Du samedi 17 juillet 2018 au samedi 23 août 2018, Régis Debray a passé Un été avec Paul Valéry en compagnie des auditeurs de France Inter.
Le livre qui porte ce titre est fait, comme les précédents de la collection, des retranscriptions des émissions. Dans la première phrase de la première émission, l'auteur évoque inévitablement le Cimetière marin:
L'été sied à Valéry, un solaire impénitent, un Méditerranéen qui nous enjoint de courir à l'onde en rejaillir vivant.
Paul Valéry (1871-1945) n'est évidemment pas l'homme d'un seul poème, ni seulement poète difficile:
C'est une montagne qu'on peut gravir par plusieurs faces, le poète, le moraliste, le philosophe, le critique, le géopoliticien, le dramaturge, le conférencier.
C'est tout le mérite de Régis Debray, le temps d'un été, d'avoir fait miroiter aux auditeurs plusieurs des facettes de cet illustre inconnu, dont on ignore, par exemple, que la natation est le seul sport qu'il a pratiqué...
Au fil des émissions il montre que Valéry est double, inclassable: il est le bienséant et le frondeur, l'homme d'institution et l'irréconcilié.
En effet il partage son temps entre une vie mondaine charitable, voire intrépide, et un travail d'ermite, voire de misanthrope.
En effet il n'est ni bon ni méchant, c'est-à-dire ni de gauche, ni de droite: Il récuse les deux bords, mais ne se fâche avec aucun.
Oui, mais il pratique le jet de pierres et de grenades, c'est-à-dire de vérités qui ne sont pas bonnes à dire, sur tous les jardins cultivés jusqu'aux plus honorables et respectés.
Il a une grande faculté d'analyse et de prévision, sans doute parce qu'il est l'illustration de son propre précepte: Un homme qui renonce au monde se met dans la condition de le comprendre.
C'est ainsi qu'il fait des va-et-vient entre le spirituel et le matériel, entre nos pensées et nos appareils:
Les oeuvres acquerront une sorte d'ubiquité. Leur présence immédiate ou leur restitution à toute époque obéiront à notre appel. Elles ne seront plus seulement dans elles-mêmes, mais toutes où quelqu'un sera, et quelque appareil.
Ce perfectionniste se révèle bien humain. Il tombe amoureux en 1931 d'une belle sculptrice, mais celle-ci en aime un autre et le lui dit:
Et lui de répondre:
Comment est-il possible d'aimer tant et de ne pas se faire aimer?
C'est certainement ce Valéry-là, qui se laisse aller, et pas seulement en amour, ce Valéry transversal, intempestif et inattendu qui peut retrouver sa place aujourd'hui:
Celle d'un contemporain capital à même de nous aider à devenir nous-mêmes contemporains du temps présent - tâche ô combien difficile et chaque jour à reprendre.
Francis Richard
Un été avec Paul Valéry, Régis Debray, 176 pages, Équateurs
Livre précédent:
Éloge des frontières, Gallimard (2010)
Dans la même collection:
Un été avec Homère, de Sylvain Tesson (2018)
Un été avec Machiavel, de Patrick Boucheron (2017)
Un été avec Victor Hugo, de Laura El Makki et Guillaume Gallienne (2016)
Un été avec Baudelaire, d'Antoine Compagnon (2015)
Un été avec Montaigne, d'Antoine Compagnon (2013)