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POURQUOI TU DANSES QUAND TU MARCHES ? Abdourahman A. Waberi

Par Gangoueus @lareus

POURQUOI TU DANSES QUAND TU MARCHES ?   Abdourahman A. WaberiPapa, pourquoi tu danses quand tu marches ? demande la petite fille à son père sur le chemin de l’école. Le père, c’est Abdourahman Waberi, l’auteur d’origine djiboutienne à qui l’on doit des textes aussi exigeants que beaux - Passage des larmes, La Divine Chanson, Aux Etats-Unis d’Afrique… - , la petite fille c’est Béa, à qui ce livre s’adresse comme une longue et émouvante réponse.
Waberi convoque donc les souvenirs de l’enfance et de l’adolescence à Djibouti, petit pays de la corne de l’Afrique qui s’appelait encore le Territoire français des Afars et des Issas. Il est écrit roman, mais c’est clairement d’un récit autobiographique qu’il s’agit, avec un ton volontairement simple et limpide, mais sans concessions.
« Tout m’est revenu.Je suis cet enfant qui nage entre le passé et le présent. Il me suffit de fermer les yeux pour que tout me revienne. Je me souviens de l’odeur de la terre mouillée après la première pluie, de la poussière dansant dans les rais de lumière. Et je me souviens de la première fois où je suis tombé malade. Je devais avoir six ans. La fièvre m’a fouetté toute une semaine. Chaleur, sueur et frissons. Frissons, chaleur et sueur. Mes premiers tourments datent de cette époque. » incipit p11
La véritable histoire, c’est que le petit Aden est un enfant maladif et pleurnichard, fils unique pendant sept ans. Entre un père épuisé par le travail et une mère dépassée, c’est la grand-mère surnommée Cochise qui se charge de l’éducation de l’enfant.
« C’était elle, le chef suprême de la famille. Elle faisait régner une loi de fer comme une guerrière apache sur ses troupes éparpillées. » p 17

L’enfance décrite est une enfance solitaire, le petit garçon chétif et timide est l’objet des moqueries et de brimades, sans le soutien familial nécessaire. Et c’est l’école, par le biais d’une institutrice « française de France », et la découverte de la lecture, qui vont permettre au petit Aden de s’évader et d’apaiser un tempérament fort mélancolique. Les anecdotes ponctuent le récit, la naissance du petit frère bien costaud qui prend vite toute sa place dans le coeur maternel, la circoncision brutale, et, au milieu de tout cela, la perte de la motricité d’une jambe :
« Affolée ma mère fonce sur moi, me soulève, essuie la poussière de mon short.Son regard s’adoucit.Elle masse ma jambe.Je crois que je ne sens rien.Le mal est ailleurs.Il a migré dans ma tête.C’est un corset.Je le porterai toute ma vie. » p124

L’enfant devient un adolescent studieux, le collège puis le lycée forgent le goût et le talent pour la lecture et l’écriture. Mais l’adolescence, c’est aussi l’âge de la révolte silencieuse et du ressentiment.
« Mes parents aussi étaient des bons à rien, pires que les autres adultes. Ils ont fait semblant d’ignorer ma douleur ravivée par le déluge, du moins c’est ce que je croyais. » p 162

Le bac en poche le jeune homme part en France poursuivre ses études.
« J’ai laissé derrière moi ma mère et mes quatre frères et soeurs. J’ai laissé Papa la Tige secoué par la toux, les larmes dans les yeux. L’écho caverneux de ses quintes m’a hanté longtemps. Et je suis parti en abandonnant tous les souvenirs de mon quartier. J’étais égoïste. Je voulais sauver ma peau. J’ai tout laissé derrière moi, Béa. » p.222
Heureusement, pour ne pas laisser à la petite lectrice qu’est sa fille une impression de tristesse et de colère, Waberi ne la prive pas de confidences sur l’homme apaisé et heureux qu’il est devenu, et termine ce beau roman par l’espoir :
« J’aimerais afficher le front dévasté de rides de ma grand-mère,le corps sec de mon père,la peau fripée de maman courte sur pattes,qui recèle la sensualité que transmettent les pavés des vieilles villes,glissants à force d’être polis par les pas pressés des pèlerins,des pas agiles,des pas vivants,des pas dansants, Béa, bien entendu. » p 249

Roman admirable par son écriture toute en poésie, par l’émotion qu’il dégage, par l’intimité qu’il donne au lecteur, le mot qui me vient à l’esprit pour le résumer, c’est le mot résilience. Raconter l’enfance n’est pas en soi une entreprise originale, d’autres s’y sont déjà essayé… mais raconter sans l’amoindrir la souffrance de sa propre enfance, dire les manquements des parents et le cheminement pour les comprendre, transmettre un chant d’amour à partir de sa douleur, c’est extrêmement fort. Ce livre est à tous points de vue un texte magnifique !
Une analyse de Françoise Hervépour le blog Chez Gangoueus

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