Enlève-moi mes bottes

Par Vertuchou

- Enlève-moi mes bottes, fit-elle d'une voix petite et comme enrhumée. J'ai si froid aux pieds. Ils sont tout mouillés."
Sous ses bottes de caoutchouc dans lesquelles clapotaient deux flaques menues, elle portait de grosses chaussettes d'homme en laine, toutes trempées. Grange les fit glisser. Ses yeux le piquaient, une espèce d'angoisse tendre le prenait à la gorge..... Il toucha du bout de ses doigts les doigts petits et mouillés que le froid recroquevillait, puis la plante douce : au bord des ongles un peu bleuis s'étaient accrochés des brindilles de laine, tout à coup, il se sentit fondre à nouveau  d'une pitié tendre et trouble : il y colla sa bouche, il sentit remuer les doigts glacés et les brins de laine crisser contre ses dents.

Soudain Mona détendit ses reins d'une secousse affolée de gibier pris au piège et se renversant sur le divan, l'attira contre elle de ses deux mains : il sentit sa bouche sur la sienne et contre lui tout un corps de femme, lourd et gorgé, ouvert comme une terre enfondue.

En quelques secondes, elle fut nue, ses vêtements arrachés d'elle par un vent violent, plaqués partout contre les meubles comme une lessive qui s'envole sur un roncier, mais au milieu du cyclone, il y avait cette bouche qui se pendait à la sienne, ingénument, goulûment ; il s'était trouvé en elle, sans même y penser "tu es un paradis !" fit-il avec une espèce de stupéfaction paisible........

Il la reprit d'un mouvement doux : de la plante des pieds jusqu'aux cheveux, elle frissonnait toute, mais sans fièvre, presque solennellement, comme un jeune arbre qui répond au vent avec toutes ses feuilles. ...." j'ai trouvé mon bien, comme c'est facile, je suis bien là pour toujours"  De temps en temps, il prenait entre ses lèvres l'une ou l'autre pointe de ses seins qui glissaient un peu de chaque côté de sa poitrine ; il sentait une longue poussée pleine et nocturne, venue de très loin, qui les pressaient contre sa bouche....

"Je t'ai séduit ! "dit-elle d'un petit air satisfait en lui prenant la tête entre ses mains.

Julien Gracq, Un balcon en forêt

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