Qu'on ne s'y trompe pas, certaines initiatives du groupe espagnol (telle que la réinvention de son réseau d'agences que je chroniquais récemment) sont intéressantes et démontrent une perception acérée des défis à relever pour l'avenir. Cependant, sa vision globale et, surtout, sa stratégie révèlent des faiblesses caractéristiques : comme dans la plupart des institutions financières de la planète, les contraintes du court terme l'emportent et nuisent à la mise en place des briques nécessaires à sa survie au XXIème siècle.
En l'occurrence, attardons-nous sur la création de la « Santander Global Platform » qui était donc annoncée à l'occasion de ce rendez-vous avec les analystes. Tous les grands groupes internationaux s'y reconnaîtront plus ou moins, puisqu'il s'agit de mettre en place une unité organisationnelle destinée à rassembler et fédérer l'ensemble des moyens et des ressources – notamment informatiques – qui concourent à la « digitalisation » de la banque dans toutes ses implantations dans le monde.
La motivation principale de cette centralisation proviendrait d'un désir d'accélération de la mutation de l'entreprise, qu'elle estime largement entamée au regard de l'adoption massive de ses outils web et mobiles par ses clients. Pourtant, un premier couac survient dans le discours avec l'évocation du milliard d'euros d'économies attendues grâce aux possibilités de mutualisation des développements : l'objectif serait donc plutôt de rationaliser la production des applications destinées aux différentes filiales…
Plus grave et plus insidieux, le principe même d'une structure commune paraît être pris par le mauvais bout. En effet, il n'est de pire approche dans une tentative de transition vers une culture « digitale » que de l'aborder par un changement d'organisation, qui a toutes les chances de déclencher des luttes intestines, de générer des frustrations et…, au fil du temps, de revenir vers la situation initiale, par simple plasticité, sans jamais atteindre les bénéfices espérés mais en consommant une énergie considérable.
Il se trouve que BBVA est, elle aussi, engagée dans une démarche similaire, par exemple (et ce n'est pas le seul) à travers la création de son « usine d'intelligence artificielle ». Comment s'y prend-elle donc ? D'emblée, l'ambition affichée marque sa spécificité : il est question d'apporter des réponses aux attentes des clients, dans les meilleures conditions possibles. Si des enjeux économiques sont présents dans les réflexions (ce qui reste légitime, naturellement), ce ne sont jamais eux qui guident les choix.
D'autre part et c'est le plus important, l'habitude du partage et des collaborations entre les filiales de la banque a été cultivée de longue date (j'aime citer le cas de son grand centre de formation madrilène, où se côtoient régulièrement des employés de toutes origines), bien avant que ne soit matérialisée l'idée de constituer des équipes transverses. Lorsque cette dernière apparaît comme nécessaire (même pour des questions d'efficacité), elle ne fait alors que prolonger un mode de fonctionnement déjà établi.
Ce que semblent oublier beaucoup de dirigeants d'institutions financières et que met en relief, par contraste, le succès de BBVA est ce qui définit une stratégie, à savoir la fixation d'une vision pour l'entreprise (ce qu'elle sera dans 10, 20, 30 ans) et les grandes étapes à franchir pour la réaliser, tous ensemble. Aujourd'hui, cette notion fondamentale est de plus en plus perdue dans des annonces sans substance, des plans d'action remis en cause à la première occasion, des collaborateurs désengagés… et une priorité systématique accordée aux résultats trimestriels et aux apparences…