beauté sur ses genoux afin de l’injurier. Ce n’est
pas tout le monde qui peut jouir du privilège
d’asseoir la beauté sur ses genoux. Nous sommes
moins exigeants en ces racoins du monde.
Nous ne vivions qu’en des mondes exclus de
leurs légendes.
Ne regarde jamais la beauté
elle te fera mal et tu seras amer.
Tu n’es pas fait pour elle.
Ne parle pas à la beauté
ne lui dis rien
tu n’as pas ce qu’il faut
pour lui en faire.
Ne t’approche pas d’elle
la place est prise.
Tout est prévu pour elle.
Détourne-toi de la beauté
et reste dans ton racoin du monde
avec tes fautes, tes défauts
tes problèmes, tes impossibles à court terme
tes impensables
tes maladies de citoyenneté.
Ne lui offre pas de t’asseoir auprès de sa peau
tu es trop laid tu es trop mal
tu es trop seul.
Ne lui souris jamais
que pour te multiplier par deux.
Ne t’adresse jamais à elle
que par obligation.
Sois-lui sujet, esclave, païen.
Sois-lui son trouble et sa douleur
son réconfort et sa suite dans l’autre monde
et ne manque pas de suivre ses ordres à la lettre.
Ne t’avise jamais de la mesurer
ni de la comparer.
Cependant que !
Dans le silence et l’effacement
compare et mesure !
Trahis-la dans toutes ses manières.
Trahis-la pour le plaisir et pour l’agrément!
Et ne lui dis jamais de quoi
Il en retourne.
Embarque-toi dans le malheur et la malchance
afin qu’elle te poursuive
sans s’en apercevoir
et qu’elle découvre peu à peu
en ce piège à beauté
les mobiles retournables du terrible amour.
Ne vis qu’en des mondes
exclus de leurs légendes
qu’en des mondes qui travaillent à la légende
du retour sur Terre.
***
Yves Boisvert (1950–2012) – Poèmes de l’avenir (Écrits des Forges, 1994)