Il a pris le temps de décrocher son téléphone pour nous inviter dans les coulisses des Vieilles Charrues. Jean-Jacques Toux, programmateur historique depuis 1992, nous dévoile son travail, ses difficultés, ses réussites... Sans langue de bois, il avoue que la concurrence financière des autres festivals peut parfois faire du tort à la programmation des Charrues. Il revient également sur le repérage de jeunes talents bretons au travers du label Charrues, mis en place il y a six ans. A la veille de l'édition 2019, découvrez qui se cache derrière le plus grand festival français.
Tout d'abord, combien de temps mettez-vous pour programmer un tel festival ?Jean-Jacques Toux, programmateur : Pour tout vous dire, nous sommes déjà sur l'édition 2020, donc c'est un an ou presque de préparation. On a démarré au printemps pour boucler en février-mars.
Comment réagissez-vous en cas d'annulation ?C'est la plus grande hantise du programmateur... Avec ma collègue Jeanne Rucet, tant que le dernier artiste n'est pas arrivé le dimanche, on a toujours peur de l'annulation de dernière minute. On n'a pas de solution sur le papier, c'est difficile de demander à quelqu'un de venir remplacer. Par définition, un artiste ou un groupe est irremplaçable. Je me souviens de l'annulation d'Elton John une dizaine de jours avant, pour une histoire opération de l'appendicite : les têtes d'affiches sur les week-ends l'été sont toutes ailleurs. Finalement, nous l'avions remplacé par Patrick Bruel, ça avait été un super concert en plus.
Est-ce difficile de convaincre un artiste quand on s'appelle les Vieilles Charrues ?Sur les artistes français c'est plus facile, par chance tout le monde veut venir aux Charrues. Il y a un large public, des conditions techniques incroyables. Sur les internationaux c'est complètement différent, la concurrence est très rude avec d'autres festivals européens, américains ou japonais. C'est vrai que ce sont des histoires d'argent, en France on a la particularité de payer le moins les artistes, comme dans le foot ! ( rires). On peut faire une offre à 100 000 euros et sur la même date, un Espagnol un Polonais propose 2,5 ou 3 fois le cachet, alors que ces festivals ont des prix entrées au moins doublés par rapport au nôtre. Surtout les festivals sponsorisés par de grosses marques de brasseurs, aux moyens financiers colossaux.
Justement, la différence entre les Vieilles Charrues et les autres, c'est quoi ?Nous sommes un festival indépendant et 100% associatif. Nous ne sommes pas dans une démarche d'argent même si on a le droit d'en faire sur le dos de la musique. Mais la particularité d'être une association de loi 1901, c'est qu'il y a un bureau, un président, un trésorier, un secrétaire, etc. Et surtout des bénévoles, qui, à l'année sont chef d'entreprise, employé, étudiants... Le fondement même, ce sont ces 7000 bénévoles présents pour faire tourner la boutique. Il n'y a que 16 salariés à l'année.
Comment procède t-on au choix des artistes, est-ce collégial ? Suivez-vous les tendances du moment ?Nous sommes deux avec Jeanne, nous faisons 80-90 propositions, et traitons tous les dossiers ensemble. Nous ne nous divisons pas l'un dédié aux internationaux ou aux styles musicaux, si on n'est pas d'accord on n'y va pas. Notre boulot, c'est de la musique live, on en écoute nuit et jour, dans le train, la voiture. On voit énormément de concerts, soit en Bretagne car la région propose beaucoup de choses, ou sur paris et l'étranger. Nous sommes plus sur des artistes en devenir.
Qu'attendez vous de cette édition ?On fait ça pour le public, pas pour nos petits égos. J'ai envie de dire que notre récompense c'est quand sur certains concerts le public est complètement dingue. On a cette chance là, le public breton a cette réputation. On a hâte de faire partager nos coups de coeurs au public des Charrues !
Y'a t-il eu des points d'achoppement sur le choix de certains artistes cette année ?Non pas vraiment. L'une des caractéristiques des programmateurs, c'est la frustration. Quand un artiste ne vient pas parce que sa tournée s'arrête avant, ou démarre après, chaque année il y des déceptions. Des artistes, on en a loupé, c'est normal, mais on arrive toujours à les avoir sur les éditions qui suivent.
Cette année, nous avons enfin Skunk Anansie. Pour x raisons, nous n'avions jamais réussi mais cette année c'est la bonne.
Il y a eu des modes musicales au fil des années, le festival change aussi avec, comment s'adapter sans perdre l'identité Charrues?C'est une question fondamentale. Concrètement aujourd'hui, les jeunes écoutent presque exclusivement de la musique urbaine. Un peu d'électro, même s'il y a eu un petit recul cette année. Il ne faut pas perdre le fil que c'est un festival pour tous, on nous a reproché l'an dernier d'avoir trop de rap. On fait un peu moins cette année, on a essayé de rééquilibrer pour que le public un poil plus âgé s'y retrouve. Ce sont des cycles, notre boulot c'est de programmer aussi de la musique urbaine, être au contact de ce qui fait le mieux, tout en conservant la ligne Charrues. Les vieux rockeurs trouvent qu'il n'y a pas assez de rock, mais j'ai été aux Eurockéeenes, même sur les " gros " comme Interpol, le chapiteau était au tiers plein... Notre boulot est d'en tenir compte. La roue tourne, dans deux ans on ne sait pas s'il y sura autant de hip hop, les carrières sont tellement fulgurantes. C'est difficile de prévoir à plus de cinq ans.
Quelle est la place de la scène bretonne ? Est-ce important de garder cette culture au vu du nombre de Bretons dans ce festival ?Carhaix est en plein dans la musique traditionnelle, qu'on qualifie de " musique d'ici et d'ailleurs ". Il y a des formations de Bretagne qui vont s'y produire, avec traditionnel Fest Noz, car il y en a tout l'été ici.
Le Label Charrues, c'est quoi ?On a eu pendant très longtemps un tremplin, mais on trouvait que nous n'allions pas assez lion dans l'accompagnement. Alors on a crée cela il y a cinq ans. Chaque année on retient deux ou trois artistes, on est à l'écoute de ce qui sort à Brest, Quimper, Vannes etc... On est en relation avec toutes les scènes de musique actuelle, on vient faire nos choix dans ce catalogue.
Nous avons deux groupes cette année par exemple. Le rappeur DI#SE, qui vient de Quimper et ATOEM de Rennes qui jouera le samedi en clôture. On les suit toute l'année et on leur met des salles et des studios à disposition, hors de Bretagne, pour qu'ils aillent s'aguerrir et se reposer. Nous sommes en partenariat avec le Studio des Variétés à Paris qui est un centre de formation où les artistes peuvent venir piocher ce dont ils ont besoin. Par exemple un coach chant lyrique, des cours de piano etc ... Il y a des coachs très spécialisés, dans la communication aussi. DI#SE a fait du media training par exemple. Ils peuvent aussi se produire sur des scènes parisiennes. Le label prend en charge l'ensemble du dispositif, les déplacements, les résidences. Le but est de motiver des programmateurs d'aller les voir.
Le show que vous vous attendez ?Ma collègue Jeanne Rucet ne dira sûrement pas la même chose, mais j'attends la soirée rock du jeudi soir sous le chapiteau, sur la scène centrale à Gwernig qui sera quasiment à plat, avec tout le public autour. Il y aura trois artistes, et l'on terminera avec The Psychotic Monks, surement l'un des meilleurs en France selon moi.
Votre meilleur souvenir ?Neil Young en 2013, c'était le graal pour moi !
Vous vous voyez continuer longtemps ce métier ?C'est difficile d'en changer quand on a été piqué par le virus. J'ai commencé en 1992 à la création du festival, comme bénévole. Je ne m'imagine pas faire aout chose dans ma vie professionnelle, il faudrait qu'il se passe un truc de fou ! Le boulot est prenant, voire vampirisant, le projet Charrues est tellement fou, c'est pour cela que j'y suis toujours.
Propos recueillis parLoris Bavaro