Bataille d'Hernani à la première de ce Don Giovanni orangeois. Il faut dire que le metteur en scène David Livermore n'y va pas par quatre chemins. Les anachronismes abondent, voitures et calèches font bon ménage, costumes d'époque ou modernes, vus et revus, alternent et se suivent, on se menace à coups de revolvers à qui mieux mieux dans une espèce de no man's land sans âge... Bref, un décalage, un dépoussiérage qui se veulent d'actualité mais sentent le roussi avec ça et là des idées vues un peu partout.
Même les partouzes bisexuelles du "Grand Seigneur, Méchant Maître" ne choquent plus, ne font pas même pas sourire, les scènes du Commandeur tombant à plat dans le genre règlement de compte à la Tarantino.
Un écho d'une forme de lutte de classes avec un Commandeur, maffioso diplômé, qui se veut le personnage dominant de notre temps face à un Don Giovanni sorti du Siècle des Lumières puis des révolutions ?
On y croit peu... car à force de vouloir faire moderne, ce spectacle finalement reste classique... à l'aune des productions actuelles qui polluent la planète.
Comme si David Livermore a eu peur d'aller au bout de ses idées. L'amphithéâtre romain, que l'on a connu plus bondé que cela, n'a pas manqué de lui prouver son mécontentement.
Seule l'idée de la vie de tous les jours, de la fuite vers le plaisir du sexe à tout va constitue ce maigre fil conducteur (dans des projections à la fois poétiques ou psychédéliques), sans lequel Don Giovanni ne serait pas l'Opéra des opéras.
En ce soir d'août, cette course à l'abîme, cette rage de vivre entre mensonge, trahison, viol, travestissement, offrent des images banales, rebelles au texte et à la musique. On sent très peu cette volonté de brûler les étapes, d'atteindre un dernier orgasme purificateur ou punitif, avant de rejoindre les ténèbres. Pour Livermore même si la chair est triste, quand la fesse va tout va ! Eros et Thanatos même combat.
Si dans ces conditions, les rapports humains entre les personnages prennent une importance particulière, on reste quand même loin des pièges métaphysiques voulus par le compositeur et son librettiste, la sombre gaîté de la musique passant carrément à la trappe.
En grand seigneur méchant homme, sexy en diable, Erwin Schrott casse littéralement la baraque, crève l’écran, brûle les planches et domine la distribution. Rageur, cynique, crapule, machiste comme une horde de gays cuirs ibériques, arrogant, vigoureux, d’une présence scénique presque trop autoritaire, le baryton-basse uruguayen, la quarantaine victorieuse, lâche ses hormones à tous vents et nous gratifie d’une éblouissante leçon de chant, tour à tour séducteur-jouisseur raffiné au timbre de velours ou vrai voyou arrogant, égoïste, imbu de lui-même, à l’aise comme pas deux dans la tierce aiguë. Sa belle vocalità de basse a toute la projection et l’insolence exigées. Une très grande composition.
Son valet souffre-douleur, Leporello, ne lui volera hélas pas la vedette. On a connu Adrian Sampetrean, remarquable acrobate, plus en voix. Un buffo un tantinet vulgaire, mais plein de vivacité, d’esprit, heureusement…
Belle présence de Stanislas de Barbeyrac en Ottavio. Comme suspendus dans le temps, ses deux airs ont su faire passer le souffle mozartien à tout Don Giovanni qui se respecte: suavité, tendresse, déchirement.
Sa fiancée, Mariangela Sicilia, surmonte avec peine parfois les difficultés de Donna Anna et doit laisser la place à la téllurique Karine Deshayes, Elvira qui allie le raffinement exquis du style et le charme fragile, blessé, mélancolique,de cette pauvre, triste, pathétique nymphomane délaissée. Formidable composition, superbe artiste, sans doute la plus attachante de sa génération !
Enfin, au couple solide formé par Annalisa Stroppa (Zerlina à l'érotisme torride) et Igor Bakan (volontaire Masetto) s’opposait le Commandeur à la noblesse impressionnante d'Alexei Tikhomirov. Hélas ici transformé en Parrain d'opérette.
On ne le dira jamais assez. Don Giovanni est aussi volonté de chef. Il lui faut juste mesure dans les rires, l’excès, le vertige, l’effroi.
Dans la fosse aux lions, partition en tête, Frédéric Chaslin, avec des coloris très contrastés, établit d’emblée le rythme théâtral exact, maintenant tout au long de l’ouvrage cette élégance subtile sans laquelle ce chef-d’œuvre ne peut survivre.
Plénitude du son et pétillement du rythme font heureusement de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon et des chœurs de Monte-Carlo/Avignon un autre atout d'un spectacle qui ne devrait pas rester dans les annales des Chorégies.
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