Certains ne fumeront jamais et mourront du cancer du poumon à 29 ans.
Quelle loterie vos vies sur cette planète!
Surtout, suivant le 10 ans habituel de "prime" dans une carrière artistique, entre 1958 et 1968.
Avant que ses veillétés politiques ne viennent épouser la naïveté de Mai 1968 et le garde plus ou moins mature dans ses oeuvres futures. Où j'y trouverai souvent mon compte quand même. Mais comprendrai qu'on le laisse tomber parce que franchement ronflant par moments.
Mais entre 1958 et 1968, il est parfait pour moi.
Et sur ces 10 ans, il participe à facilement 25 films. JLG est en feu.
Survol d'un increvable. À son meilleur. Selon moi.
Une Histoire d'Eau-1958
Co-réalisé, co-scénarisé avec l'ami Truffaut. Une histoire de séduction entre un homme et une femme, du point de vue exclusif de madame. On s'amuse du titre en faisant référence à un titre scandaleusement sexuel en littérature française. La musique y est envahissante. Je l'aurais 100% soustraite. Mais JLG commence. Et est ici surtout au montage. Qui est le principal défaut du film.
Charlotte et Son Jules-1958
"Moi j'ai le droit de danser la java dans la nuit, pas toi"-le Jules à Charlotte. Inacceptable de nos jours. 12 minutes 54 secondes de monologue de "Belmondo" (c'est en fait la voix de JLG qu'on entend en postsynchronisation). Hommage à Cocteau et en quelque sorte et au cinéma muet. Anne Colette fait des grimaces qui seront reprises dans les films subséquents de JLG, par ses héroïnes.
À Bout de Souffle-1959
Inspiré du scénario de Bonnie & Clyde qui leur est passé sous les yeux, JLG choisit de tourner son premier long métrage en road movie beaucoup trop long. Il coupe alors beaucoup au montage et fait naître la jump cut. Il révolutionne. Il aura l'Oscar du meilleur film étranger. Il est lancé dans le monde. Superstar.
"oui mais vous la Nouvelle Vague, vous tourner la rue que des sentiments entre jeunes, jamais rien de politique!" Cette phrase atteindra JLG profondément dans son orgeuil. Il tourne sur la guerre d'Algérie, sur un déserteur réfugié en Suisse (JLG sera lui-même réfugié en Suisse une large partie de sa vie jusqu'à aujourd'hui). Premier effort avec Anna Karina qui deviendra son amoureuse.
Une Femme est Une Femme-1961
Amoureux, sur une idée de Geneviève Cluny, JLG raconte l'histoire d'une femme qui veut avoir un enfant dans le ventre dans les prochains 24 heures. Projet conçu, pensé, écrit et tourné (fantasmé?) pour Anna Karina qui tient le film sur ses épaules. Ensoleillé. Mais Godard ne sera jamais fameux à écrire sur les femmes. Ici, la femme n'est pleinement Femme que lorsque mère.
La Paresse (dans les 7 Pêchés Capitaux)-1961
Film à Sketch à 7 auteurs. JLG hérite de la paresse. Eddie Constantine prend sur le pouce Nicole Mirrel. Les deux jouant sous leur propre noms. Elle veut jouer dans un film avec lui. Constantine est devenu si paresseux qu'il n'attache plus ses lacets lui-même sans offrir la chance à un autre de le faire, il est prêt à le payer pour. Godard aime les voitures. On passe la moitié du film en voiture. Quand Mirrel veut acheter son rôle par la baise, Constantine est trop paresseux pour complaire. L'oisiveté n'est pas la mère de tous les vices. Humour simple.
Vivre sa Vie (film en 12 Tableaux)-1962
Comme son titre l'indique, en 12 tableaux, Nana (Anna Karina) rêve de devenir actrice mais glisse dans la prostitution. JLG méprise, conscient de le faire ou non.
Le Nouveau Monde (dans RoGoPag)-1962
4 Courts-métrages avec 4 auteurs dans une co-production franco-italienne. Godard étant le seul Francais. Rossellini, Godard, Pasolini et Gregoretti. RoGoPaG. Film à sketch futuriste, précurseur d'Alphaville, dans une France post nucléaire. Habilement suggérée par la trame sonore et par les lieux et non pas des effets spéciaux. Orson Welles, devenu un ami, passe dans ce film.
Les Carabiniers-1963
Sur le tournage de RoGoPaG, JLG fraye avec une de ses idoles Roberto Rossellinni. Celui-ci lui glisse l'idée de ce film. Jean Gruault y co-signe la scénarisation de ce film de guerre où 2 hommes pauvres, resteront pauvres, et mettrons leurs vies en jeu. On se demande toujours pourquoi.
Le Grand Escroc (dans Les Plus Belles Escroqueries du Monde)- 1963
Film à sketchs, encore, avec 5 auteurs, qui ont tous comme court-métrage des histoires d'escroqueries. Horikawa, Polanski, Gregoretti, Chabrol et Godard. Dans l'histoire de JLG, qu'il scénarise lui-même, une journaliste des États-Unis, (Jean Seberg) se fait interpeller dans un marché de Marrakech en possession de fausse monnaie. Elle part sur les traces de ceux qui distribue de la fausse monnaie.
Le Mépris-1963
JLG est au sommet de son art. Il fait son Jules & Jim avec Anna Karina, désirée de Claude Brasseur et Sami Frey. Ce sera un Jules & Jim criminel. Odile révèle que son oncle Arthur cache une fortune chez lui. Les deux autres s'y collent pour toucher au butin. Quentin Tarantino avoue que son film Reservoir Dogs s'inspire de l'esprit de ce film. Tarantino aime tant ce film de JLG qu'il baptise sa compagnie de production A Band Apart.
Une Femme Mariée-1964
JLG fait du Bergman. Jamais ne fera-t-il plus près d'Ingmar. Avec Macha Méril, la mère de Pierre Lambert dans Lance & Compte. Une femme mariée à un pilote d'avion rejoint son amant pendant les absences de l'autre. Elle se découvre enceinte...mais de qui?
Montparnasse et Levallois-1965
Autre film à sketch de JLG, tourné à 6 paires de mains, celles, dans l'ordre de Douchet, Rouch, Pollet, Rohmer, Godard et Chabrol. Tout le monde y filme un quartier de Paris vu de ses yeux. JLG choisit de raconter une femme écrivant une lettre d'amour et une lettre de rupture, à su sculpteur de métaux de Montparnasse et à un carrossier de Levallois. Qui aura quoi?
Alphaville-1965
Délicieux film dystopien, comme je les adore, avec Eddie Constantine, devant chasser le professeur Von Braun. qui a aboli les sentiments humains. Très réussi parce qu'on essaie pas d'en faire trop. On colle au réel proche. Beaucoup de parallèles avec Orphée de Jean Cocteau. J'ai acheté dans la vente de fermeture de la Boîte Noire.
Pierrot le Fou-1965
Nouveau Bonnie & Clyde avec Belmondo, qui perd son emploi à la télé et qui file avec sa gardienne d'enfants (Anna Karina "Qu'est-ce que je peux faire? Je sais pas quoi faire?") fameuse épopée tragiquement drôle. Et lunaire Devos. Formidable. J'ai aussi acheté.
Adaptation très libre de deux nouvelles de Guy de Maupassant, La Femme de Paul et Le Signe, JLG raconte la jeunesse, Jean-Pierre Léaud, à la recherche d'un travail, militant contre la guerre du Vietnam, amoureux de la jeune chanteuse Madeleine (Chantal Goya, presqu'elle même), finit par se trouver (inventer?) un job de sondeur et questionne les gens sur leurs principales préoccupations. Film que j'adore autant pour ses moments comiques que pour ses inconforts sociaux, principalement autour des femmes, que JLG ne comprend pas. Et que les Français traitent mal. Encore de nos jours.
Made In USA-1966
Inspiré de l'affaire Ben Barka, mais aussi adaptation d'un roman noir de Donald E.Westlake qui raconte Paula (Anna Karina) et ses fréquentations louches (Léaud entre autre).
Adaptation plus directe de Le Signe de Guy de Maupassant, excellent film qui se veut le portrait de Juliette Jeanson, mère de famille , occasionnelle prostituée, se voulant aussi le portrait de la société française de l'époque. Film formidable dur à trouver. Vu à l'Université et à Radio-Québec, adoré les deux fois. Incapable de retrouver depuis.
Anticipation ou L'Amour en l'an 2000 (dans Le Plus Vieux Métier du Monde)-1967
Films à sketchs à 6 auteurs: Indovina, Bolognini, Autant-Lara, De Broca Pfeghar et Godard sur la prostitution. Godard clôt le film avec J-P Léaud et Anna Karina. Rétro-futuriste et dystopique.
JLG est devenu politiconaïf. Il ne veut faire que des films engagés. En voilà un fort, avec Léaud et la nouvelle amoureuse de JLG, la petite fille de François Mauriac, Anne Wiazemksy qui incarne une étudiante partageant son appartement avec 4 autres jeunes, voulant tous une certaine révolution. JLG y passe de très nombreux de ses messages. Maoistes entre autre. Belle couleur, bel aplomb. Derniers efforts qui m'intéressent vraiment de JLG.
Caméra-Oeil (dans Loin du Vietnam)-1967
Documentaire et argumentaire contre la Guerre du Vietnam, en onze segments réalisés par Chris Marker, Joris Ivens, Claude Lelouch, Alain Resnais, Agnès Varda, Williame Klein et JLG. C'est le projet de Marker qui coordonne les séquences.
Autre film à séquences qui aura 6 réalisations axées autour des paraboles de Jésus et de versets bibliques. Bellocchio, Bertolucci, Godard, Lizzani, Pasolini et Tatolli. JLG place un homme et une femme argumentant, incarnant la démocratie et le révolution ne pouvant co-habiter. Mêmes si leurs idées sont les mêmes.
Week-End-1967
Adaptation très libre (et parfois improvisée) de La Autopista del Sur de Julio Cortazar où un couple doit atteindre, en voiture, Oinville, mais le trafic est immense et la route, sanglante. Avec Jean Yanne et une très jolie Mireille Darc. Léaud y passe encore. Godard se joue de nous à la trame sonore.
JLG voulait les Beatles ou les Stones. Mais les Beatles viennent de perdre leur gérant, fonde Apple, et sont occupés à se préparer à se séparer. Les Stones sont trop contents de l'intérêt et invite JLG en studio pour la création de la chanson Sympathy For The Devil avec des discours de Black Panthers intégrés ici et là. Fameux labo, "dernier souffle" de Brian Jones. JLG sera si frustré du montage final (de Iain Quarrier, un Québécois, présent dans le film) qu'il lui envoie son poing dans le front.
Jamais, selon moi, Jean-Luc n'a été meilleur ou aussi intéressant que durant cette période de 10 ans.
*À Bout de Souffle, Le Petit Soldat, Les Carabiniers, Le Mépris, Alphaville, Pierrot le Fou, One + One.
**Une Femme est une Femme, Vivre Sa Vie, Bande à Part, Masculin/Féminin, Deux ou Trois Choses Que Je Sais d'Elle, La Chinoise et Je Vous Salue Marie (qui est de 1983 celui-là mais bon, j'ai aimé)