Comment la jeune génération de plasticiens nés dans les décennies soixante – dix et quatre –vingt voient – ils la Caraïbe de demain ?
Pour découvrir leurs réponses, rendez vous au Pérez Art Museum Miami, entre le 18 juillet 2019 et le 7 juin 2020, pour une visite de l’exposition The other side of now
Les expositions précédentes sur l’art contemporain de la Caraïbe ont mis chacune en lumière une facette différente de la production artistique de l’archipel. Elles soulignent tour à tour son exclusion et sa fragmentation (Caribe insular: exclusión, fragmentación y paraiso), sa capacité à devenir le point de convergence et de créolisation des cultures du monde (Kreyol Factory & Caribbean crossroads of the world), sa spécificité étrange ( Who are more sci-fi than us), sa connexion au monde (Global Caribbean), les liens qui la traversent ( Relationnal undercurrents of the Caribbean archipelago). Mais c’est sur l’avenir de la Caraïbe que se penche cette dernière manifestation que je trouve motivante pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, le musée qui l’accueille. Le PAMM est un musée d’art contemporain, récent dans sa nouvelle localisation, au 1103 Biscayne Boulevard, où il a été transféré en 2013. L’actuel bâtiment, à l’architecture contemporaine et séduisante, conçue par Herzog & de Meuron, correspond à son ouverture à l’art contemporain, particulièrement l’art de la Caraïbe le plus novateur et à sa décision de se positionner comme une référence en la matière.
Ensuite, ce projet se concentre sur la nouvelle génération d’artistes, désormais mieux intégrés dans un réseau d’échanges culturels international et sur les jeunes curators comme Maria Elena Ortiz, que j’ai rencontrée et partiellement accompagnée lors de son séjour d’étude en Martinique en 2014.
Enfin, la présence sur les cimaises de Louisa Marajo, immédiatement après sa participation à l’exposition de la Fondation Clément, Pictural. Comparer la confrontation de ses installations avec la création de jeunes plasticiens de la Caraïbe après leur rencontre avec les productions d’artistes de Martinique ne peut que piquer la curiosité. D’autant plus que des impressions superposées d’images de ses installations et de photographies des sargasses sur papier de soie, plus douces, plus poétiques, plus oniriques en dépit de la gravité de la thématique ne manquent pas de séduire.
Comment ces quatorze plasticiens imaginent – ils la Caraïbe de demain ?
Ils expriment le désir de dépasser le traumatisme colonial, le rêve d’un territoire caribéen unifié, plus fort et plus autonome, la nécessité d’une vie en harmonie avec la nature pour mieux se protéger de la fragilité écologique, la conviction que le potentiel d’un futur positif est déjà présent.
Il y a convergence de pensée chez Charles Campbell, Alicia Milne et Nyugen Smith. Tous trois reconfigurent le territoire caribéen sur des cartes pour mieux développer leurs utopies, souvent en insistant sur sa réunification.
Charles Campbell imagine l’archipel comme un ensemble d’îles établies sur le modèle hérité d’Accompong, un village historique d’esclaves marrons fondé en Jamaïque au XVII siècle. Les marrons et les Taïnos ont ainsi à l’époque maintenu leur indépendance vis-à-vis des espagnols puis des britanniques. Depuis son indépendance en 1962, le gouvernement de la Jamaïque a continué de reconnaître les droits des descendants.
Nyugen Smith crée des îles fictives comme par exemple Tribamartica, Dominibuda, Sint Maricotin par la superposition des cartes d’îles réelles, peuplées à l’image d’un un camp de réfugiés de minuscules tentes d’une précarité similaire bien qu’aucune d’elle ne ressemble à sa voisine. Les supports en papier fragmentés sont recousus à l’aide de fils. Le territoire se trouve doublement réunifié par la superposition géographique des territoires et par la couture.
Cette même volonté de fusion se retrouve dans les objets kitch de fabrication chinoise d’Alicia Milne, qui marque ainsi l’implication économique de la Chine dans la Caraïbe. Sur des assiettes – souvenirs destinées aux touristes, elle reproduit les îles de la Caraïbe. Sur l’une d’entre elle, elle a peint un pont qui relie toutes les îles de l’archipel.
Manuel Mathieu et Jamila Sabur énoncent cette nécessité de regroupement même s’ils ne la matérialisent aussi clairement dans leurs créations.
Les œuvres de Campbell, Smith et Milne fonctionnent comme une réponse à Unrequited love d’Andrea Chung et Jardines del Hamburgito de Cristina Tufino qui dénoncent l’exil, souvent causé par la nécessité économique, responsable de l’éclatement des familles.
La fragilité écologique, le besoin de vivre en meilleure harmonie avec la nature et d’établir des droits environnementaux aussi solides que les droits humains font partie aussi des leit- motive de cette exposition caribéenne, plus particulièrement dans les productions de Deborah Jack, Carole Anzinger, Hulda Guzman et Louisa Marajo.
Les Echafaudages de Marajo, ambigus, entre réalité et fiction, proposent un chaos entre déconstruction et reconstruction. Mélangées aux images de sargasses, ce chaos véhicule un espace imaginaire et en mouvement : celui d’un avenir éphémère, menacé mais prolifique, surprenant.
La Caraïbe : un bateau à la mémoire qui dérive…
Comment naviguer dans la tempête ?
Flux, naufrage – Échafaudage,
Qui se lève, s’élève et retombe
Puis remonte, et s’effondre….(1)
Marajo, Mathieu et Jack soulignent l’omniprésence de la mer, barrière infranchissable ou porteuse de pollution, dans une reconfiguration du paysage à travers l’abstraction.
La variété des formes artistiques inscrit bien ces productions dans la contemporanéité : ready-mades aux antipodes d’une recherche esthétique séduisante d’Andrea Chung et Alicia Milne, association parfois déconcertante de matériaux : céramique et plante aloé vera chez Carole Anzinger, tapisseries superposées d’Angel Otero et Lavar Munroe dans Pinocchio’s half sister, étranges sculptures de fer forgé, porcelaine et peinture d’Angel Otero, vidéo et texte conceptuel…Diverses mais fortement ancrées dans le territoire caribéen, elles sont surprenantes et souvent énigmatiques.
Dominique Brebion
(1) extrait d’un poème de Louisa Marajo