans l’écriture d’un spectacle ; un intrus dans l’écriture comme il l’est dans le lieu, le décor, la musique, les personnes qui sont là.
Le pari qu’il fait ainsi n’est pas dans l’accumulation de techniques mais au contraire dans le dépouillement, l’appauvrissement de la rencontre. Si il y a mise en scène, c’est en fait pour le clown une mise en selle… et le voyage lui appartient ! Tenir ce qui le porte – y être fidèle. Et cela devient son terrain de jeu, un torrent de jeu, un torrent de « je » à travers tous les jeux.
On peut donner toute sorte de spectacle à notre clown : ça va ouvrir !
Et ce qui va arriver – ce qui arrive – est plus important que ce qui était –ou est – prévu. Ce qui implique qu’il y ait toutefois quelque chose de prévu…mais ça va être tiré vers le vivant, tendu vers le vivant. Le clown veut faire quelque chose et il lui arrive autre chose : nous pouvons espérer faire un spectacle avec tout ce qui arrive.
C’est quand j’y suis que je sens que mon écriture n’est qu’un support – un pré-texte. Car le clown ne re-présente pas : il n’est pas en re-présentation mais il présente, il est présent, il donne et fait recevoir…quel présent !
Ce n’est pas scénariser ou avoir des idées, c’est se laisser inspirer par son état devant ce qui arrive, être présent à ce qui se passe, à ce qui passe. Il y a de l’éphémère. C’est éphémère et précieux, moment unique : ça n’a jamais été ainsi
et ça ne sera jamais plus ainsi. C’est éphémère. C’est précieux – peut-être parce que c’est éphémère. Et peut-être que tout est éphémère et donc précieux…
Est-il possible de tenir ensemble l’écriture et le vivant ?
La structure ne nous donnera jamais de clown. C’est pour cela qu’il faut s’entraîner à être clown… pour pouvoir lui donner tout ce qui est écrit, et la structure qui va avec, lui donner des passages obligés et qu’il soit là, notre clown, quand nous perdons le fil ! Ce n’est pas un comédien qui joue un personnage et qui de temps en temps est « en clown » ; c’est le clown qui joue et on ne peut pas l’en empêcher. Et plus il sera entraîné à ce jeu, plus il nous entraînera. Or, ici, l’entraînement n’est pas répétition. C’est plutôt une petite chose répétée qui va se nourrir de telle ou telle chose qui se met en place parce qu’elle arrive par surprise. Travailler les surprises et les ré-initialiser, être en mesure de percevoir ce qu’il y a eu de neuf ( la veille par exemple ), permet de percevoir tout ce qui est là maintenant, tout ce qui est en jeu, pour vivre cela – même avec autre chose.
C’est ce qui nous est arrivé qui permet de ré-initialiser. « Tant que tu n’as pas joué cent fois, ne fais pas ta première ! ».
Le public n’est pas un public pour le clown, c’est un partenaire.
Comment répéter sans lui ?
Le clown se nourrit du public. Et si le public diverge ou s’absente pour penser ou comprendre ce qui se passe, il n’y a plus de public pour le clown !Le temps de détente est aussi important que le temps d’activité : c’est donner de l’espace au spectateur. De même que l’on peut tendre à un jeu hyper minimaliste qui éviterait de trop fabriquer « contre » le public. L e clown est là pour tenir un écran où le spectateur en quelque sorte va faire lui-même son film ; le clown travaille sur le cadre pour que le public sache projeter. Musique, odeur, image par exemple, sont posées comme des cadres et moins elles sont chargées, plus elles sont fortes dans ce jeu d’invitation bienveillante du spectateur. Si il est clown, il est en relation. Et si il est en relation,! c’est pour jouer !
Le clown ne connaît que la dérision de lui-même – jamais des autres – mais il ne le fait pas exprès. De même qu’il peut vouloir faire une blague mais c’est toujours lui qui se fait avoir : il n’est pas au-dessus du public. Si il fait un gag, il ne s’en fait surtout pas une idée avant de le faire !
Mon univers, ce n’est pas ce que vais raconter mais ce que ça fait à mon clown !
En ce sens-là nous n’avons qu’un seul univers et peut-être bien que nous n’aurons jamais qu’un seul…spectacle ! S’entraîner à prendre du temps, c’est prendre du temps pour entrer dans cet univers. Et là, oser ne rien faire, c’est-à-dire faire rien, c’est grandiose. C’est comme quand tu regardes par le trou d’une aiguille, c’est tout petit… mais derrière, c’est immense. Il faut oser, là. Oser et il sera toujours temps de doser…non pas : qu’est ce que je vais faire ou rajouter pour que ça fasse plus, mais : jusqu’où cela peut-il aller ? jusqu’où cela va-t-il me mener ?
Le clown prend tout par le bon bout : le bout du cœur !
« C’est toi qui dois être petit et humain pour être plus grand que tout le reste ! ». Que rien ne soit interdit dans ta palette. La seule chose que tu as à faire, c’est d’y aller
Article originale : Le clown : Texte réference