Margo Berdeshevsky – Coupé

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Soleil cou coupé –Apollinaire

Dans leurs messes basses de jours usés jusqu’à la corde
telle une ceinture boulochée de vieille nonne nudité cachée
sous sa nuit de bure

Devant leurs escargots à l’ail et la bénédiction
d’un après-midi en bord de Seine ––l’une avant
sa nuit dans les bras d’un amant, l’autre sans
rien, sauf Paris…

alors qu’à mi-voix elles parlaient présidents
bidon et catastrophiques, de bombe qui a failli
tuer hier soir, que celle dont l’œil est plus noir
voulait que l’autre lise les Naufragés et les Rescapés

de Primo Levi–– alors que l’une et l’autre savaient bien
que c’était un de ces mardis, de ces novembre à prendre
ou à laisser sinon cet après-midi
la semaine prochaine

Alors que l’œil-plus-clair évitait une abeille
sur son visage et que l’autre la chassait d’une taloche,
que l’une et l’autre se rencognaient devant l’aiguillon, l’une
a levé son verre de vin vide qui savait attraper

une abeille en plein vol et l’asphyxier, l’a coincée
entre nappe et cloche, et elles de rester là sourdes
aux bêlements de la bestiole qui agitait ses pattes
maigrichonnes, se retournait et roulait sur

son corps doré tandis que continuaient les messes basses
sur les fins du monde, jusqu’à que celle qui ne cessait
de la regarder mourir sans avoir piqué, n’en pouvant plus
de son agonie, ait fait glisser verre et prisonnière

jusqu’au bord de la table fait acte de contrition
fait basculer le verre et tomber l’abeille délivrée dans
les éclats par terre sous l’œil du garçon
qui applaudit––

*

Cut

Soleil cou coupé —Apollinaire

While they whispered of frayed days like knots
on an old nun’s robe-tie, her nakedness hidden
under dark cloth

While they lunched on garlic snails blessed
one afternoon by the Seine— one
with a lover’s arms to bed in that night, one
with none, but Paris…

While they whispered sham & disaster of
presidents, the bomb that almost but
didn’t kill last night the darker-eyed of the two
begged the other read Levis “The Drowned

and the Saved” — while each knew it
was such a Tuesday, such a November to
choose or not to if not this afternoon
next week

While the lighter-eyed one swerved a bee from
her face and the other swatted it from hers until
each cringed to not be stung, one
lifted her empty wine glass knowing how to

capture a bee in flight & stifle, trapped it
between tablecloth & overturned bell jar, it
bleated they didn’t hear its cry inside, it kicked
thin legs & turned over & turned over its

gold body while they whispered of ends
of time & one of them kept looking at it dying
not stinging them & when she couldn’t watch
the dying any longer, slid the glass & its capture

toward the table’s edge act of mercy act of shame
& the glass tipped, fell, the bee fell out the slipped
glass shattered & the waiter watched
& he applauded —

***

Margo Berdeshevsky (née à New York)Before the Drought (Glass Lyre Press/2017) – Siècle 21 N° 30, printemps 2017 – Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Migrenne.

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