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Publié le 27 juillet 2019 par Modotcom


j'ai repris de l'énergie
et cette semaine
je suis sortie toute seule
je n'avais pas fait cela depuis longtemps
d'habitude je suis vache ou mortifiée
j'ai adoré oser le faire
je pense que c'est le bixi
qui m'y a encouragé
je savais qu'en tout temps
je ne serais qu'à quelques coups de pédales
de la maison
du foyer
du havre
du confort
hors de l'habitude
je suis allée au cinéma
je suis allée à la galerie d'art
je suis allée manger japonais
et je suis allée sur la montagne
écouter un concert en plein air
j'ai donc pu constater
que je suis extrêmement gênée
de ne connaître personne
dans une foule de trente personnes
réunies en groupuscules de connivence
ça c'était au vernissage d'un collectif à la galerie d'art
où je me suis enfermée
dans la mini salle vidéo pendant
les cinq minutes qu'ont duré le clip
pour échapper aux regards proches
et aux coups de sac à dos que je risquais de donner
aux verres de vin blanc des invités
que je ne suis pas du tout gênée
de ne connaître personne
dans une salle de cinéma
ça c'était dans une salle de cinéma
même si je me répète
où j'ai pu manger en paix
un mini popcorn en lisant mes notes de cours
mais où lorsque le silence se fut avant le film
j'ai retenu le popcorn encore dans ma bouche
pour ne pas faire de bruit
que je ne suis pas du tout gênée
de ne connaître personne
en mangeant seule au bar
accoudée parmi d'autres
mais que je suis extrêmement gênée
d'attendre seule debout contre le mur
pour qu'une place se libère
dans un local de cent pieds carrés
ça c'était au petit resto japonais
qui ne compte que douze places
et où tout le monde va en paire
que je ne suis pas du tout gênée
de ne connaître personne
dans une foule de trente mille personnes
assises couchées évachées
courant sautillant chantant
en familles en gangs entre amis
ça c'était au concert classique en plein air
sur le flanc de la montagne
qui est si vaste qu'on s'y coagule progressivement
comme sur l'autoroute à l'approche de la ville
et qu'on s'y installe à terre
à un endroit indéfini qu'on aura choisi
à à peine un demi-pied des pieds de quelqu'un
où les contacts sont accidentels et permis
où le regroupement fait du sens
je ne sais que penser de mon incapacité
à dealer avec le monde inconnu
dans des environnements exigus
de mon horreur d'être la seule intruse
dans un cercle d'initiés
j'aime l'anonymat des grandes foules
dans lesquelles je suis libre de vaquer
avec qui je n'ai pas besoin d'interagir
où je peux regarder et être vue
j'aime l'attention lorsque ce n'est pas celle
de l'étrangère
n'eût été d'un moyen de transport
simple et efficace
me permettant de me déplacer rapidement
sans appel ni problème de stationnement
il y a de nombreux moments
où je ne serais pas sortie
sachant que je risquais d'être gênée
et prisonnière de ce malaise
mais quand ça arrive et que je me tanne
je pars
j'enfile mon casque de vélo
je clip ma pastèque sur ma tête
et j'enfourche le bixi
pour sillonner les rues estivales
me rafraîchir le visage
me laver de ma gêne
et remonter vers le palace
où je règne en moi-même
totalement décomplexée
vive le véhicule de mon évasion !