henri
ce corps sous le plafond de soi
encore un traîne fatigue
nous n’avons qu’une goutte d’être
répandre ce reste serait comme
inonder la Chine avec une cuillère
mais mourir mais marcher mais manger
insuffisent pas d’à quoi bon pourtant
chercher d’abord l’écart propice puis
habiter un silence on peut
ainsi planter sans façon dans sa tête
un cri un clou une pensée en se disant
x’a serait autrement bien pire
qu’est-ce qui est humain une histoire
une histoire de cœur ne fait pas l’affaire
idée action ce sont des loques
je n’est qu’un effort de présence à soi
et un outil fou
fut visage fut noir fut trace
un discours à des décapités
sous le vent de la grande bouche
l’usage tient lieu de courbure au corps
au corps comme à la terre
nous avons notre creux ailleurs
un petit froid la clé perdue dans l’horizon
il vaut mieux plier sa mémoire
tout et rien quelle fumée
rire au ras des lettres fait de l’air
engranger un grain de sable en fait aussi
maison maison à quoi sert la tête
une ombre s’enlise dans les yeux
et la nuit remue
la patience un savon parfait pour les nerfs
en ce siècle cloué au présent chacun
séparé chacun dans la grande banquise
parmi éclats tessons charpies tas tenaces
ailleurs pas d’ailleurs pas de rage non plus
(…)
***
Bernard Noël (né en 1930 à Sainte-Geneviève-sur-Argence, Aveyron) – Vers Henri Michaux (Unes, 1998)