Google Camp : paillettes, hypocrisie et CO2

Publié le 02 août 2019 par _nicolas @BranchezVous

Depuis 2012, Google organise chaque année la grand messe des personnalités en vogue, sobrement intitulée "Google Camp". Si le nom évoque plus une convention d'ingénieurs informaticiens en chaussettes-sandales qu'un événement glamour, il est rapidement devenu l'un des rendez-vous les plus courus parmi l'élite des gens beaux, talentueux et/ou puissants, qui se rassemblent pour l'occasion dans l'un des resorts les plus luxueux de Sicile.

Pour se faire une idée de la portée de la chose, il suffit de voir les noms de quelques-uns des invités de cette année (une liste jamais totalement confirmée avant l'heure) : entre autres, Katy Perry, Leonardo DiCaprio, Mark Zuckerberg et Barack Obama. Et si le Google Camp est censé garder un petit côté secret et confidentiel, on s'imagine facilement que pour réunir un éventail aussi divers et impressionnant de personnalités, des moyens colossaux s'imposent, et tant pis si c'est au prix de quelques entorses au bon sens. Explications.

Le Google Camp, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qu'on y fait ?

Vous vous souvenez, à l'école primaire, quand tous les gamins les plus cool se réunissaient en cercle dans la cour et que vous n'étiez jamais au courant de rien ? Vous auriez bien voulu faire partie du groupe, mais vous n'aviez pas les bons modèles de Nike, la bonne couleur de Levi's ou juste pas la bonne répartie. Le Google Camp c'est la même chose, sauf que ça coûte 30 millions $ CA.

Lancé par Larry Page et Sergey Brin ( créateurs de Google) en 2012, le Google Camp est une sorte de séminaire ultra-tendance, qui associe coolitude, argent et grandes idées. Et comme on est entre gens non seulement riches, mais aussi intelligents, la fête se tient au sein du magnifique Verdura Resort. En plus d'être l'un des établissements les plus chers de Sicile, celui-ci est situé à quelques encablures de deux sites inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO : la cité antique de Sélinonte et de la Vallée des Temples d'Agrigente.

Précisons que pour garder le côté mystérieux et VIP, le Verdura Resort n'est accessible que par bateau ou hélicoptère. Et les invités n'ont pas l'autorisation de publier quoi que ce soit sur les réseaux sociaux. Une sorte d'Area 51 version Vogue (même si certains ne se sont pas privés pour partager leurs photos sur Instagram, ci-dessous Diane Von Furstenberg avec Harry Styles).

Le Camp, en lui-même, consiste en une conférence de trois jours sur les enjeux de la société moderne, où se mêlent nouvelle technologie, mode, société et musique (Coldplay et Rosalìa sont déjà venus y chanter lundi). Parmi les sujets de discussion, entre un petit-four au canard et un verre de margharita : les droits de l'homme, l'urbanisme, la santé et... l'environnement. Et attention, c'est là que le bât blesse.

Jets privés et yachts de rêves pour combattre le changement climatique

Car les plus perspicaces d'entre vous auront sûrement saisi le paradoxe, le petit caillou dans la chaussure Louboutin. À votre avis comment nos célébrités, majoritairement américaines, sont-elles arrivées en Sicile ? Laissons planer le suspense, comme un jet privé au-dessus de nos têtes.

Cette semaine, la jeune activiste suédoise Greta Thunberg a annoncé qu'elle prendrait le bateau pour apporter son message écologiste aux États-Unis. Du haut de ses 16 ans, elle a expliqué qu'elle cherchait depuis des mois un moyen d'éviter de prendre l'avion pour traverser l'Atlantique. "Prendre un avion vers l'Amérique du Nord, impossible", a-t-elle déclaré lors de l'un de ses rassemblements devant le parlement suédois à Stockholm.

Et pendant ce temps-là... comme le souligne le quotidien local Giornale di Sicilia, 114 jets privés font le chemin inverse vers la Sicile, direction le Verdura Resort. 114 jets privés volant de Los Angeles à Palerme, ce sont... 784 tonnes de CO2 (784,000kg) libérées dans l'air comme des ballons de baudruche dans une kermesse. En comparaison, un couple sans enfant consomme moins de 8000 kg de CO2 par an (vous pouvez faire le test, c'est sur le site du Monde).

784 tonnes de CO2 générées en quelques jours pour discuter... de réchauffement climatique. Ah oui parce qu'on ne l'avait pas encore précisé, mais le sujet principal de ce Google Camp, c'est l'environnement. Ajoutons à cela les dizaines de yachts privés transportant les invités vers l'hôtel, et le tableau est complet. Faites ce que je dis, pas ce que je fais.

Des influenceurs qui n'influencent plus grand chose

On est un peu en droit de se demander à quoi servent les influenceurs, s'ils n'appliquent pas leur propre message et leurs initiatives ? Pour changer quoi que ce soit au réchauffement climatique, la première étape ce serait peut-être, justement, de commencer par renoncer aux jets privés. Mais on ne demande pas ce genre de chose à Leonardo DiCaprio, parce que ce serait lui mettre le nez dans sa propre inconsistance, lui l'ambassadeur de l'écologie et de la paix.

Car certes, réunir un panel de stars multimillionnaires, ça requiert des moyens colossaux. Mais avec l'urgence climatique de plus en plus évidente, on est en droit de se demander si ce modèle de starification et de beauté plastique n'entretient pas grandement les problèmes climatiques. À l'heure où l'on évoque une extinction de la race humaine à l'horizon 2050, il n'est plus temps de faire du symbolique et du bien-pensant, mais de l'efficace. Couper le problème à la racine, mais si ça signifie qu'il faudra renoncer à deux, trois voyages de représentation.

De toute façon, Google n'a certainement pas besoin de Di Caprio pour comprendre l'impact désastreux de ses data centers sur l'environnement.