Quand j’en étais au dernier chapitre, le tonnerre roulait au loin. J’avais commencé dans l’effort, dans le « furvent », sans me rendre compte que, page après page, j’entrais dans la horde (avec ou sans majuscule). Je n’y étais rien que celui qui accompagne, qui peut-être irait jusqu’au bout. C’est alors que je découvris que la pagination partait de 700 et s’inscrivait à rebours. Ce fut la première partie de l’expérience : on ne lit pas de la même façon quand on va vers zéro, parce que c’était ainsi annoncé. J’ai très vite abandonné les villages des « abrités ». Les membres de la horde, sélectionnés depuis l’enfance, étaient engagés dans le contre. Une équipe ? C’était autre chose : une entité faite de plusieurs (je sortais du spectacle des Fugaces, Vivants, où chaque spectateur, chaque spectatrice était partie prenante du personnage qu’il-elle suivait, et Alain Damasio semblait aimer les mots commençant par « f »). Une entité plus qu’un groupe avec leader. Des « vifs ».
Chaque fonction — du croc jusqu’au traceur — est indispensable à la vie de la horde dont la mission est d’aller à pied vérifier l’origine du vent et ses neuf formes. Traverser des paysages hostiles, rencontrer des Fréoles, lutter contre les Poursuiveurs. Aller à l’origine, à « l’Extrême-Amont », est-ce aller au point zéro ? Ou bien à l’oméga, signe que chaque membre de la horde a tatoué sur l’épaule, lettre qui désigne Golgoth, le neuvième du nom, traceur. Peu à peu, je me suis dit que peut-être le point zéro et l’oméga n’étaient qu’un seul et même lieu, soit celui de l’éternel retour soit nulle part. Un peu comme l’aventure spatiale qui vise à nous donner des informations sur le big bang en y allant et pas seulement en le photographiant. En allant, dans le futur, vers le passé. Mais c’était oublier les épreuves à venir. Épreuves physiques, confrontation à la mort, celle des autres et la sienne propre, capacités extraordinaires des mots (le duel oulipien du chapitre XII étant lui-même outrepassé par la nature du troubadour, Caracole), puissance des livres dans la tour d’AEr à Alticcio (une ville qui trouverait sa place dans Les villes invisibles d’Italo Calvino), glyphes porteurs d’annonces ou de menaces, écriture même du vent que maîtrise le scribe…
Après Alticcio, où domine l’organisation sociale (les « Tourangeaux » en haut, les « racleurs » en bas), on retrouvera les parents (« mais le vert paradis des amours enfantines / l’innocent paradis plein de plaisirs furtifs, / est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ? », écrivait Baudelaire), et puis c’est comme dans un conte, comme on voit un foetus à la fin du film 2001 Odyssée de l’espace… Mais il faudra encore traverser toute la mort, et ça n’est pas de tout repos !
La lecture de ce livre, plus qu’une lecture, c’est une expérience, une lexture.
Oroshi, l'aéromaîtresse, y déclare : « Je ne crois rien. J'apprends. »