Partager la publication "[Critique] ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD"
Titre original : Once Upon A Time… In Hollywood
Note:Origine : États-Unis
Réalisateur : Quentin Tarantino
Distribution : Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Al Pacino, Margaret Qualley, Emile Hirsch, Kurt Russell, Damian Lewis, Luke Perry, Michael Madsen, Dakota Fanning, Timothy Olyphant, Scoot McNairy, Zoë Bell, James Remar, Lena Dunham, Martin Kove, Maya Hawke, Bruce Dern, Damon Herriman…
Genre : Drame
Durée : 2h41
Date de sortie : 14 août 2019
Le Pitch :
Hollywood, 1969. La star de la télévision et du cinéma Rick Dalton a bien du mal à se maintenir en haut de l’affiche. Alors que les bons rôles se font rares, lui et son ami, le cascadeur Cliff Booth, tentent tant bien que mal de s’adapter aux nombreux bouleversements que l’industrie du divertissement est en train d’encaisser. Sharon Tate pour sa part, l’épouse du réalisateur Roman Polanski, emménage dans sa nouvelle maison sur le hauteurs de Los Angeles. En pleine ascension, elle profite de la vie qui s’offre à elle. Des personnages qui ne se doutent pas qu’à quelques encablures de leur paradis en pleine mutation, se trame un événement qui pourrait bien tout changer…
La Critique de Once Upon A Time… In Hollywood :
Voilà plusieurs mois que le neuvième film de Quentin Tarantino (dixième si on distingue les deux volets de Kill Bill) ne cesse de faire parler de lui. Tout spécialement depuis sa présentation cannoise, qui a affolé les critiques malgré la relative et incompréhensible indifférence du jury qui n’a pas jugé bon de lui remettre un prix. Tarantino qui, après Les Huit Salopards, nous ramène à une époque charnière dans l’histoire d’Hollywood mais aussi des États-Unis, avec une immersion dans les coulisses de l’usine à rêves avec en toile de fond les sombres forfaits de la « famille » du gourou Charles Manson…
De l’autre côté du miroir
Once Upon A Time… In Hollywood est surprenant à plus d’un titre. Parce qu’il ne cadre pas avec son époque et cette tendance à l’uniformisation afin de ne surtout plus heurter personne, mais aussi avec la filmographie de son auteur. Non pas que le neuvième film de Tarantino ne contienne pas suffisamment d’éléments permettant d’immédiatement l’identifier comme un pur Tarantino movie mais plutôt car le réalisateur semble lui-même s’amuser avec les attentes des spectateurs. Un peu comme pour nous prouver qu’au bout de toutes ces années, son cinéma est toujours en mouvement et que oui, il est toujours capable de nous prendre à revers pour mieux nous saisir. Alors que la promo laissait présager un ultime délire bien méta, gorgé de références jubilatoires, l’œuvre qui se présente à nous arrive à s’extraire des prédictions pour aller dans plusieurs directions à la fois. Toutes se montrant relativement inattendues. Même quand il fait se télescoper une certaine réalité, en faisant intervenir des figures connues du Hollywood de la fin des sixties, comme Sharon Tate donc mais aussi Steve McQueen ou Bruce Lee, Tarantino utilise ses personnages, ceux qu’il a inventé de toutes pièces, pour mieux nous perdre dans un maelstrom d’emblée fascinant. Fascinant car aussi tentaculaire que propice à des surprises en chaîne, plus ou moins spectaculaires de prime abord mais toujours extrêmement stimulantes.
En août 1969, Tarantino avait 6 ans et devait commencer tout juste à se construire la culture cinématographique monstre qu’il n’a cessé de mettre à profit depuis ses débuts. Dans une totale et bienvenue compréhension du contexte dans lequel il a choisi d’immerger ses anti-héros, le cinéaste revient ainsi à la source de sa passion pour le cinéma et finit par nous livrer son film le plus personnel et aussi le plus touchant. Comme s’il avait décidé de mettre de côté certains des gimmicks que l’on identifie le plus à son style pour se mettre à nu. Dans Once Upon A Time… In Hollywood, le style Tarantino se fait donc le plus visible quand l’auteur reconstitue le cinéma et les séries de l’époque, en plongeant le personnage de Leonardo DiCaprio dans des univers la plupart du temps western, avec supplément d’exagérations « pulp » et un second degré appuyé parfaitement fidèles à ce qui se faisait en 1969 à l’ombre du panneau d’Hollywood.
Entre rêve et cauchemar
Acteur un peu has-been, Rick Dalton se retrouve à jouer le méchant dans des séries TV, mettant sa réputation acquise au fil de quelques films ayant fait parler d’eux il y a des années, au service de réalisateurs peu prompts à le laisser s’exprimer comme il le voudrait. Un galérien du divertissement que Tarantino fait aussi témoin de ce moment crucial, où à l’aube d’une tragédie traumatisante, toute l’industrie s’apprête à se réinventer. Le Tarantino « typique » se laisse ainsi aller quand il fait tourner Dalton dans des westerns ou des films de guerre ou d’espionnage, mais se met en retrait quand la réalité reprend le dessus. Même si parfois, c’est plus relatif. Quand il n’est plus sur le plateau, Dalton apparaît donc comme le pivot d’une histoire avant tout centrée sur les changements à venir. Changements ayant amorcé la naissance de ce que l’on a appelé Le Nouvel Hollywood. Un mouvement qui s’est nourri du déferlement de violence symbolisé par le meurtre de Sharon Tate par la « famille » de Charles Manson pour modifier sa vision de la violence à l’écran ainsi que sa représentation. Le long-métrage racontant également du même coup, et c’est parfaitement logique, la fin de l’utopie hippie. Le dernier quart prenant place la nuit de la tragédie de Cielo Drive, à une semaine du festival de Woodstock et à quelques mois de la catastrophe des Rolling Stones à Altamont (où un spectateur s’est fait tuer par un des Hell’s Angels chargé de la sécurité. Un événement qui, après l’affaire Manson, a définitivement mis un point final au Summer Of Love). Tarantino, en grand cinéphile, utilise ici ses références différemment que dans ses œuvres précédentes. Ici, la mise en abîme est totale et pertinente et laisse plus de place au réalisateur pour vraiment s’exprimer sans se rattacher à des repères. Un beau pied de nez à ses détracteurs qui lui ont toujours reproché de ne faire que d’habiles collages en piochant à droite à gauche. Once Upon A Time… In Hollywood se démarquant finalement de la démarche disons habituelle du cinéaste, que l’on reconnaît tout de même suffisamment pour jubiler avec des dialogues brillamment écrits et autres éclairs de violence presque cartoonesques mais néanmoins lourds de sens.
Il était une fois Tarantino
Moins de digressions, moins de longues plages dialoguées, montage plus imprévisible, narration déstructurée mais là encore inattendue… Once A Upon A Time… In Hollywood ne cesse de s’imposer des défis pour le moins ardus mais se montre en permanence à la hauteur. Y compris dans sa manière d’utiliser son casting. Au centre, Leonardo DiCaprio, touchant, brillant, pathétique, drôle et déchirant, répond à un Brad Pitt impérial. L’acteur retrouvant complètement son mojo pour nous gratifier d’une performance à inscrire directement parmi ses plus réussies. Charismatique comme ce n’est pas permis, il trouve sa place dès sa première apparition et impose son personnage de cascadeur un peu loser mais tellement cool qu’on en vient à se demander si, comme Tyler Durden, il n’est pas le fruit d’une imagination pervertie. Mais non, Cliff Booth est là et bien là, avec ses lunettes de soleil, ses postures de héros flamboyant, son chien (important le poilu) et sa chemise hawaïenne. Un duo incroyable, parmi les plus intéressants, les plus stimulants et les mieux écrits que le cinéma américain nous ait offert depuis que les lettres HOLLYWOOD trônent tout en haut de la colline en haut du Griffith Park. Mais il y a aussi Margot Robbie, incandescente, fragile en apparence, pétillante et rock and roll, en Sharon Tate. Un rôle hommage à bien des égards déchirant, démontrant là encore que Tarantino a trouvé avec ce film la meilleure manière qui soit de traiter de la naissance du Hollywood dans lequel il a grandi. Un Hollywood de légende bâti par des géants pour des géants, mais également perverti de l’intérieur et de l’extérieur. Et bien sûr, on n’oublie pas la flopée de seconds rôles prestigieux. De Al Pacino, jubilatoire, à Bruce Dern ou Margaret Qualley, parfaite Manson Girl, ils sont impeccables. Mention spéciale à Luke Perry, dont la petite apparition s’avère très touchante, surtout compte tenu des circonstances.
Réalité et fiction
Complexe, le neuvième film de Tarantino l’est assurément. Bien plus en tout cas que sa bande-annonce ne le laissait présager. Pourtant, il coule de source. Construit de telle façon que ses 2h40 passent en un clin d’œil, visuellement magnifique, notamment grâce à la précision apportée à la reconstitution du Los Angeles des années 60, il se montre aussi impertinent et brutal que poétique et émouvant. La fin, dont on ne dévoilera rien, laissant totalement abasourdi. Un dernier acte incroyable, jusqu’au-boutiste et véritablement intelligent. Intelligent car c’est là que la démarche de Tarantino prend véritablement tout son sens et que sa plongée dans un Hollywood en mutation s’impose définitivement, avec fougue et audace, comme une authentique réflexion sur le pouvoir du cinéma. Avec Once Upon A Time… In Hollywood, Tarantino disserte sur la violence et sur notre rapport à cette dernière. Sans se priver de parler de manière sous-jacente de notre époque et de ses nombreux travers vis à vis justement d’une industrie en plein trouble, il tacle ceux qui ont toujours pointé du doigt son cinéma pour sa propension à exploiter la violence, se montre nostalgique, impitoyable mais aussi plein d’espoir. Au final, Quentin Tarantino, ici plus que jamais, utilise ses compétences pour nous rappeler le véritable rôle du cinéma. Sans se poser comme un sauveur providentiel (ce qu’il est pourtant), il nous met face à nos attentes et à nos rêves et utilise le contexte de son histoire et ses personnages pour nous bouleverser littéralement. Avec une grande simplicité, beaucoup de sagesse et une modestie très à propos, en profitant de l’occasion pour construire à la toute fin quelque chose de nouveau. Quelque chose de plus lumineux, de bienveillant de profondément déchirant.
En Bref…
Récit d’une année qui a tout changé, chronique d’un drame, immersion dans les coulisses du cinéma en compagnie de deux âmes différentes mais toute aussi cabossées, drame prégnant et émouvant, comédie hilarante, film choral jubilatoire… Once Upon A Time… In Hollywood est tout cela à la fois. Un chef-d’œuvre total, complexe, fascinant, possédant de nombreux niveaux de lecture, dont on n’est pas prêt d’avoir fait le tour. Un film important. Dans la filmographie de Tarantino mais aussi pas seulement, tant il dit de choses sur le cinéma, son époque et la notre. En soi, même s’il a prévu d’en réaliser un 10ème, fidèle à son pan initial, ce film pourrait tout à fait constituer la conclusion parfaite pour Tarantino, ce cinéaste dont la passion, ici plus que jamais, nourrit une verve pleine de fougue et dont la maturité ouvre la porte à des sentiments à fleur de peau auxquels il ne nous avait pas vraiment habitué. Pas sûr qu’on voit mieux de sitôt sur un écran de cinéma.
@ Gilles Rolland