Magazine Culture

La mort d'Andrea Camilleri

Par Pmalgachie @pmalgachie

La mort d'Andrea Camilleri

Photo Marco Tambara

Andrea Camilleri a publié au moins une centaine de livres, parmi lesquels les enquêtes du commissaire Montalbano (les plus célèbres), mais pas que. Il avait 93 ans, on le savait bien malade et l'Italie tout entière, comme ses lecteurs dans le monde entier, espéraient une amélioration de son état, qui n'est pas venue. Les miracles, dans la vie, c'est rare. Dans ses romans, c'était beaucoup plus fréquent. Cet admirateur de Simenon, écrivain chez qui percent parfois des belgicismes, avait poussé beaucoup plus loin l'audace linguistique. Son italien de Sicile affiche ses singularités - et on imagine l'angoisse des traducteurs. Heureusement, en français, il y avait Serge Quadruppani, capable de transposer une voix unique, et d'expliquer pourquoi. Lisez n'importe lequel des ouvrages de Camilleri traduit par lui et dans lequel une préface fournit la méthode: c'est une belle leçon. En une bonne douzaine de notes brèves, voici non un panorama d'une oeuvre importante, mais modestement quelques coups de sonde dans des romans qui ne m'ont jamais déçu.
La voix du violon Montalbano, le plus célèbre flic sicilien, n’est pas du genre à contourner les ennuis. Quand son chauffeur emboutit une Twingo (mal) garée devant une villa et que personne ne réagit alors qu’il a laissé le numéro de téléphone du commissariat sous l’essuie-glace, il n’hésite pas à pénétrer (par effraction ? c’est bien comme cela qu’on dit ?) dans la villa… pour y trouver le cadavre nu d’une très belle jeune femme. Passons sur les moyens détournés qu’il doit mettre en œuvre pour faire savoir qu’un meurtre a été commis. Il entre très vite en conflit avec la hiérarchie qui n’aime pas ses méthodes. Anciennes, les méthodes. D’ailleurs, il ne s’entend guère non plus avec la police scientifique. Mais explore par la bande et trouve. Avec la gouaille de Camilleri, un pur bonheur de baragouin chez le téléphoniste du commissariat.
L’Opéra de Vigàta Un soir à l’opéra, ce n’est pas toujours de tout repos. Pas ce soir-là à Vigàta, du moins. Le préfet milanais a imposé Le brasseur de Preston à ses administrés siciliens. Ils n’en veulent pas, même pour l’inauguration. Le spectacle est mémorable. Ses suites aussi. Camilleri construit son roman comme une tragicomédie très enlevée. Il y a de l’amour et de la haine, des mots teintés de sonorités locales. Un défi brillamment relevé par le traducteur. Et un régal, à tous points de vue.
La prise de Makalé Le début est allègre. Michilino, six ans, ne voit le mal nulle part. Ni dans les pratiques du prêtre de son village. Ni dans les victoires fascistes en Ethiopie. Ni dans les frétillements d’un sexe qui étonne par sa maturité. Les drames se traversent avec le sourire. Puis le sourire se fige. Michilino trouve la vie moins rose. La tristesse apparaît. Elle ne le quittera plus. Et nous non plus. L’écrivain sicilien, hors du polar, touche avec bonheur à des thèmes d’une profonde humanité.
La Pension Eva Quand Andrea Camilleri prend ce qu’il appelle des « vacances narratives », il reste à son meilleur. Fasciné par La Pension Eva, Nenè, une dizaine d’années, rêve des femmes nues qui y résident et qu’on peut louer pour le plaisir… de les regarder. Piquant comme un roman d’initiation sexuelle qui ne dirait pas son nom, ce texte est d’une fraîcheur surprenante chez un écrivain de presque 80 ans. Tous les émois de l’enfance et de l’adolescence sont là. Ainsi que l’atmosphère des années 40.
Privé de titre Martyr fasciste semble un titre peu enviable. Il en allait autrement dans les années 20 en Sicile. La mort de Lillino dans une ruelle sombre de Caltanisseta a fait de lui un héros. Et un lâche assassin de Michele, plutôt communiste. Etablir la vérité dans une société où jouent les pressions politiques semble presque impossible. Les faits sont en outre passablement embrouillés. Et la manière dont Camilleri les raconte respecte leur complexité. Pour une démonstration éclatante.
Intermittence Embrouilles financières et industrielles au pays de Berlusconi. La routine. Sinon qu’Andrea Camilleri lui insuffle des qualités (?) nouvelles, celles d’un paysage dévasté davantage par les hommes que par la mondialisation. Les pieds dans la boue et le nez empli de sa puanteur, nous voici entraînés par une folie très organisée où les travailleurs sont quantité négligeable. Un roman si immoral qu’il en devient exemplaire. Deux générations s’affrontent avec des conceptions différentes, pour ne pas dire opposées, de la ligne à suivre pour consolider les bénéfices. Cela sent aussi mauvais que c’est réjouissant, l’écrivain et le lecteur en sortent gagnants. Le monde de l’entreprise, c’est beaucoup moins sûr, car il est peint en couleurs très sombres.
Un mois avec Montalbano Trente enquêtes de Montalbano, ce qui justifie, si on en lit une par jour, le mois du titre. Leur brièveté suppose des énigmes simples. Mais il n’y a aucun simplisme dans le comportement des personnages, coupables ou non. Et moins encore dans celui du commissaire. Ses réactions nuancées répondent à son sens personnel de la justice. Ce Maigret sicilien peut aussi bien arrêter un innocent que laisser filer un coupable.
La danse de la mouette Andrea Camilleri a la chance d’être traduit par un écrivain qui recrée sa langue singulière. Bien sûr, les enquêtes de Montalbano doivent tout au romancier sicilien. Et celle-ci, ouverte sur la mort d’une mouette qui danse ses derniers moments, est aussi agitée que savoureuse. Un proche collaborateur a disparu, son retour dans le monde des vivants s’accompagne d’une série de découvertes macabres. Avec truands et politiciens main dans la main. Montalbano est insomniaque. L’âge, probablement. Et un sale pressentiment qui se confirme dans cette enquête, malgré l’observation d’une mouette qui semble danser sur la plage. Mais le commissaire n’est pas un ornithologue amateur à qui ce passe-temps donnerait de la sérénité. Il lit plutôt, dans les mouvements de l’oiseau, la géographie d’une énigme dont la solution se refuse à lui. Et pour cause : la complicité entre les pouvoirs semble solide.
Le champ du potier Le commissaire Montalbano cauchemarde : la Mafia a pris le pouvoir et le formateur du nouveau gouvernement, canaille notoire, lui propose d’être son ministre de l’Intérieur. Quand il s’éveille, ce n’est pas mieux. Le cadavre d’un inconnu, découpé en trente morceaux, l’attend sous la pluie. Autant de morceaux que de deniers pour Judas qui a trahi Jésus. Une femme trop belle passe dans le paysage auquel elle donne des couleurs scintillantes. Ou mortelles.
L’âge du doute Emile Lannec est le nom porté sur le passeport qui appartenait à un Français retrouvé mort et défiguré dans un port sicilien. C’est aussi le nom du personnage principal des Pitard, de Simenon. L’information est précieuse, Camilleri reconnaissant en quelque sorte sa dette au romancier belge. Elle servira aussi dans l’enquête de Montalbano, par des moyens d’autant plus détournés que ses rêves interviennent avec force dans les moments où il est éveillé.
La chasse au trésor Montalbano conduit par son appétit, on s’y est habitué. Mais par un joueur, peut-être un assassin, qui se veut plus malin que lui, c’est moins banal. La confrontation de deux intelligences rivalisant avec des moyens différents est assez réussie. Et, même si on comprend avant le flic sicilien, il reste à faire le chemin dans le détail, là où est le diable. En se régalant d’une traduction respectant les particularités de la langue.
Une lame de lumière Le commissaire Montalbano, approchant d’une maison où il veut interroger deux Algériens, cultivateurs qui n’ont pas des mains de paysans, est surpris par un éclat de lumière dont il comprendra plus tard, trop tard, d’où elle vient. Et qui l’a provoquée, en même temps qu’un enchaînement de faits après lesquels il renoncera à son amour naissant pour la belle Marian, amorçant un retour vers Livia. Une enquête pleine de tourments sentimentaux.
Une voix dans l’ombre Le commissaire Montalbano vieillirait-il ? Il se pose la question quand des parties de son corps semblent acquérir une existence autonome. Rassurons-le : la manière dont il conduit une enquête où la Mafia est alliée à la politique et à la finance démontre même qu’il est au meilleur de sa forme comme flic. Capable de résister à toutes les pressions, il n’en fait qu’à sa tête et emprunte des chemins tortueux pour obtenir une sorte de justice.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pmalgachie 8645 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines