Dans un avenir très proche, l'Etat n'a plus aucun pouvoir et se sont les marques qui possèdent les villes. A Orange, gérée par la compagnie du même nom, Lorca Varèse passe son examen final au Récif. Il va devenir chasseur de furtifs, des êtres vivants inconnus du grand public, dont on soupçonne qu'ils vivent à la lisière de nos sens. Paradoxal pour un sociologue et un alter que de se retrouver dans l'armée ! Mais Lorca est prêt à tout si cela peut lui permettre de retrouver sa fille de quatre ans, Tishka, disparue depuis plusieurs années. Fillette évaporée dans un appartement fermé, en présence de ses deux parents, Lorca et Sahar. Fillette qui disait communiquer avec d'autres êtres avant sa disparition. Sahar a fait son deuil, Lorca non. C'est donc d'abord la quête de ce père qui occupe toute la place. Intégré à la meute d'Herman Agüero, avec Saskia et Nèr, Lorca débute les chasses. Et il tente de reconquérir sa femme en lui rapportant des preuves de l'existence des furtifs, à défaut de Tishka. Comme dans la Horde, chaque personnage a sa typo et son vocabulaire propre, lié à son histoire et à son boulot. Saskia est d'abord dans les sons alors que Nèr est dans le visuel. Agüero n'hésite pas à utiliser l'espagnol. C'est un peu son glyphe, cette empreinte que laissent les furtifs. Pour le coup, c'est bien plus facile de distinguer les personnages que dans la Horde, tant ils sont différents et typés, voire caricaturaux.
Au-delà de cette quête, il y a la description d'un monde ultra connecté, où chacun a une bague et un forfait qui lui donne accès à des zones de la ville, à certains espaces et services. Chacun est suivi et partage ses données aux gentilles IA. Sauf quelques alters et pirates qui détournent le système comme Sahar, Lorca... et les fameux furtifs, indétectables. Une menace pour une société de contrôle. On découvre aussi des zones libres et des zones de résistance, avec des communautés qui vivent de l'harmonie et l'aide (utopie contre dystopie, Damasio ne fait pas dans la demi-mesure). Et c'est finalement cette lutte entre deux mondes qui occupe le roman. Une lutte manichéenne et éternelle. Allergiques à la politique et adeptes de l'ultra libéralisme, ce livre n'est pas forcément pour vous car l'auteur a très clairement choisi son camp et nous assène régulièrement des passages poético-politiques un peu lassants et longs. La longueur - ou les longueurs - est aussi pénible : il y avait des pages à élaguer, notamment à la fin.
Bref, si c'est un plaisir de retrouver Damasio, je retiendrai plutôt la Horde que les Furtifs, tant au niveau de la narration et de la langue. Pour l'engagement politique, why not, mais il manque franchement de finesse !