Poezibao publie aujourd’hui quatre poèmes inédits d’Henri Droguet.
QUITUS
1
nuit de cocagne
le grand soufflet le vent
tremblé bouscule et déménage
le roulis doux des cumulo
nimbus la cabane au loin sur la dune
2
la mer berceuse patiente chevelue
matraque la falaise accore
déjuque au quai
déjuque au dock numéro 22
à la digue emboutie
le ciel c'est de l'épais de l'oiseau
coupé dans l'arbre c'est
un nuage orge et seigle
ça passe
3
les hommes ont fait silence
et blanchi leurs mains
ils affûtent leurs lames
partagent la corde des pendus
goûtent l'herbe noire
boivent au broc du cidre amer
reconnaissent l'odeur crue des juments
jamais ils n'écoutent les aveugles
ils ne regardent pas les sourds
et déchantent: "Voilà dimanche
désossé saccagé l'homme est
à choir en pièces détachées
de la nue sauvage
chair d'auge et d'armoire
bidoche à cercueil
bidoche à Dieu
c'est bientôt nous".
4
les geais filent bas
les chiens traversent la forêt hors sol
hors temps des présages et des songes
un cheval rit près d'une pompe
un étang miroir presque bleu tari sédimente
les biefs intersectés flamboient
à la rivière les fagots sont jetés
les gendarmes pyrrhocoris apterus
aux chevrons rouges et noirs grouillent dans un parterre
les paquebots glissent au large des ilôts
5
il est 20h et des poussières T.U.
et le sempiternel poucet rêveur à sa vadrouille
ouvre très grand ses petits bleus yeux
zyeute et balbutie marmonne
son action de grâce
19 mars 2019
/
CHARIVARI, p.c.c.
Badaud musard et coi
que les lassitudes et la mélancolie
démangent et désemparent
il parle d'autre chose aux quatre coins
du fabuleux monde
aboli dépoli peuplé
d'attentes incertaines
le temps mort mord
à vif sa viande (et la vôtre)
et ses mains à tendre au petit feu
la bruine se dissipe inévitablement
sur un chien jouasse et quasi bleu
le taillis abrupt ouvert où les amants s'aiment
un chaudron fendu parmi les épilobes
l'osmonde et les digitales
la bauge par en-bas où se vautrent les porcs
un chalutier en pêche au large
l'enclume d'un cap à lande fleurie
que le crépuscule oblitère
le ciel débarbouillé s'entasse
le vent hors d'âge désherbe
ce que l'on voit c'est l'ombre
une femme qui passe puis une autre et puis
une autre encore et des enfants
qui bientôt seront tretous cendre et poudre
au grand tout le grand trou
le Grand Trou là là itou
et le temps marteau-pilonne
Adieu les beaux jours noirs et roses
adieu les vivants
adieu les mots auxquels je cause
adieu le vent
adieu son ronron juste avant
l'éternité ni
paralysée ni décalcomaniaque.
20 avril 2019
/
GRAND BEAU
La grêle tacatac tchac
a mitrailllé les orges l'opaque étang
le lieu-dit du loup perdu pendu
un pré gris où les corbeaux s'abattent
et démantèlent
la redoutable cicinde lle
aux extravagants mandibules
tout le grand beau désordre
des centaurées caille-lait gratterons
vains ornements préhistoire naturelle
et tout le jadis ciel absent échancré
grantouvert
guenille et roncier mécompte et déchirure
un sécheron séche sur la falaise
les eaux fument dans les eaux-
delà d'herbages vieux comme
les chemins la nuit le vent
sauvage et la mer
aux vives-eaux dissymétriques
intérimaires
imminent
surgi dans les dérinçures un embardement
d'ombre et le repli
d'un nuage ébréché décousu
flotte un semblant de sourire
noir dont la grâce tout-à-coup
désopile
puis plus
ou moins s'efface
ici l'imparfait délivre
et Dieu c'est le petit enfant scribouilleur
et perdu cloué
11 mai 2019
/
PARADE
La mer c'est pré gagné
champ d'écailles & placenta croustillé
sourcier fulgurant misérable miroir
paillasse à compagnons et gamelle aux étoiles
l'énorme crépitant fossoyeur mémoriel
chaudron des métaphores et route
dans l'ouvert
pour le partage et le dénuement la besogne
malgré les toujours incertains savoirs
ça mûrit vaguement dans les grains
les bruines les songes
pour aller
si tu pars
n'oublie pas la lumière
au fond d'un enclos un homme bleu
se laboure et pleure
ricane rigole et pleure
Le vent épais(sement) découche
roule dans l'île aux cent promesses
le gratte-cul le laiteron
la salicorne et le cresson
un peuplier verdit
l'aube confuse et laiteuse
c'est.
30 mai 2019
Henri Droguet, quatre poèmes inédits.