Les groupes de donateurs autour de la Madone sont le plus souvent des familles, mais on trouve aussi quelques exemples de collègues ou de membres d’une confrérie. En voici une sélection, en Italie, en France et dans les Pays du Nord.
En Italie
L’Oratoire de San Giorgio de Padoue
La Vierge avec la famille de Raimondino Lupi et des Saints
Altichiero, 1377-79, Oratoire de San Giorgio (paroi gauche), Padoue
Cette chapelle funéraire a été commandée par le condottiere Raimondino Lupi, mort en 1379. Nous sommes ici sur le mur gauche de la chapelle, décoré par des scènes de la vie de Saint Georges. Altichiero respecte la même logique qu’à Vérone dans la chapelle Cavalli (voir 6-1 …les origines) : comme l’Enfant est tourné vers l’entrée de la chapelle, le chevalier et sa famille se trouvent à gauche du trône, dans le sens de la progression vers le choeur.
A noter que tous le chevaliers de la famille Lupi portent, tout comme ceux de la famille Cavalli, leur casque d’apparat accroché dans le dos. Cette fresque votive est en général interprétée comme représentant le donateur et sa femme suivi de ses enfants.
En fait , elle montre, de droite à gauche en partant de la Madone, et en respectant au sein des personnages sacrés une assez remarquable parité :
- son père Rolandino de’ Lupi présenté par Saint Goerges,
- sa mère Matilde présentée par Sainte Catherine,
- ses quatre frères et trois neveux, présentés par une alternance de saints et de saintes,
- et lui-même en dernier, présenté à nouveau par Saint Georges.
Saint Georges en double (SCOOP !)
Cet étrange dédoublement s’explique par la structure d’ensemble : la fresque occupe en effet deux compartiments dans le cycle de la vie de Saint Georges, se logeant dans une interruption à la fois géographique et temporelle entre deux épisodes [0] :
Saint Georges baptise le roi de Silène Saint Georges triomphe du préfet de Dioscoris, qui voulait l’empoisonner.
Ainsi les Lupi, fils et père, s’insèrent-ils au même rang que le roi et le préfet légendaires, en tant que protagonistes modernes dans l’hagiographie de Saint Georges.
Vierge à l’Enfant avec des Saints François, Jérôme, Jean-Baptiste et Sébastien et les donateurs (Palla Buffi)
Giovanni Santi, 1489, Palazzo Ducale, Urbino
Ce retable du père de Raphaël nécessite pour sa compréhension d’être regardé « en plan ».
Un regard d’en haut (SCOOP !)
Sur une des diagonales du trône, Saint François et Saint Sébastien sont présents l’un en tant que patron de l’église d’Urbino, et l’autre de la chapelle où ce trouvait le tableau [1] : c’est donc logiquement aux pieds de ce dernier que s’agenouille la famille Buffi, « montée » depuis le sol de sa chapelle dans la scène sacrée de son tableau (à noter que le point de fuite se situe au niveau de leurs yeux) . Pour clore cette diagonale, les mains ouvertes du père de famille renvoient aux paumes ouvertes de saint François montrant ses stigmates.
Sur l’autre diagonale du trône, Saint Jean Baptiste désigne l’Enfant de son doigt et de sa banderole (ECCE AGNUS DEI), enfant qui à son tour désigne Saint Jérôme, lequel clôt la diagonale avec son livre fermé et sa plume :
celui qui explique le Christ fait pendant à celui qui l‘annonce.
Ainsi, sous le regard « d’en haut » de Dieu le Père (flèche verte), les deux diagonales du trône croisent du passé au présent l‘histoire générale du Christianisme (flèche bleue) avec la dévotion particulière de la famille Buffi.
Vierge à l’enfant, Saint Ambroise avec Ambrogio Raverti, Sainte Lucie avec Lucia Marliani e famiglia
Anonyme lombard, vers 1493, fresque de l’église Santa Maria delle Grazie, Milan
Ce troisième exemple, où les donateurs ont pratiquement taille humaine, est intéressant par sa dimension historique. En 1471, Lucia Marliani avait épousé , à 17 ans, Ambrogio Raverti, 24 ans. En 1474, elle devint la maîtresse officielle du duc de Milan, Galeazzo Maria Sforza, dont elle eut deux fils. Après la mort du duc, en 1476 , elle revint vivre avec son mari dont elle eut trois fils (dont deux figurent sur le tableau) et trois filles (dont une seule est représentée).
L’amusant est que cette fresque se trouvait au dessus de la tombe d’un célèbre religieux milanais, Fra Giacomo da Sesto, mort en 1493 et connu pour son intransigeance : il avait refusé l’absolution à Lucia Marliani au moment où elle était la maîtresse du duc. Mais leur chemin se croisèrent une seconde fois de manière plus positive lorsque, revenue auprès de son mari, elle accoucha difficilement, pour la première fois, d’un enfant légitime : jugeant la situation désespérée, les médecins envisageaient un avortement pour sauver la mère mais Fra Giacomo s’y opposa catégoriquement : il assura que non seulement elle vivrait, mais qu’elle accoucherait d’un garçon : il lui fit donner un oeuf cuit – alors qu’elle ne mangeait plus depuis des jours – et aussitôt elle mit l’enfant au monde, sans souffrir aucunement. Ce miracle valut à Fra Giacomo sa béatification et à Lucia Marliani sa réhabilitation : quant au fils aîné miraculé, Gerolamo, il est placé dans la fresque juste sous l’Enfant Jésus, résultat tout comme lui d’un accouchement sans douleur. [2].
Vierge à l’enfant avec Saint Jacques, Saint Etienne, six donateurs, saint Bernardin de Siennne, Saint Jean l’Evangeliste, six donatrices
Maestro della pala Sforzesca, 1490-95, National Gallery, Londres
On ne sait malheureusement rien sur les donateurs : il s’agit probablement d’un tableau de mariage, les jeunes époux étant accompagnés l’un par son père, l’autre par sa mère. Mais il pourrait tout aussi bien s’agit d’un retable destiné à une confrérie, comme dans l’exemple suivant.
Vierge à l’Enfant avec Saint Sébastien, Saint Jean Baptiste, Sainte Marie-Madeleine, Saint Roch et des membres de la Confraternité de Saint Jean l’Evangeliste.
Cima da Conegliano, 1487-88, Brera, Milan
Ce grand tableau d’autel a été peint pour l’autel de Saint Jean Baptiste dans la cathédrale d’Oderzo, dont le patron était également Saint Jean Baptiste. D’où la présence de ce saint pour présenter les hommes, tandis que les femmes se placent sous le patronage de Marie-Madeleine.
Ce panneau harmonieux, parfaitement équilibré, trahit des réalités moins éthérées : on voit au fond à gauche des flagellants, dont les processions sanglantes étaient censées détourner la colère divine ; et les deux Saints postés à l’avant des deux côtés de l’arcade, comme pour protéger les dévots du monde extérieur, sont invoqués l’un en prévention des épidémies de peste, et l’autre pour la guérison des pesteux [3].
Pala Buronzo
Gerolamo Giovenone, 1514 , Galerie Sabauda, Turin [4]
Cet autre exemple, un peu différent, est quant à lui expliqué par les sources : Ludovica, veuve de Domenico Buronzo, a pris la place de son mari défunt, à la droite de la Madone. Elle est présentée par Sant’Abbondio, le patron de la chapelle familiale dans l’église de San Paolo à Vercelli. Ses deux enfants Pietro, l’aîné et Gerolamo le petit, sont quant à eux présentés par Saint Dominique : ainsi, pour compléter l’échange, le saint patron du père vient se substituer à la mère
Anonyme lombard, 1475-1550, localisation inconnue
C’est certainement une situation familiale similaire qui explique cette composition, dont on ignore tout.
Giovanni Bellini, 1510, Walters Art Museum, Baltimore Vierge à l’Enfant avec quatre sénateurs
Jacopo Tintoretto, 1553, Accademia, Venise
Toujours à Venise, la dévotion à la Madone prend parfois un tour officiel, et sert d’occasion à des portraits de groupe, entre collègues.
Tandis que la composition de Tintoret répartit équitablement les quatre sénateurs dans la moitié humble, celle de Bellini pose question, en privilégiant nettement un des procurateurs. Répartition d’autant plus significative que ce tableau votif était destiné à leur bâtiment officiel, la Procuratia di Ultra. Saint Pierre à gauche et Saint Marc à droite, présents en tant que chef de l’Eglise et Saint patron de la Cité, n’ont aucun rapport avec les prénoms des donateurs.
Manfredi, 1602, « Degnita procuratoria di San Marco di Venetia »
D’après Manfredi , il s’agit de Tomaso Mocenigo, Luca Zeno, and Domenico Trevisano. Tommaso Mocenigo (1460 – 1517), à gauche, avait cinquante ans à la date du tableau ; mais le troisième, Domenico Triuisano, mort en 1535 à plus de 80 ans [5] , était né vers 1450 : les trois ne sont donc pas rangés par âge décroissant.
Jacomo Sansovino, 1581 « Venetia … descritta in 14 libri (et cronico particolare delle cose fatte da i Veneti, dal principio della citta fino all’anno 1581) »
Ils furent nommés procurateurs respectivement le 5 mai 1504, le 5 Septembre 1503 et le 3 Août 1503 : ils sont donc classés par ordre décroissant d’ancienneté dans le poste, celui nommé en 1504 se trouvant en position d’honneur.
En outre, Tommaso Mocenigo doit aussi sa position d’honneur à sa carrière brillante : sénateur, membre du Conseil des X, podestat de Trevise et de Padoue, gouverneur de la banque dei Garzoni, il était considéré comme un possible doge. Cette position éminente reste néanmoins difficile à apprécier, compte tenu de l’incertitude sur la date du tableau (il semble avoir été réalise en deux temps, en 1504 et en 1510 [6] )
Pala Pesaro
Titien, 1519-1526, Basilique des Frari, bas côté gauche, Venise
Un chef d’oeuvre novateur
Inauguré en 1526, cet immense tableau d’autel avait été commandé en 1519 par Jacopo Pesaro, en remerciement de sa victoire contre les Turcs en 1502 (bataille de Santa Maura). [7]
Très novatrice, la composition est conçue pour casser tous les repères habituels des Conversations Sacrées :
- si on regarde la moitié gauche, on a l’impression d’une composition de profil (voir 2-1 En vue de profil), dans laquelle Jacopo Pesaro se présente au bas d’un escalier montant vers Saint Pierre et encadré par deux colonnes ;
- si on se concentre sur la moitié droite, on voit que la Madone est en fait vue de face, assise sur un autel adossé à la seconde colonne, surplombant la famille du donateur vue de profil.
De subtiles symétries (SCOOP !)
Cette déstructuration délibérée masque de très subtiles symétries :
- les deux Turcs vers lequel Saint Georges se retourne font écho aux deux franciscains (Saint François et Saint Antoine de Padoue) vers lesquel l’Enfant se penche (cercles verts) : ainsi les deux païens sont mis en balance avec les deux Saints, le guerrier en armure avec l’Enfant désarmé, et le gonfanon de la victoire avec le voile de Marie que celui-ci brandit ;
- du coup, Saint Pierre tenant le livre se trouve visuellement assimilé à Marie tenant l’Enfant ;
- quant à Jacopo Pesaro, sa silhouette agenouillée se diffracte dans ses quatre frères, et dans l’espoir de la famille, son jeune neveu Leonardo.
Les deux colonnes (SCOOP !)
Les colonnes ont reçu des interprétations variées. Helen S. Ettlinger [8] a établi un lien convaincant avec un passage du Livre de Sirac décrivant la Sagesse Divine :
« Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, et, comme une nuée, je couvris la terre. J’habitais dans les hauteurs, et mon trône était sur une colonne de nuée.« Sirac 24:3-4
En poussant un peu plus loin l’interprétation, ce texte pourrait effectivement fournir une interprétation littérale des deux colonnes et du nuage portant la croix :
- celle de gauche, entièrement « couverte » par l’ombre de la sagesse divine, représenterait le monde combattant de l’Ancien Testament, se prolongeant encore aujourd’hui dans la lutte de la Chrétienté (Saint Pierre) contre les Turcs ;
- celle de droite, au dessus de Marie et de l’Enfant représenterait le monde pacifié du Nouveau Testament : lumineux sauf l’ombre en forme de croix.
La différence de « point de vue » entre les deux moitiés du retable (vue de profil et vue de face) ne ferait que renforcer la différence de climat lumineux entre les deux Eres.
Vierge et l’Enfant entre les saints François d’Assise et de Benoît de Norcia et des donateurs (Madonna Greca)
Giacomo Santoro (attr.), 1505-29, église Santa Maria di Gesù, Alcamo, Sicile
Cette toile a fait l’objet de controverses quant à la datation et à l’identification des donateurs.
Pour Di Marzo et Di Cuccia [9] , le couple âgé serait Anna de Cabrera, comtesse de Modica et Federico Enriquez, frère du roi de Castille, qui se marièrent en 1488. Le couple n’ayant pas eu d’enfant, la jeune fille à droite serait la nièce et héritière d’Anna, tandis que le jeune homme à gauche est Luigi Henrique, le neveu de Federico. Ainsi le tableau, en montrant le nouveau couple encadrant l’ancien, sous la bénédiction de l’Enfant, manifesterait la continuité de la lignée à la tête du comté.
Pour Claudio Gulli [10], cette identification ne tient pas, pour des raisons de date et à cause de la simplicité des vêtements : Federico Enriquez étant membre de l’ordre de la Toison d’Or, il est inconcevable que cette prestigieuse décoration ne figure pas sur le tableau, dans le cas de cette très puissante famille. Un acte récemment retrouvé indique qu’il s’agit plutôt de membres d’une famille gênoise implantée à Alcamo, les Morfino, qui ont donné ce tableau à l’église en 1507.
Madone du Rosaire avec six Saints et huit donateurs (pala Cook)
Bernardino Lanino, 1552, North Carolina Museum of Art, Raleigh, USA
Image haute définition :
https://artsandculture.google.com/asset/madonna-and-child-enthroned-with-saints-and-donors/bQF4rMERbQKwzA
Les six saints
Ce panneau, dont on ne sait rien, est un véritable exercice d’iconographie en même temps qu’un défilé de mode ecclésiastique. On y rencontre successivement, de gauche à droite :
- Saint Dominique (avec l’étoile au front), en habit de dominicain ;
- Saint Laurent (donnant aux pauvres), en diacre ;
- Saint Thomas d’Aquin (avec sa broche dorée en forme d’étoile et son livre), dominicain ; à ne pas confondre avec Saint Nicolas de Tolentino, qui a aussi un lys, un livre et une étoile dorée, non pas au cou mais sur la poitrine) ;
- Saint Vincent Ferrer (avec la boule de feu de son éloquence), dominicain ;
- Saint Pierre de Vérone (avec sa hâchette plantée dans le crâne, son épée dans l’épaule, et sa palme bien méritée de martyr), dominicain ;
- Sainte Catherine de Sienne (avec la couronne d’épines), dominicaine.
Il est donc clair que le tableau a été commandé par les dominicains : les lys décorent leurs trois saints les plus fameux : Dominique, Thomas d’Aquin et Catherine de Sienne. Et la sélection des six personnages obéit à une logique par couple : deux piliers de l’Ordre (Dominique et Catherine), deux martyrs (Laurent et Pierre de Vérone), un théologien et un prédicateur (Thomas d’Aquin et Vincent Ferrer).
A noter une anomalie : l’absence de la palme du martyr pour Saint Laurent. Peut être est-ce par cohérence avec la rare iconographie qui a été choisie, celle de patron des pauvres : les pièces d’or et d’argent qui tombent de sa bourse, côté masculin, font écho aux roses blanches et rouges tombées du ciel, que l’enfant Jésus et les trois jeunes filles ont attrapées.
Les quatre dévotes
Côté féminin, il est clair qu’il faut isoler la femme âgé du fond, vêtue en pénitente dominicaine (guimpe blanche et voile blanc, ces soeurs prononçait des voeux simples et non solennels), et les trois jeunes filles en robe somptueuse, parées de bagues et de colliers.
L’objet noir posé au sol devant elles semble être une bourse à manche de bois.
Les quatre dévots
Côté masculin, la lecture est inversée : parmi les quatre vieillards barbus, on est tenté d‘isoler celui du premier plan, en manteau rouge et ayant posé son béret noir à terre, de ses trois confrères, qui eux le tiennent à la main.
Des donateurs anonymes
Six saints pour huit dévots : il est clair qu’ils n’ont pas été choisis en tant que patrons (pour illustrer leurs prénoms) mais pour des raisons de propagande dominicaine.
Les dévots sont sans doute des portraits de personnages réels que les Dominicains ont voulu honorer (peut être pour leurs dons, comme le suggèrent les deux bourses) : le béret noir du quatuor de vieillards suggère un groupe constitué, peur être une Confraternité du Rosaire ou bien un groupe de musiciens à relier aux quatre instruments (le vieillard en manteau rouge pourrait être le violoniste, qui mène l’ensemble) ; les riches vêtements des trois jeunes filles conduites par la soeur pénitente font penser à une classe de filles de bonne famille. Mais faute de sources, il est bien difficile d’aller plus loin dans l’explication de ce tableau foisonnant.
Madone du Rosaire avec Saints et dévôts
Lanino, 1579, Basilica di San Lorenzo, Mortara
A la fin de sa longue carrière, Lanino a produit une autre Madone du rosaire, commandée par la Confraternité du Rosaire pour l’Autel du Rosaire de la Basilique San Lorenzo de Mortara. La composition est assez similaire, mais dans un esprit résolument baroque : autour de l’image-choc du crâne transpercé de Pierre de Vérone on reconnaît Saint Dominique à gauche – au dessus d’un alignement de saints barbus, et Saint Laurent (le patron de l’église) à droite – au dessus de cinq filles riches chaperonnées par une religieuse. En haut, huit angelots brandissent des rosaires autour de l’Enfant Jésus, qui tend à sa mère un coeur enflammé.
Bien que Lanino ait récupéré bien des éléments de sa composition de 1552, le sujet est ici bien différent : car entre-temps, en 1571, la Madone du Rosaire était apparue miraculeusement durant la bataille de Lépante. D’après la tradition locale, les « saints barbus » de gauche représenteraient les protagonistes de cette victoire : le pape saint Pie V, Juan d’Autriche, le cardinal Marcantonio Colonna, le doge Sebastiano Venier, Doria, Barbarigo et Spinola [11] .
En France
La Vierge à l’Enfant avec la famille Trousseau
1400-1405, Cathédrale de Bourges
Apparaissent de gauche à droite, par ordre de rapprochement croissant avec la Vierge :
- deux chevaliers à genoux (aux manteaux ornés de trousseaux d’or, armes parlantes de la famille), encadrant une femme à genoux et présentés par une sainte martyre (les frères et la soeur du donateur) ;
- le chanoine Pierre Trousseau offrant le modèle en relief et sa chapelle et présenté par un diacre nimbé, sans doute saint Etienne ;
- ses parents, présentés par Saint Jacques
- la Madone, entre Saint Sébastien et sans doute Saint Ursin.
La Vierge à l’Enfant avec la famille Tullier
1532, Cathédrale de Bourges
Cent vingt ans plus tard, une autre chanoine se fait également représenter avec sa famille en procession vers la Vierge, dans le même ordre mais cette fois de droite à gauche. On voit ainsi dans les quatre lancettes :
- quatre chanoines présentés par saint Jacques ;
- Jehan, François et Pierre (les frères Tullier et le donateur), présentés par saint Jean l’Evangéliste ;
- les parents présentés par saint Pierre ;
- La Vierge, l’Enfant et le petit Jean-Baptiste.
La situation inversée s’explique non par les époques différentes ni par un besoin de variété, amis par la situation opposée des deux vitraux, à gauche et à droite de la nef : la Madone est toujours située côté choeur, dans le sens de progression des fidèles.
La Vierge est ici en dehors du vitrail : tous les membres de la famille prient la statue de la Vierge noire qui se trouve dans la chapelle. Ce sont, de gauche à droite :
- Charles Popillon, chancelier de la duchesse Anne , présenté par son patron saint Charles de Villare ;
- Marie Brinon, son épouse, présentée par une sainte martyre ;
- le donateur du vitrail, leur fils Nicolas, gouverneur des finances du duc de Bourbon, avec ses deux fils Nicolas II et Charles, présentés par Saint Nicolas ;
- son épouse Ysabeau de VIERSAT et leurs deux filles, présentées par saint Antoine.
Pour comparaison, ce vitrail antérieur, avec encore des donateurs-souris, montre une famille priant non pas explicitement la Madone, mais tournée en direction du choeur. L’ordre hiérarchique est le même (père, mère, fils et filles) mais ici les patrons et patronnes respectent l’alternance des sexes. Celle-ci est soulignée aussi par les deux types de dais : à trois pans pour les hommes, à deux pans pour les femmes.
Les donateurs sont probablement Jehan Legros et sa femme Isabelle, dont une inscription sur le mur indique qu’ils sont inhumés dans la chapelle : ainsi le père est présenté par son patron éponyme, et les fils par le patron de la chapelle.
Verrière des Triomphes de Pétrarque, 1502, église Saint-Pierre-Es-Liens, Ervy-le-ChâtelCommandé par Jeanne Le Clerc, veuve de Pierre Girardin, « en son vivant écuyer et lieutenant du bailli de a dicte ville d’Ervy », ce vitrail propose une iconographie unique sur laquelle je ne m’étendrai pas ici.
Le registre inférieur est en revanche sans surprise, autour de l’Immaculée Conception dont le croissant de lune massacre le démon : le défunt et ses deux fils sont présentés par Saint Pierre, le veuve et une fille sont présentées par Saint Jean-Baptiste.
Vierge à l’Enfant entre Saint Jacques et le donateur Jacques Malon et Sainte Anne avec son épouse Anne Robert, seigneur et dame de Bercy 1523 ,Eglise Sainte Marie-Madeleine, Vendôme
Les parents sont ici encore présentés par leur saint éponyme. suivis par les fils et les filles. Ils sont de taille proportionnée à la Vierge, assise sur un trône en avant : l’originalité est la taille géant des deux saints.
Pays du Nord
Psautier-Heures de Guiluys de Boisleux, Arras
Après 1246, ,Morgan Library MS M.730 fol. 17v
Dans cette composition très systématique, la polarité sexuelle régit tout, depuis le plus récent (la famille de donateurs), jusqu’à la Vierge à l’Enfant, et au delà jusqu’à l’Annonciation.
Mémorial des seigneurs de Montfoort
Vers 1400, Rikjsmuseum, Amsterdam
Quatre chevaliers flamands de la famille des De Rover de Montfoort (d’après les armoiries) s’agenouillent à la queue leu leu devant la Vierge et l’Enfant, celui-ci absorbé dans la lecture d’un document comme n’importe quel supérieur hiérarchique. Saint Georges, qui pousse le dernier par l’épaule, ferme cette présentation très militaire.
Le panneau a été réalisé en mémoire des quatre chevaliers dont le premier avait été tué en 1345 à la bataille de Warns contre les Frisons, et le quatrième grièvement blessé.
Vierge à l’Enfant dans un Jardin de Roses
Ecole de Cologne, vers 1430, Gemäldegalerie, Berlin
Très tôt, certains artistes ont abandonné la facilité des donateurs-souris pour tenter leur insertion au sein de la scène sacrée : ici encore en taille-enfant. De la même taille que la Madone, Sainte Catherine, Sainte Marie-Madeleine et Sainte Barbe ferment par leur présence vivante l’hexagone du Jardin Clos. A l’extérieur, la famille des donateurs est figurée selon l’ordre héraldique, hommes à gauche et femmes à droite..
Il semble bien qu’il s’agisse d’un mémorial au père défunt : l’épouse (au cou couvert par une guimpe) et la fille aîné (décolletée) portent le deuil et disent le chapelet, la seconde fille est en âge de porter un voile tandis que les soeurs plus jeunes sont en cheveux.
Comme pour plaider en sa faveur, Sainte Marie-Madeleine désigne le défunt à une Sainte Catherine distante tandis que Sainte Barbe, qui offre deux oeillets à l’Enfant, lui sourit déjà.
Triptyque avec la Madone et un couple de donateurs
Maître d’Anna, 1476- 1500, Museo Arte, Ponce
Par comparaison avec le panneau précédent, cet exemple montre tout l’intérêt du format triptyque (voir 1-4-2 Tryptiques flamands) pour mettre en bonne place les donateurs sans avoir à affronter les délicats problèmes d’interaction avec les personnages sacrés :
- le volet gauche est dédié à l’époux Jan Pardo , à son saint patron Jean-Baptiste et à ses quatre fils ;
- le volet droit est dédié à l’épouse Catharina van Vlamynckpoorte , à sa sainte patron Catherine et à ses deux filles ;
- le panneau central montre la Vierge à l’Enfant dans son jardin, entourée par le couple Sainte Catherine/Sainte Barbe : ces deux saintes sont classiquement appariées car on les invoquait ensemble pour intercéder pour la bonne mort ; symboliquement elles évoquent également la vue spirituelle et la vie matérielle.
A noter que, tandis que Catherine apparaît dans le volet de droite en tenue « de sainte », elle est représentée dans le panneau central en tenue « de cour », en tant que dame de compagnie de Marie (sans sa roue, mais portant sa couronne et assise sur son épée). Quant à Saint Barbe, elle est désignée par sa palme et la tour derrière elle.
On voit ici comment les deux cloisons internes du triptyque sont utilisées, au sein d’un paysage continu, pour escamoter la question de l’étanchéité du jardin clos.
Epitaphe de Jacob Jan van Assendelft et de son épouse Haesgen van Outshoorn
Anonyme hollandais, vers 1500, Rikjsmuseum, Amsterdam
Cet exemple montre tout l’écart entre les commande de luxe et les épitaphes produites en série, accrochées en masse dans les églises , parfois restaurées par les descendants pour conserver le souvenir des défunts, voire falsifiées pour des raisons d’amélioration de la généalogie [12].
Dans cet exemple, on retrouve le duo Sainte Barbe/Sainte Catherine, associé à un autre couple plus rare, celui des saints Côme et Damien qui flanquent la Vierge à l’Enfant. Ce sont les patrons des apothicaires, mais on ne sait rien de la profession du mari. D’après la dendrochronologie, le panneau a été réalisé bien après les décès de Jan et de Haegen, survenus en 1478 et 1471 selon l’inscription.
Même peint ultérieurement, il est donc sensé représenter la famille en 1478, à la mort du père. L’habileté du peintre ne lui permettant pas de vieillir les visages, Jan, pourtant âgé de 82 ans à sa mort, est représenté du même âge que ses fils. L’habit de nonne portée par la mère semble être une convention pour une laïque défunte (elle était morte sept ans avant lui). La croix portée par les trois filles, associée à leur vêtement noir, signifient qu’elles étaient mortes à la date théorique de l’épitaphe, ce qui n’a rien d’étonnant vu l’âge avancé du défunt. Parmi les sept fils, certains portent l’habit noir, mais pas de croix, ce qui laisse supposer qu’ils étaient encore vivants à la mort de leur père, mais avec des professions différentes.
Saint Anne trinitaire, avec Saint François et Sainte Ludwina, et une famille de donateurs
1490-1500, Master of the Saint John Panels, Rikjsmuseum, Amsterdam
On ne sait rien sur cette famille, groupée non plus autour de la Vierge à l’enfant, mais autour de la représentation très populaire de Jésus avec sa mère et sa grand-mère.
Le mari est présenté par Saint François ; la femme défunte, habillée conventionnellement en nonne mais distinguée par son livre, est présentée par Sainte Ludwina. Dans cette très catholique famille, trois des cinq fils portent des habits religieux, ainsi qu’une fille sur les trois (les deux autres ont simplement coiffé un voile et passé un manteau noir par dessus leurs robes grise et rouge.
Les enfants en rouge (SCOOP) !
Les historiens d’art se sont interrogé sur les six enfants en rouge, quatre garçons et deux filles, qui s’agenouillent autour du piédestal. Il pourrait s’agir des âmes d’enfants morts en bas-âge, mais cette représentation ferait exception par rapport à l’habitude (une petite croix tenue entre les mains ou sur le front) [13] : l’idée pourrait être que ces âmes ont le droit de monter sur la première marche du trône, mais pas sur le tapis, espace sacré. Malheureusement, la présence d’un grand enfant dans l’angle, vêtu en robe rouge mais agenouillé sur le sol, ruine cette hypothèse.
Le plus simple est de supposer, s’agissant d’une représentation tri-générationnelle de la Sainte Famille, que la famille humaine montre aussi trois générations :
- les enfants en rouge sont les six petits enfants du couple ;
- le plus grand, à mi chemin entre adultes et d’enfants, étant sans doute l’aîné du fils aîné.
Madone de Darmstadt
Hans Holbein le Jeune, 1525-26 et 1528, collection privée
Ce tableau, très célèbre en Allemagne, s’accompagne de plusieurs anecdotes : querelle sur l’original et la copie (la version de Darmstadt ou celle de Dresde ?), acquisition ratée par la Städel Museum à 40 millions d’euros, épisodes des « Enfants de la Madone » (voir tous les détails sur Wikipedia allemand [14])
Nous allons nous limiter ici à évoquer la controverse sur sa destination, qui va nous permettre de conclure en beauté ce chapitre.
Un instantané familial
Le maire de Bâle, Jakob Meyer von Hasen, est représenté face à sa fille Anna et à ses deux épouses : Dorothea Kannengiesser, la mère d’Anna au premier plan ; et la défunte Magdalena Bär, au second.
On sait désormais que le tableau de Darmstadt (celui-ci) est l’authentique, car il a été actualisé par Holbein à son retour d’Angleterre, en 1528 : Dorothea a perdu sa mentonnière, passée de mode entre temps ; et Anna a coiffé la Jungfernschapel des jeunes filles nubiles.
Ce souci d’une représentation ressemblante et actuelle, autrement dit vivante, se voit également dans les artifices que Holbein a utilisés pour supprimer le caractère compassé et conventionnel de ce type de portrait familial :
- les trois hommes s’étagent en oblique, les trois femmes selon la verticale ;
- le pli du tapis casse les fuyantes et empêche de localiser précisément le point de fuite (plus bas en tout cas que les yeux des adultes) ;
- la conque en écaille de tortue, les ellipses de la niche vue de dessous et les volutes des modillons confèrent un caractère organique à ce « ciel » de la composition.
Une profession de foi catholique
Il ne fait aucun doute que cette Madone familiale comporte une dimension militante, à une période où le maire était en butte aux attaques des calvinistes, devenus dominants à Bâle.
- La couronne de la Vierge, imitée de la couronne impériale, lui accorde implicitement la légitimité à régner sur l’Allemagne.
- Sa ceinture, bien mise en évidence, est un chiffon rouge à l’encontre des protestants. Elle fait référence à l’épisode de Thomas doutant de l’Assomption de Marie : celle-ci lui donna sa propre ceinture, preuve qu’elle était physiquement montée au ciel.
- Enfin, la coquille derrière la tête de la Vierge a pour centre une perle unique (invisible sur les reproductions) qui ferme son corsage transparent : or la perle, qui naît à l’intérieur de la coquille intacte, est une métaphore de la virginité de Marie.
Un condensé iconographique (SCOOP !)
Consciemment ou pas, Holbein a concentré dans cette oeuvre toute une tradition iconographique que la Réforme, puis la Contre-Réforme, allaient définitivement enterrer.
- Le figuier derrière le mur gris résume l' »hortus conclusus ».
- Le tapis et la coquille délimitent de manière minimaliste l’espace sacré (que Memling figurait par un dais, voir 1-4-2 Tryptiques flamands)
- Les deux gros modillons en pierre qui la soutiennent sont un rappel du triptyque à la mode hollandaise : mais en imposant l’agenouillement de la famille sous leur masse, ils évoquent aussi le manteau protecteur de la Vierge de Miséricorde.
Nichés tout contre la Madone, en taille réelle et en ressemblance photographique, les donateurs de Holbein ont acquis un statut d’intimité impossible à dépasser désormais.
Un tableau votif
Au XIXème siècle, l’aspect souffreteux de l’Enfant Jésus a fait croire que le tableau était un voeu pour la guérison d’un enfant malade : cette hypothèses est abandonnée aujourd’hui.
Un tableau de dévotion privée
On sent que d’intenses relations d’affection et de compassion lient les membres de la famille Mayer, au même titre que le regard de la Vierge se porte, relayé par Jésus, sur l’ensemble de la famille humaine.
- La Vierge regarde son fils qui regarde le spectateur (flèches vertes).
- Le père prie en levant les yeux vers la Madone, tandis que le garçonnet baisse les siens vers le bébé, lequel regarde à son tour vers le bas en dehors du tableau (flèches bleues).
- Enfin les trois femmes disent leur chapelet en regardant la première l’époux, la seconde le garçonnet, la troisième le bébé (flèches blanches).
Ces regards corroborent l’interprétation habituelle selon laquelle le garçonnet et le bébé seraient deux fils décédés avant la réalisation du tableau. Ainsi la mère morte regarde son époux vivant, tandis que la mère et la soeur vivantes regardent leur fils et leur frère défunt.
Une épitaphe
L’analyse des regards conforte la proposition de Kemperdick selon laquelle le tableau était l‘épitaphe de la famille Meyer, accrochée dans une église de Bâle (probablement la Martinkirche et rendue à son propriétaire au moment de l’iconoclasme.
Ainsi s’expliqueraient les regards croisés entre morts et vivants, ainsi que la main du bébé mort pointant vers le bas, vers l’emplacement de sa tombe… en dessous du pli du tapis.
Edoardo Rossetti, « Il volto di Lucia : un ritratto ritovato », 2010 http://www.academia.edu/2063684/Il_volto_di_Lucia._Un_ritratto_ritrovato [3] « Venezia e la peste: 1348-1797″, Marsilio Editori, 1979, p 215 [4] https://it.wikipedia.org/wiki/Pala_Buronzo [5] Relazioni degli ambasciatori Veneti al Senato, raccolte, annotate, e pubblicate da Eugenio Albèri, 1846, p 28 [6] « Italian paintings in the Walters Art Gallery », Zeri, 1976, volume 1, p 248. Cette notice comporte une erreur sur la date de nomination des procurateurs. [7] https://it.wikipedia.org/wiki/Pala_Pesaro
https://www.basilicadeifrari.it/opere/madonna-di-ca-pesaro/ [8] « The Iconography of the Columns in Titian’s Pesaro Altarpiece » Helen S. Ettlinger, The Art Bulletin, Vol. 61, No. 1 (Mar., 1979), pp. 59-67 https://fr.scribd.com/document/82225916/Ettlinger-Iconography-of-the-Columns-in-Titians-Pesaro-Altarpiece [9] La “Madonna Greca” di Alcamo. Un dipinto per Jacopo Siculo, Antonio Cuccia http://www1.unipa.it/tecla/rivista/12_rivista_cuccia.php [10] La «Madonna greca» di Pier Francesco Sacchi ad Alcamo: contesto lombardo e via ligure. Claudio Gulli, Concorso, Arti e lettere, IX, 2015
https://riviste.unimi.it/index.php/concorso/article/view/7683 [11] https://it.wikipedia.org/wiki/Basilica_di_San_Lorenzo_(Mortara) [12] https://www.rijksmuseum.nl/nl/collectie/SK-C-509/catalogus-entry [13] https://www.rijksmuseum.nl/en/collection/SK-A-4125/catalogue-entry [14] https://de.wikipedia.org/wiki/Darmst%C3%A4dter_Madonna