Dans Soif, Amélie Nothomb se met dans la tête du Christ. Elle écrit en quelque sorte un récit de la passion selon Jésus, qui diffère de ceux que l'on trouve dans les évangiles synoptiques ou dans celui de Saint Jean, l'apôtre bien aimé.
Si Jésus n'y parle pas beaucoup de sa divinité hormis quand il fait référence aux volontés de son père (qui n'est évidemment pas Joseph), il reprend à son compte ce que Térence a dit avant lui: Rien de ce qui est humain ne m'est étranger.
Comme il est le Christ, il peut se permettre de rectifier ce que l'un ou l'autre des évangélistes dit de ses dernières paroles après sa mort ou de citer des auteurs qui sont nés bien après lui:
( Ce qu'il y a de plus profond dans l'homme, c'est la peau. Paul Valéry)
Tous les plaisirs des jours sont en leurs matinées. ( François de Malherbe )
C'est le côté humain du Christ qui en fait intéresse l'auteure. Elle ne résiste d'ailleurs pas à la tentation d'en faire un amoureux de Madeleine, dont les rapports avec elle - désobéissant à son père - n'auraient pas été platoniques, mais bibliques...
Pour Jésus, les évangélistes, qui rapportent faussement ses dernières paroles, commettent des contresens, voulant lui faire dire ce qu'il n'a jamais dit, trahissant en quelque sorte le fait que, ne leur en déplaise, il est le plus incarné des humains :
Le mal trouve toujours son origine dans l'esprit. Sans le garde-fou du corps, la nuisance spirituelle va pouvoir commencer.Jésus dit plus loin que la bonne nouvelle [l'évangile], : c'est que l'extrême soif est une transe mystique idéale Il y a des gens qui pensent ne pas être des mystiques. Ils se trompent. Il suffit d'avoir crevé de soif un moment pour accéder à ce statut...
Prendre alors une seule gorgée est un émerveillement: Cet éblouissement, c'est Dieu [...]. L'amour que vous éprouvez à cet instant précis pour la gorgée d'eau, c'est Dieu. Je suis cet amour pour tout ce qui existe. C'est cela être le Christ.
La soif et l'amour sont liés: Comment s'étonner que la soif mène à l'amour? Aimer, cela commence toujours par boire avec quelqu'un. Peut-être parce qu'aucune sensation n'est si peu décevante. Une gorge sèche se figure l'eau comme l'extase...
L'amour et la mort sont inséparables: Il m'est donné d'entrer dans l'autre monde sans rien quitter. C'est un départ sans séparation. C'est pourquoi Jésus peut dire qu'il est quelqu'un de présent pour de vrai et que cela ne court pas les rues.
La suite? Pour ce qui le concerne, il la résume ainsi: J'ai débuté la vie éternelle. L'expression consacrée ne signifie encore rien pour moi :
Ce mot d'éternité n'a de sens que pour les mortels.Francis Richard
Soif, Amélie Nothomb, 162 pages, Albin Michel (sortie le 21 août 2019)
Livres précédents chez le même éditeur:
La nostalgie heureuse (2013)
Le crime du comte Neville (2015)
Frappe-toi le coeur (2017)
Les prénoms épicènes (2018)