J'ai été cueillie par la performance de Béatrice Agenin qui, tout en étant une immense comédienne, nominée il y a quelques années pour un Molière, m'a semblé avoir "le" rôle de sa vie (il faudrait en fait l'écrire au pluriel puisqu'elle se démultiplie).
Rien d'étonnant à cette perception : Gérard Savoisien a écrit le texte pour elle et elle y déploie de multiples facettes. Il a ciselé des dialogues comme tout comédien peut en rêver. La statuette de Molière se profile derrière les ombres de Marie et de George.
Au début, on voit Marie âgée, accoudée à une table de bistrot parisien, refusant un verre d'absinthe, souffrant manifestement de la solitude, nous disant apprécier la terrasse du café parce qu'elle y contemple le théâtre de la rue. Elle s'adresse au spectateur comme à un confident et ne tardera pas à lui dire ce qu'elle a sur le coeur.
Elle n'a pas toujours été cette femme, financièrement à l'aise, et pourtant si malheureuse. Ses yeux s'évadent et elle redevient la gamine inculte qui quémande une place de bonne à tout faire. Nous voilà en une fraction de seconde devant une môme de onze ans qui doit faire face aux aléas et qui récite un CV déjà bien garni en terme de compétences. L'école de la vie lui a appris beaucoup de choses utiles et George Sand l'engagera sur le champ pour ramasser les œufs pour la cuisinière et s'occuper des poules.
Béatrice Agenin est bluffante dans l'alternance des rôles, des âges et des accents. Au contraste qui se révèle entre les deux femmes, s'ajoute le décalage entre l'image féministe que l'on a de George Sand et sa détermination à ce que son fils fasse un mariage de raison. Que ce soit la même comédienne qui interprète et défende les différents points de vue est totalement bluffant.
La mise en scène n'a pas besoin d'effets. Elle est discrète et efficace. Comme le sont les éléments de décor et les accessoires. La reproduction du château est une maison de poupée qui évoque l'amour de George Sand pour les enfants et son inclinaison pour écrire (aussi) de la littérature jeunesse.
On sait qu'elle avait créé un théâtre de marionnettes et c'est en toute légitimité que celles-ci apparaissent entre les mains de son fils Maurice.
Gérard Savoisien n'a rien occulté du contexte sociopolitique de l'époque, que ce soient les idées révolutionnaires de 1848 ou la noirceur de la guerre de 1870, ni du caractère de George Sand, tiraillée entre sa condition de femme et son ambition. Il a écrit une leçon de lecture qui est un petit bijou. On apprend combien George avait le goût du jardinage. C'est aussi une ode au théâtre puisque la servante s'exercera à la comédie (elle interprètera 35 pièces écrites par George Sand). C'est enfin un manifeste sur la condition de la femme, si souvent soumise au droit de cuissage, et sur la banalité avec laquelle les hommes séduisaient le personnel sans se soucier des conséquences ... même si parfois apparaissaient des sentiments.
L'enthousiasme du public fut total, sans bémol, et chacun de nous recommanda sans nul doute le spectacle autour de lui comme faisant partie de ceux qu'il ne fallait pas manquer, et qu'il était astucieux d'aller voir sans délai parce que, on en était certain, il afficherait très vite complet. Ce fut pure vérité. A l'instar d'Une Vie, au Chien qui fume, avec Clémentine Célarié qui interprète un autre portrait de femme comparable en terme d'intensité ... elle aussi mise en scène par ... Arnaud Denis (voir en fin de cet article).
Décor de Catherine Bluwal et lumières de Laurent Béal
Au Théâtre Buffon à 18h - 18 rue Buffon - 84000 Avignon - 04 90 27 36 89
Ayant un certain nombre de lecteurs en banlieue sud, je voudrais rappeler qu'après le Théâtre Firmin Gémier, à Antony (92) de 1984 à 1991, Gérard Savoisien a dirigé le Théâtre du Coteau, au Plessis-Robinson de 2008 à 2016. En juillet 2018, sa pièce Mademoiselle Molière, mise en scène d'Arnaud Denis avec Anne Bouvier et Christophe de Mareuil a été créée au théâtre Buffon. Reprise en septembre au Théâtre Le Lucernaire puis de fin janvier à fin mai 2019 au Théâtre Rive Gauche. Elle a été nommée aux Molières 2019 comme Meilleur spectacle de Théâtre Privé et son interprète féminine, Anne Bouvier, a reçu le Molière 2019 de la Meilleure comédienne dans un spectacle de Théâtre Privé.
** *Je suis revenue au Buffon pour voir Nos années parallèles, qui un autre spectacle très touchant, et pour Le K, où Grégory Baquet est fabuleux. Je connaissais déjà Trahisons, (toujours au Théâtre Buffon mais à 19 h 40) vu au Lucernaire (et qui était déjà programmé en Avignon l'an dernier), avec Gäelle Billaut-Danno (dont je parlerai bientôt car elle joue aussi La journée de la jupe au théâtre du Balcon où elle est -elle aussi- extraordinaire).** *Nos années parallèles, texte et musique de Stéphane CorbinMise en scène de Virginie LemoineAvec Valérie Zaccomer et Alexandre FaitrouniLumières de Denis KoranskyCostumes de Julia AllegreChorégraphies de Wilfried BernardDécor de Grégoire LemoineAu Théâtre Buffon à 16 h 20
Nos années parallèles est un duo entre un homme et une femme qui l'interprètent comme une valse prise dans un swing.
On m'avait prédit que je serais émue et j'avais vu sortir plusieurs spectateurs en larmes (juste avant d'entrer dans cette même salle pour voir Marie des Poules). J'étais donc prévenue, ce qui m'a sans doute permis de ne pas me laisser chavirer mais je reconnais qu'il y a de quoi ... même si au final il y a tant d'amour qui circule que l'on ressort avec une sorte d'apaisement.
C'est Stéphane Corbin qui a écrit le texte (lequel a fait l'objet d'abord d'un livre paru chez Lamao Editions en novembre 2017). Personne d'autre que lui n'aurait pu en composer les chansons (tout en ayant l'intelligence de reprendre des titres qui sonnent justes comme Amoureuse de Véronique Sanson, parce que les chansons c'est comme des photos qui parlent) et de plus il interprète la musique en direct sur le plateau ce qui participe à l'émotion dès que l'on devine qu'il assiste au déroulement de sa propre histoire ... même si ce sont les photos de Valérie Zaccomer et Alexandre Faitrouni enfants qui figurent sur l'affiche.
Valérie Zaccomer et Alexandre Faitrouni interprètent respectivement la mère et le fils. Ils racontent tour à tour ce que furent leurs dernières années communes, intenses et chaotiques puisque le destin les séparent, physiquement et de manière radicale, mais on s'apercevra que les souvenirs les rapprochent sans cesse. Ils communiquent sans se parler, font parfois les mêmes actions en miroir, et occupent de temps en temps le territoire de l'autre.
Tous les deux chantent aussi, ce qui apporte une dimension de légèreté. Quant aux confidences les plus fortes, elles sont murmurées en chuchotant, ce qui amplifie la charge émotive.
Virginie Lemoine a conçu une mise en scène juxtaposant leurs deux espaces, essentiellement un grand fauteuil club pour elle, un escabeau pour lui ... alors que l'auteur-compositeur est discret derrière son piano, à cour ... mais très présent, et son visage est souvent très expressif. Quel sourire quand le comédien évoque le gamin de la campagne rêvant de la grande ville, porté sur une seule chose, la musique.
La mère a vécu un deuil et mesure ce que son propre départ provoquera bientôt. Chacun peut se projeter dans les personnages et le spectacle est conçu de manière à ce que le spectateur ait le temps de laisser affleurer ses propres souvenirs qui, parfois, peuvent se juxtaposer à ceux des personnages, comme pour moi celui de la tarte au citron du Loir dans la théière et sa meringue insensée.
Tout sonne juste. Il est vrai que plein de gens aujourd'hui se sortent des pires cancers. Mais il est vrai aussi que cette maladie fait des ravages. Les paroles sont d'une tendresse absolue. On se refuse tous à croire que le temps auprès de ceux qu'on aime nous soit compté Quel que soit le nombre des années ce n'est jamais trop. Ici c'est particulièrement court.
La fin, sans chercher à la spolier, est magnifique. Il faut parler aux êtres chers de nos rêves et ne jamais douter qu'ils sont heureux pour nous, ce qui autorise à devenir fort. Comme Stéphane Corbin que l'on salue autant que les comédiens.
Il a sorti sous son nom deux albums écrits avec son père et son frère. Il a donné plus de 700 concerts dans toute la France, et fait les premières parties de Juliette et de Thomas Fersen. Enfin il est aussi l'initiateur du collectif musical Les Funambules, qui rassemble plus de 400 artistes luttant contre l'homophobie.