Après une carrière de scénariste pour la télévision et le cinéma, Gilles Gérardin signe un premier roman à l’humour mordant et caustique chez Eyrolles. Julien le Bienfaiteur met en scène un quadragénaire bien décidé à accomplir le sacrifice ultime : préparer sa propre mort pour que sa famille puisse toucher les indemnités. Devenir un héros des temps modernes en offrant sa vie pour sauver les siens, voilà tout le programme de ce roman inclassable, à la fois drame et comédie : un récit osé et rafraîchissant, où on se demande jusqu’où l’auteur va bien pouvoir nous mener. Gilles Gérardin était présent dans nos locaux le 8 juillet dernier pour une rencontre privilégiée avec ses lecteurs.
Julien, la quarantaine, marié, père de famille, est au chômage depuis plus d’un an. Au fil des jours, l’espoir de retrouver un emploi s’amenuise et le trou de ses dettes se creuse. Prenant conscience de l’inutilité de son existence, il décide d’y mettre fin. Mais au moment de passer à l’acte, il découvre que les assurances indemnisent beaucoup mieux le décès accidentel qu’un banal suicide. Julien entreprend donc d’organiser sa mort « accidentelle ».Ne reste plus qu’à régler quelques petits détails, le choix du cimetière et celui du moyen le plus efficace de passer de vie à trépas. Plus les préparatifs avancent, plus l’échéance fatale se rapproche, plus Julien hésite. Il n’est pas si facile de se résoudre à sa propre mort.La nouvelle de son généreux sacrifice s’ébruite. L’entourage se ligue alors pour l’aider à accomplir le destin exemplaire qu’il s’est choisi : devenir « le Bienfaiteur », ce héros des temps modernes prêt à offrir sa vie pour sauver sa famille.
L’écriture littéraire : un nouveau banc d’essai
Durant la rencontre, Gilles Gérardin a eu l’occasion de retracer la manière dont son parcours l’a mené de l’écriture de scénarios pour la télévision, au roman. Pour lui, le roman permet d’aller bien plus loin dans la psychologie des personnages : « Dans un film, les personnages sont ce qu’ils font et disent. Un roman permet d’accéder aux pensées les plus intimes des personnages, et d’étoffer leur psychologie. » Cependant la transition de l’écriture scénaristique à une écriture plus littéraire n’a pas été sans difficultés pour l’auteur, qui a pu compter sur le soutien de son éditrice pour mener à bien ce nouvel exercice : « J’ai longtemps pensé écrire un roman alors que je continuais à écrire un scénario. Mon éditrice m’a aidé à basculer vers une écriture plus littéraire. » L’auteur a pu s’écarter de l’écriture scénaristique lors d’un second jet, mais il en est quand même resté quelques caractéristiques : une structure maîtrisée, une vision claire et compréhensible de l’histoire, et un rythme cardiaque progressant jusqu’au climax : « Je voulais que mon roman soit une surprise, que ce qui précède converge vers cette fin mais qu’elle reste quand même surprenante. C’est là tout l’art du scénariste : créer un suspense insoutenable. C’est Hitchcock qui parle le mieux de la différence entre surprise et suspense : dans une première situation, il y a une bombe sous la table. Ni le public, ni les personnages ne savent qu’il y a une bombe. C’est la surprise. Dans la deuxième situation : le public sait qu’il y a une bombe, mais quand va-t-elle exploser, comment ? C’est ça le suspense. Le suspense est l’attente anxieuse de quelque chose. »
Jouer avec la mort
Pour écrire ce roman hanté par la mort, un peu sordide mais plein d’humour, Gilles Gérardin a dû beaucoup se documenter : « J’ai même eu affaire à un assureur assez inquiet « Vous êtes sûr que vous allez raconter cette histoire ? Ca ne va pas donner des idées aux gens ?« ». Jouer avec la mort : c’est l’idée obsédante qui a poursuivi l’auteur durant de nombreuses années et qui lui a inspiré l’écriture de ce roman : « Une bonne idée vous obsède et amène plein d’autres idées dans son sillage. » Le personnage de Julien est au cœur de l’intrigue : homme travailleur, honnête, père de famille exemplaire, Julien a tout du mari parfait. Il cache malgré tout une facette plus sombre de sa personnalité : une certaine fragilité intérieure liée à un doute sur ses origines.
Le roman de Gilles Gérardin explore la notion de dualisme moral, la frontière parfois ténue qui peut exister entre morale et moralisme, notamment au travers de personnages ambivalents, dont le romancier adopte le point de vue à tour de rôle. Une manière subtile de suivre le cheminement des personnages et de comprendre au mieux leurs fragilités : « J’avais cette envie d’alterner les points de vue, cela me paraissait être la manière la plus efficace et la plus juste de raconter cette histoire. On a des regards différents sur un même épisode, même le vocabulaire change : plus populaire d’un côté, plus élaboré de l’autre. ». Pour caractériser ses protagonistes, l’auteur fait preuve d’une organisation rigoureuse héritée de son expérience de scénariste : « Je crée des fiches personnages : je détermine les caractéristiques principales de chacun, leurs objectifs mais cela évolue en permanence pour que le personnage reste cohérent tout en conservant sa singularité. Il faut parvenir à leur offrir le maximum d’autonomie. »
Des personnages en chute libre
Alors qu’ils sont dans la force de l’âge, arrivés à un moment de leur vie où ils sont censés jouir d’une certaine stabilité, les personnages créés par Gilles Gérardin basculent. C’est le cas de Céline, la femme de Julien, qui révèle ses pires côtés une fois appâtée par le gain. Des personnages à première vue détestables qui trouvent pourtant grâce aux yeux de l’auteur : « Céline est une femme odieuse, qui s’est mentie à elle-même et aux autres toute sa vie. Elle n’est pas méchante par nature, mais elle a une écharde dans le cœur. Elle s’est raccrochée à Julien car il l’a sauvé d’elle-même, de ce qu’elle avait en elle de plus extrémiste et de plus violent. Son avidité et son impatience à toucher l’argent s’explique par une amertume qui la dépasse. On n’est jamais méchants par nature. » Tous les personnages ont une voix qui leur est propre, une particularité très marquée, et c’est ce qui fait la force de la narration de ce roman choral.
Apprendre à mourir pour mieux vivre sa vie
Trouver le ton juste pour ne pas tomber dans la farce ou dans la tragédie : voici la difficulté principale à laquelle a été confronté l’auteur. C’est un moment clé dans le récit qui fait basculer le récit dans la comédie : « Une fois que Julien n’a plus que 15 jours à vivre, c’est là que commence véritablement la comédie pour moi. C’est lorsqu’il n’a plus que 15 jours à vivre qu’il commence à aimer la vie. » Le récit prend alors des allures déconcertantes d’hymne à la vie : « Comme le roman commence par la mort, on ne s’attend pas à ce que Julien reprenne goût à la vie. Derrière la mort, il y a toujours ce désir de vie. Même si Julien va mourir, c’est la vie qui triomphe. » Avec ses airs de comédie, son caractère poignant, et son optimisme déconcertant, Julien le bienfaiteur n’entre dans aucune case !
L’auteur nous l’annonce déjà, il n’y aura pas de suite à Julien le bienfaiteur mais un nouveau roman qui gardera le ton de la comédie. Une affaire à suivre…
Découvrez Julien le bienfaiteur de Gilles Gérardin, publié aux éditions Eyrolles.