Le journal belge Le Soir mettait hier soir encore un point d'interrogation, mais l'hypothèse d'un nouveau gouvernement dirigé par Yves Leterme ne semble pas pour le Roi la pire des solutions. Même si ce leader flamand s'est montré depuis des mois incapable de sortir le pays de sa crise (nationale plus que politique ) et s'il a été lâché par les siens.... L'essentiel, pour le Roi, c'est de donner du temps au temps. Pour passer le cap de 2009 qui sera une année très électorale, avec des « Européennes » et des « régionales » qui ne vont pas calmer les passions....
Pour Le Soir, trois scénarios sont possibles après la démission de LETERME...Sous la signature de PIERRE BOUILLON, ce journal résume :
>>>Hypothèse nº 1 : le même Premier ministre
« Il est plausible que le Premier ministre ne cherche pas à être démis de ses fonctions. Dans ce cadre, son offre de démission au Roi est une manière de créer un électrochoc et/ou de gagner du temps. Bref : une fausse-vraie offre de démission. Sur l'air : « Sire, je vous offre ma démission et vous prie de la refuser. » Affaire qui se conclura dans deux, trois ou quatre jours par un communiqué du Palais - du genre : « Le Roi a refusé la démission du Premier ministre et l'a prié de se remettre à la tâche... »
>>> Hypothèse nº 2 : un nouveau Premier ministre
« Il est possible que Leterme s'estime personnellement grillé. Il le fait valoir au Roi. Lui seul saute et le Palais (lisez : les partis de la majorité) lui cherche un remplaçant. Qui ? Guy Verhofstadt ? Improbable (en tout cas, son parti ne le souhaite guère). Un autre CD&V ? Possible. Didier Reynders ? On en parle. Est-ce plausible ? Oui. Mais pour l'intéressé, c'est quitte ou double. Si l'homme parvient à calmer le jeu et à nouer un accord institutionnel pacificateur, c'est bingo. Mais le terrain est spécialement miné et l'on doute que les partis flamands aident beaucoup un francophone à réussir là où ils ont échoué. »
>>> Hypothèse nº3 : de nouvelles élections
« Pratiquement, des élections pourraient avoir lieu à l'automne.Deux périls sérieux. Un : sa faim institutionnelle n'étant pas rassasiée (elle n'a rien obtenu depuis la dernière réforme de 2001), la Flandre se raidit et le scrutin gonfle la voile des nationalistes (Belang, N-VA et Lijst Dedecker). Deux : on vote et on édifie une nouvelle majorité gouvernementale. Bien. Et alors ? Les élections régionales ont lieu en juin 2009. A peine sorti du scrutin fédéral, les partis entreront en campagne électorale. Et le débat institutionnel est plus impossible que jamais - on sait depuis le 10 juin 2007 que ce sont ces régionales de 2009 qui empêchent les esprits de se détendre. Scrutin anticipé = peu plausible. »
>>> Conclusion (provisoire) : « Autant dire que, sauf surprise, la pentapartite devrait sans doute continuer à vivoter (avec Leterme ou sans Leterme...) et que le scénario idéal (disons : le moins mauvais) serait de se laisser « couler » jusqu'en juin 2009. On couple alors scrutin régional et fédéral. Avec, là, un résultat très appréciable : le monde politique arrête d'être en campagne électorale pour un bon bout de temps. Et se parler poliment redevient possible... »
UN ZERO POINTE
En attendant, la presse francophone belge tire à boulets rouges sur Leterme.
Pour Luc Delfosse, éditorialiste au Soir, le «pays est au bord du gouffre». Son édito donne le ton et souligne l'inquiètude face à cette nouvelle situation de crise qui s'ajoute à l'instabilité que vit la Belgique depuis 14 mois. «Yves Leterme est tombé pour la troisième fois. Poignardé par son propre camp, ce cartel qu'il avait imaginé pour reprendre la main sur la Flandre», écrit le journaliste.
«On le savait atrabilaire, soupe au lait: on ne le savait pas pétri de cette vanité qui est l'orgueil des faibles», martèle Michel Konen dans La Libre Belgique. Ce quotidien francophone ne se prive pas de critiquer la politique menée par le Premier ministre pendant son mandat: «Il est vrai qu'après 13 mois de surplace gouvernemental, Yves Leterme ne pouvait présenter qu'un bilan valant un zéro pointé». Sans s'étonner de sa décision, La Libre Belgique lui reproche de quitter ses fonctions au moment où le pays est au bord de la crise économique.
La Dernière Heure condamne elle l'intégralité de son mandat: «Il aura, au contraire, préféré profiter de ses nouveaux habits, enchaînant les voyages tous plus inutiles les uns que les autres, à tout le moins pour l'avenir immédiat du pays», accuse Chrisitan Carpentier, tout en se demandant comment le Premier ministre pourra se remettre d'une telle décision.
La Capitale, quant à lui anticipe en titrant «Didier Reynders futur premier?». L'article revient sur la démission, sur les réactions des différents partis politiques belges, et sur l'éventuel «remplaçant» de Leterme, tout en rappelant que le roi n'a toujours pas accepté (ou refusé) le départ de son Premier ministre.
LE SPECTRE IDENTITAIRE
Le pire, en l'état, c'est que ce qui se passe actuellement risque d'aggraver dangereusement la polarisation entre francophones et néerlandophones qui est déjà de plus en plus manifeste dans la société, dans la vie quotidienne. Un deuxième risque lié au précédent : la poussée de « l'anti-politique » ! Le pays, notent les observateurs, vit dans une situation d'instabilité depuis déjà un an et un mois, et cela dans une conjoncture économique difficile, en Europe comme en Belgique. Dans ce contexte, une nouvelle crise politique et institutionnelle peut avoir des effets très négatifs sur la vitalité et le fonctionnement démocratique du pays.
D'où l'angoisse des ravages de ce que Joffrin appelle « le spectre identitaire ». Il est clair que l'éclatement du royaume serait un échec pour les idées de pluralisme et de tolérance. Donc pour les valeurs sur lesquelles repose la « construction européenne ».
Alain Duhamel, dans Libération, résume : « La Belgique, ce symbole de cohabitation douce et de tolérance moqueuse, est en train de perdre ce qui a fait son identité et sa spécificité. Plus les mois passent, et plus c'est la question du vouloir vivre ensemble des Flamands et des Wallons qui se pose.(...) En quelques années, la Belgique est tombée gravement malade d'un communautarisme aussi archaïque que virulent. (...) Dans ce mouvement de déconstruction irrationnel, la Belgique est en train de perdre aujourd'hui son âme et demain, peut-être, son corps.
(...)Ce qui menace la Belgique, ce qui inquiète le continent, c'est le spectre renaissant d'une Europe des confettis. L'ex-Yougoslavie a éclaté en une demi-douzaine d'Etats dont la moitié ne sont que de maigres provinces. La puissante Catalogne coupe inlassablement les liens qui l'unissent à Madrid. En Italie, la Ligue du Nord prône le séparatisme et refuse de payer pour le Mezzogiorno. L'Ecosse rêve parfois d'indépendance. Les solidarités se défont, les communautarismes s'exhibent, les égoïsmes régionaux se renforcent, et la Belgique, emblème débonnaire de l'Europe, donne l'exemple des replis identitaires anachroniques et agressifs. Bruxelles, capitale des populismes ? » Grave question...
Jacques DEHAIRE