Le syndicat des homards contre-attaque !

Publié le 17 juillet 2019 par Sylvainrakotoarison

" Tous les gens qui m'ont interpellé sont unanimes sur un point : ils ne comprennent pas pourquoi François de Rugy n'a pas démissionné tout de suite. " (Bruno Bonnel, député LREM du Rhône, le 15 juillet 2019).

Le retour face aux électeurs de sa circonscription, notamment à l'occasion des cérémonies locales du 14 juillet, est toujours très difficile pour un député de la majorité lorsqu'un ministre est en pleine tourmente. Ce qui était inéluctable est donc survenu, une demi-heure avant l'impossible séance des questions au gouvernement : le Ministre d'État, Ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, a annoncé ce mardi 16 juillet 2019 sa démission, acceptée immédiatement par le Président Emmanuel Macron de retour de Belgrade. Visiblement émue et réagissant à chaud, la députée Olivia Grégoire, porte-parole du groupe LREM à l'Assemblée Nationale a déclaré : " C'est la preuve qu'il est à bout, c'est aussi pour protéger sa famille. ".
Encore une fois, le pouvoir a été pris de court dans cette affaire, puisque le Premier Ministre Édouard Philippe, qui avait convoqué sèchement le ministre le 11 juillet 2019, avait élaboré un calendrier d'enquête qui devait durer jusqu'à la fin de cette semaine. Le Premier Ministre n'en a pas dit un seul mot dans l'hémicycle ce 16 juillet 2016.
Le Président a peu de chances avec tous les ministres d'État qu'il a nommés depuis le début de son quinquennat : tous ont déjà démissionné : François Bayrou (Justice), Nicolas Hulot (Écologie), Gérard Collomb (Intérieur) et maintenant François de Rugy (Écologie).
Le poste lui-même est hautement instable. Depuis 2012, pas moins de huit ministres se sont déjà succédé à l'Écologie. Nathalie Kosciuscko-Morizet, qui a démissionné le 22 février 2012 pour être porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy, remplacée par le Premier Ministre François Fillon par intérim jusqu'au 10 mai 2012. Sous le quinquennat de François Hollande, d'abord Nicolas Bricq, brièvement jusqu'au 21 juin 2012, remplacée par Delphine Batho qui, elle-même, a démissionné d'elle-même en opposition avec son gouvernement, le 3 juillet 2013 (encore en juillet), remplacée par Philippe Martin. Avec la nomination de Manuel Valls, il y a eu un peu plus de stabilité avec Ségolène Royal qui resta jusqu'à la fin du quinquennat, du 2 avril 2014 au 17 mai 2017. Son successeur Nicolas Hulot a annoncé sa démission le 28 août 2018, démission rendue effective le 4 septembre 2018 après la nomination de François de Rugy qui est poussé à la démission le 16 juillet 2019.
Qui comme successeur ? Trois pistes : un secrétaire d'État promu (ce fut le cas de NKM après le départ de Jean-Louis Borloo le 14 novembre 2010), cela pourrait alors être Emmanuelle Wargon (choisie comme animatrice du grand débat, et qui est chargée de défendre la loi Énergie et Climat le soir du 16 juillet 2019 au Sénat), Sébastien Lecornu ou encore Brune Poirson ; un (vrai) poids lourd politique ( Daniel Cohn-Bendit, Ségolène Royal, etc.) ; une personnalité hors de la classe politique (comme Corinne Lepage, etc.). C'est finalement la Ministre déléguée aux Transports Élisabeth Borne qui a été nommée pour succéder à François de Rugy, selon un communiqué de l'Élysée publié en fin de soirée de ce 16 juillet 2019.

Revenons à François de Rugy. Oui, il y a eu un "lynchage" médiatique qui ne paraît pas raisonnable et surtout qui paraît disproportionné par rapport aux faits reprochés qui sont légaux mais socialement indécents. Quand on s'engage en politique, il faut avoir du cuir épais, sinon, on fait autre chose (voir Michèle Barzach, Georgina Dufoix, etc.). Il est normal, surtout à notre double époque, celle des réseaux sociaux et de l'actualité immédiate de surréactions excessives, et celle d'une volonté de transparence accrue, qu'un des ministres les plus importants du gouvernement soit la cible des opposants, des rigoristes, des persifleurs (personne ne l'a obligé d'accepter cette responsabilité).
Ce que j'expliquais lundi, c'est que la démission était inéluctable, probablement avec injustice (d'autres ont dû faire pire que lui), simplement parce qu'il ne pourrait plus exercer efficacement ses fonctions. La moindre apparition publique serait polluée par cette affaire facilement identifiée par un homard. J'évoquais surtout la négligence et l'imprudence.
Ce que révèlent toutes les affaires où une personnalité politique est mise en cause parce qu'elle est un peu trop gourmande (sur les deniers de l'État, donc des contribuables), c'est avant tout le décalage entre la classe politique et le peuple, ce que vit réellement le peuple, pour qui 5 euros d'APL en moins ou 20 euros de pension de retraites en moins sont ressentis comme un sacrifice d'autant moins acceptable que d'autres se gaveraient de champagne et de homard.
J'ai toujours cru qu'une personne agissait toujours en accord avec le miroir que lui reflète son entourage. Comment pouvoir regarder en face la personne que l'on aime, ou sa famille, ou ses amis les plus proches, si ceux-ci étaient scandalisés par ce que l'on fait, en l'occurrence sur le plan de la morale dans l'action publique ? Cela signifierait-il que l'entourage est lui-même déconnecté des réalités ?
Une personnalité politique "professionnelle" devrait pourtant savoir que tout ce qui touche au luxe, à l'argent, est un sujet ultrasensible chez les Français. On pourra toujours s'interroger sur le pourquoi (il faudrait peut-être faire une "psychanalyse sociologique") mais c'est un fait : les Français, plus que d'autres peuples (notamment anglo-saxons, qui n'ont pas peur de montrer leur réussite pécuniaire), sont très sensibles à tout ce qui touche à la richesse, peut-être par jalousie (mais je ne crois pas que la jalousie seule puisse l'expliquer), peut-être le rapport à l'argent ?...

Ainsi, ce sont des fautes politiques, même si ce ne sont pas des infractions judiciaires, de vouloir montrer trop luxe : le Fouquet's le 6 mai 2007 pour Nicolas Sarkozy, le yacht de son ami Bolloré, mais aussi la photographie de Dominique Strauss-Kahn, pas encore candidat, qui, en déplacement à Paris, était montré à côté de la Porsche d'un des amis publicitaires, ont choqué les gens. Ce sont des fautes que même certains élus locaux n'auraient pas faites.

Je prends pour exemple un ancien adjoint de la ville de Nancy, que j'apprécie beaucoup, qui me disait, déjà à la fin des années 1980 (c'était pourtant une autre époque), qu'il avait les moyens de s'acheter une Porsche mais qu'il ne pouvait décemment pas aller à la mairie avec une telle voiture, on le lui reprocherait (avec raison). Il s'était alors contenté d'une Renault 25. Le jour où il m'a fait partager cette réflexion, avec sourire et légèreté, j'ai reçu ainsi une belle leçon de sobriété (qui n'était pour moi toutefois pas très surprenante).
C'est cette incompréhension-là qui m'étonne de la part de celui qui était très en avance sur la moralisation de la vie politique et la transparence (député, François de Rugy avait publié ses revenus dès 2009). Il est clair que l'acharnement de Mediapart n'est pas à l'honneur de ce site, quand on voit le côté très dérisoire des faits reprochés (notamment dans sa dernière livraison).
Mais il ne faut pas non plus plaindre François de Rugy : la vie politique a toujours été un univers très dur. Il y a des excès de gloire égocentrique (au moment d'une élection, d'une nomination) et donc, c'est normal qu'il y ait aussi des trous de carrière qui font très mal à l'ego (défaite électorale, démission, etc.). Que François de Rugy, le soir même sur Twitter, se soit permis de comparer sa situation à celle de Pierre Bérégovoy qui s'est suicidé, en rappelant les mots de François Mitterrand à l'enterrement de l'ancien Premier Ministre, me paraît à la fois pleurnicheur et démesuré.
On peut parler d'injustice (je l'ai évoquée), mais il faut alors parler de toutes les injustices, dans les deux sens. Il y a autant d'injustice à devoir démissionner pour cause de homard géant à l'Hôtel de Lassay que d'injustice à avoir été élu au perchoir en ne représentant au niveau national que 3,8% des rares militants socialistes qui ont voté pour la primaire du PS le 22 janvier 2017, parti qui a obtenu laborieusement 6% des voix à l'élection présidentielle. Ne représenter que 4% des 6% des voix, et devenir le quatrième personnage de l'État ? Bravo l'artiste !
De sa vie, François de Rugy n'a jamais fait que de la politique, et sa démission bénéficie d'un parachute grâce à Nicolas Sarkozy, il retrouvera en effet automatiquement son mandat de député dans un mois, sans élection partielle (mandat auquel avait cependant renoncé Jérôme Cahuzac à sa démission en mars 2013). Je le répète, je trouve plutôt injuste cette affaire mais j'insiste sur le fait que la démission était inéluctable et je remarque que ceux qui aujourd'hui "pleurent" le ministre pleuraient beaucoup moins pendant la descente aux enfers du candidat François Fillon pendant la campagne présidentielle de 2017.
Pourtant, c'était le même schéma :
1°. Des abus plutôt ordinaires et en tout cas, pas exceptionnels (manger du homard à l'Hôtel de Lassay, il faudrait faire une enquête, probablement que les menus proposés ne datent pas de l'arrivée de François de Rugy, tout comme une grande partie des parlementaires ont eu recours à leur conjoint comme collaborateur parlementaire).
2°. Des attaques très politiques plus ou moins de bonne foi (et compréhensibles : opposants au gouvernement, adversaires à l'élection présidentielle).

3°. Une défense personnelle très inefficace (qui fait enfoncer la cible dans ses contradictions et confusions).
Enfin 4°. Un lâcher-prise (démission, échec à l'élection présidentielle) et un très mauvais souvenir. J'ai d'ailleurs entendu un éditorialiste dire avec raison que si François de Rugy avait démissionné plus tôt, il aurait préservé probablement plus de dignité.
S'il n'y a pas lieu de le plaindre, il n'y a pas lieu non plus de s'en réjouir. Pour la démocratie, cela ne fait pas plaisir de voir un ministre poussé à la démission pour une telle affaire qui, nécessairement, ne peut que renforcer le sentiment d'antiparlementarisme qui se traduit d'ailleurs plus par l'abstention (et le "dégoûtisme"ou "dégagisme") que par le vote pour les extrêmes (quels qu'ils soient).
C'est donc aussi un échec pour les opposants eux-mêmes qui ont voulu profiter politiquement de cette affaire mais qui n'ont pas compris que c'est toute la classe politique qui est, avec les homards, sur le banc des accusés, pas seulement les partis de la majorité.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 juillet 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le syndicat des homards contre-attaque !
François de Rugy et la République du homard géant.
François de Rugy et le bâton de maréchal du politicien manœuvrier.
Allocution de François de Rugy lors de son élection au perchoir (27 juin 2017).
Premier tour de la primaire socialiste du 22 janvier 2017.
Troisième débat de la primaire socialiste du 19 janvier 2017.
Deuxième débat de la primaire socialiste du 15 janvier 2017.
Premier débat de la primaire socialiste du 12 janvier 2017.
Programme de François de Rugy (à télécharger).
La primaire EELV de 2016 (premier tour).

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190716-francois-de-rugy.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/07/16/37504076.html