Je travaille d'ailleurs, toujours avec au-dessus de ma tête, deux figurines, une de Snoopy & Charlie Brown, dont les têtes sont en fait deux clés USB, qui n'ont jamais servi de la sorte, et qui veillent sur moi qui pianote. Et Stitch. Mais bon... ce sera pour une autre chronique.
Le succès des candides dessins de Charles M. Schulz est vite devenu planétaire. Bien des gens, ne serais-ce que les émigrés, ont vécu le sentiment de dislocation, les malchances, les calamités qui faisaient le quotidien de Charlie Brown. Un quotidien que Schulz a servi à l'Amérique du Nord, dans les journaux, pendant si longtemps. Et dans les coeurs, plus longtemps encore.
Cet être vulnérable, placé dans un monde hostile faisait écho. Charlie Brown négociait tous les jours avec les échecs. Et restait candide, quoique souvent fataliste, dans le processus.
Bien que les premiers dessins étaient riches en décors et en détails, très vite, Schulz a limité l'environnement de ses merveilleux personnages et les as volontairement placés dans des décors quasi inexistants. Ce qui nous forçait le regard sur leurs propos. Il y a très peu à se mettre sous l'oeil en terme de perspective. Ça importe d'ailleurs assez peu. Car Schulz nous a saisi de ses personnages. Et bien souvent, presque toujours, il y a plus à comprendre que ce qu'on y voit ou lit. Une série de vignettes nous montre un Snoopy fuir une pluie envahissante pendant 12 cases. Avant de terminer sa fuite, tranquille, couché sur sa niche, sous cette même pluie. Choisissant de vivre avec son problème.
Je me souviens, enfant comment Charlie Brown et ses amis se distinguaient franchement de mes autres héros de BD. Dans Calvin & Hobbes, on passait dans un univers imaginaire et irréel assez facilement. Chez Fred encore plus. Gottlieb nous présentait des milliers de grimaces. Et de l'extrémisme dans les gags. Charlie et ses amis étaient si simples. Dans des décors encore plus simples. Ils étaient plus près de nous. De 0 à 17 ans, j'ai connu la vie exclusivement accompagnée de chien(s). Parfois deux. J'ai commencé à écrire assez tôt dans la vie. Dès la maternelle, je lisais et écrivais. Snoopy ne pouvait que m'attirer.
Dans un cartoon du genre, Sally et Charlie sont de dos pendant 8 cases dans à peu près la même position parlant du ciel. Le ciel est noir. Le rien les entoure. Le noir les enveloppe. Rien ne se passe vraiment. Il n'y a pas d'action. Sinon de la conversation. Même Gaston Lagaffe était plus actif. Mais le cartoon est extrêmement vivant. Par ses possibilités, ses interrogations, son humanité. Schulz faisait des merveilles avec du rien. Si Schulz y met trop de distractions visuelles, sonder les troubles intérieurs devenait assurément moins efficace.
Charlie Brown c'était En Attendant Godot. Dans la toujours étonnante et inconsciente continuité mentale, j'ai toujours adoré la pièce de Beckett (et le reste de Beckett).
Souvent, une case avant la dernière, on laissait les personnages (le lecteur) réfléchir et personne ne disait rien. On digérait ce qui venait de se passer. On pensait. Penser à l'image: TOUJOURS payant.
Le rythme volontairement lent laissait un espace pour réfléchir avant la chute. Son rythme de réflexion suivait celui de Mr.Rogers. Dont Hollywood s'empare présentement du personnage. Comme quoi il est encore important de s'accorder des tonnes de moments de réflexion.
Étrangement, en français, ça été moins direct l'accueil du personnage à tête d'horloge sans cheveux un brin emo.
Ça a été "Snoopy" avant "Good Ol' Charlie Brown".
Comme si on avait eu peur d'exposer le plus existentiel des deux personnages.
Comme si on avait eu peur de s'explorer de l'intérieur.
On a choisi l'animal avant l'homme.
C'était d'ailleurs un univers exclusif d'enfants. Qui parlait tant aux Hommes et aux Femmes.
Bertold Brecht aurait approuvé les personnages. Les vignettes relevaient du théâtre. La modernité de Lucy assise à sa cabine de psychologue, c'est absolument du Brecht.
Le succès et la beauté de leurs univers est qu'aux million de questions de posées dans leur vignettes, des questions "d'enfants" (celui qui sera toujours en nous), il n'existe pas de franches réponses. La pluie de question se noie dans l'océan. À la toute fin, il n'y a pas de réels perdants, ni de gagnants. Ce n'est jamais du drame. C'est tout simplement la vie.
L'océan rond comme la tête de Charlie, de la vie.
On y nage, on en dompte les vagues, on en a peur, on s'y amuse, on s'y noie.
On s'y voit comme dans un miroir.
On y réfléchit comme les deux pieds au bout du quai.
Flirtant avec l'absolue liberté.