Où et quand commence-t-on à vivre ? Avec qui ?
Les morts sont là. On ne les voit pas, elle ne les entend pas. Puis l'amoureux s'en va. Fuient les passions, le progrès avec le rire. Les morts restent. Seuls. Nombreux. Ils lui parlent. Vivre c'est les entendre, être avec eux dans le présent.
Et quand elle crie " plus jamais ça ", le Ça est freudien. Il cachait les parents coupables d'abandon, le frère témoin, la mère qui ne portait pas ses parents sur le dos comme Enée, les enfants qu'elle n'a pas voulus. Le Ça du " plus jamais... " éclate. Il prend la voix des morts, il habite au 2 de la rue Złota à Kalisz - ville bien connue qu'elle ne connaît pas. Le Ça rappelle Marceline, et la vie commence.
Annie Zadek nous dit une transformation. L'explication est en bas de page, note n°2 : elle dit pourquoi elle est " peu à peu devenue la Contemporaine des morts. " Elle dialogue avec elle-même, découvre c'est-à-dire soulève une chape, lit, retrouve le silence du présent. Proust lui tombe des mains. Elle entend ses morts, ceux qu'elle s'est choisi, ceux qui lui parlent. Le poème est le seul langage qui lui dit ses peurs.
Elle en fait un inventaire du futur car la peur tient à ce qui peut arriver. Ou réapparaître. Une projection d'avenirs parmi d'autres. L'écrivaine devient medium. Elle parle avec ses morts et craint l'abandon.
C'est le mot clé : abandon des grands-parents par les parents, des parents par les enfants, des morts par les vivants, d'Auschwitz par le tourisme. Être quittée. L'insécurité. Peur que les morts se taisent.
Tel est le savoir que nous transmet Annie Zadek.
Jean-Yves Potel.
Annie Zadek, Contemporaine, Créaphis, 2019, 55 p., 10€
Poezibao avait donné un extrait de ce livre dans le cadre de sa revue Sur Zone.
" Pourvu qu'elle ne meure pas trop vite Marceline !
Quelle hécatombe ces derniers temps !
Imre Kertesz et Opalka,
Pina Bausch, Franz West, Louise Bourgeois,
Chris Marker et Leonora Carrington,
[Peter] Zadek,
George Romero,
Maldiney, Dagognet, Glucksmann,
Harnoncourt, Appelfeld, Wajda,
Manoel de Oliveira,
et cætera, et cætera...
Tous ceux qui ne sont pas morts du sida, meurent aujourd'hui de mort individuelle de masse !
Sans parler de nos pères et mères,
de la banquise,
des abeilles,
toutes ces espèces qui disparaissent !
Elle dit que le passé est présent,
que le temps n'efface rien,
n'use rien,
qu'elle se souvient encore de tout. "