A propos de la description des thés japonais

Par Florentw
La sélection 2019 a bien pris forme et je propose déjà sur Thés du Japon une très large variété de thés. Pourtant, encore beaucoup de nouveautés sont à venir dans les semaines qui viennent, de très, très belles surprises, mais aussi des thés qui sont déjà des piliers importants de ma sélection (comme le Kôshun de Asamiya, le Goko non ombré de Wazuka, le 7132 de Kawane, etc).
Avec, encore une fois, de nombreuses choses à venir dans le courant de l'année 2019-2020, je dois dire que cette année est peut-être bien la sélection dont je suis le plus fier depuis ces presque dix ans d'activité. Non pas que cette année ait été spécialement un grand millésime en terme de qualité (globalement bonne, avec quand même quelques "bas"), mais en terme de contenu, avec beaucoup d'exclusivités, j'y vois énormément de belles satisfactions, un bel équilibre aussi !
Bref, j'en viens maintenant au thème de cet article : la description des thés, un exercice difficile, toujours assez subjectif et assujetti bien sûr au mode de préparation des thés.
Un premier point important à comprendre est qu'il n'y a au Japon pas ou peu de vocabulaire défini pour présenter les caractéristiques et arômes d'un thé. En somme il existe un vocabulaire utilisé par les professionnels pour l'examen des thés (thés bruts aracha le plus souvent), tel que pratiqué lors des concours et sur les marchés. Mais ce vocabulaire sert surtout à définir les défauts des thés, et ne sont pas du tout adaptés à la présentation des thés au consommateur.
De plus, le marché japonais restant très largement dominé par des thés assemblés (blends), assez standardisés, vendus par gamme de prix, dans ces boutiques de base, la présentation des thés ne va pas plus loin que "beaucoup d'umami" ou "astringent", ou encore "belle couleur verte".
Avec cette situation qui ne met guère en avant toute la profondeur du thé, professionnels et amateurs passionnés se trouvent devant une page presque blanche qui reste à écrire alors que se développe enfin petit à petit un petit marché pour des thés plus variés et riches (vendus par plantations, cépages, etc). Par quels termes évoquer la variété des parfums et des sensations procurées par le thé.
Une importante société a déjà fait une tentative intéressante de création d'une roue de saveurs pour le thé vert, comme il en existe pour le vin et le thé noir.
Bien, passé ce préambule je vais essayer de présenter les bases de mon vocabulaire (sans que j'ai non plus une nomenclature systématique et spécifique) pour clarifier, peut-être, certains points.
L'idée vient d'une question qui m'a été posée à propos d'une mention souvent faite dans mes descriptions : "un thé fort et doux".
Cela peut sembler antinomique, mais il n'en est rien.
Ici "fort" désigne l'intensité du goût, et le terme que j'y oppose est "léger".
En revanche "doux" désigne ici la saveur en elle-même, dans le sens "d'une douceur" qui signifie alors un aliment sucré (sweet en anglais, dolce en italien).
Bref, par "fort et doux" j'entends un thé dont le goût et puissant, intense, mais qui est malgré cela rond, sans angle crochu, plutôt velouté, sucré au sens large du terme. En même temps, dans ce cas, "doux" tient aussi pour la sensation, presque tactile, en bouche.
Quand je parle d'un thé "puissant", il s'ajoute bien souvent la nuance d'un thé dont after-taste est bien présent et qui dure longtemps en bouche. Ainsi, on peut avoir un thé "léger mais puissant". C'est à dire au goût peu intense en bouche au premier abord, mais qui reste longtemps présent sur le palais.
Avec "robuste", les deux aspects "fort" et "puissant" coexistent, chez moi, de manière claire.
"Sucré" est un terme pas toujours évident à comprendre lorsque l'on parle de thé. Il ne s'agit bien sûr pas purement du sucré d'un bonbon ou d'une pâtisserie, encore que parfois puisse en être très proche, mais quelque chose que l'on peut retrouver aussi dans des légumes cuits, qui recouvre la bouche d'une douceur veloutée qui se déploie rapidement dans toute la bouche, fait parfois même un peu saliver, mais qui se distingue de l'umami.
Parfois cependant, en particulier dans des thés avec une torréfaction (hi-ire) importante, on a vraiment quelque chose qui s'approche de la "sucrerie", d'un bonbon.
Par conséquent il faut évoquer ce fameux "umami".
Impossible de décrire simplement cette 5ème saveur, mais elle est pourtant fondamentale au Japon dans la cuisine. Elle provient des acides aminés, et se trouve la composante essentielle des bouillons (dashi) très présents dans la cuisine japonaise (bouillons à base le plus souvent de d'algue konbu et de bonite séchée, katsuo bushi). Il s'agit alors d'acides glutamiques. Pourtant, sans être nommée, cette saveur se retrouve en occident, dans les bouillons bien sûr, l'huile d'olive, le jambon cru, certains fromages (à pâte dure ou semi-dure), etc. Dans le thé l'umami provient des théanines. Cette saveurs est très recherchée, renforcée par les engrais, et plus encore l'ombrage (gyokuro, matcha, mais aussi beaucoup de sencha en fait).
L'umami laisse en bouche une sensation ronde et enveloppante. Il arrive de manière frontale et nette dans les thés ombrés, les thés de concours, mais peut être plus délicate dans d'autres thés, se développant surtout en after-taste dans la longueur.
Astringence et amertume ?
L'idée générale de dire que plus un thé est riche en umami moins il est astringent  n'est pas fausse, mais ne se vérifie pas dans 100% des cas.
Certains thés peuvent avoir de manière forte les deux en même temps. L'astringence peut certes sembler couvrir cet umami, mais ne l’empêche pas d'être présent si on sait interroger sont palais (où simplement si l'on boit beaucoup de thé, et que l'on est ainsi moins sensible à astringence). La persistance en bouche peut permettre de s'en rendre compte.
L'astringence se sont les tannins, des polyphénols (les fameuses catéchines), qui peuvent laisser une impression rappeuse en bouche. Elle est à exclure dans les concours, mais n'est pas forcement un défaut. L'équilibre entre astringence et umami est justement une qualité des sencha. Pour ma part j'apprecie un sencha qui conserve une légère astringence.
Si l'astringence est l'une des 5 saveurs, l'amertume ne l'est pas. La différence entre les reste trouble pour certains, aussi j'aime à prendre la comparaison suivante. Le vin est astringence alors que la bière est amère.
Une amertume prononcée est plutôt un défaut dans le thé.
Les arômes des thés
Là est l'exercice difficile. Les arômes du thé sont bien sûr très nombreux, et plus variés en réalité que de prime abord (les cépages constituent un apport essentiel). Pourtant, les isoler, les identifier n'est pas chose aisée.
De plus, dans cet environnement japonais, on se retrouve souvent à évoquer des choses typiquement japonaises qui n'évoque souvent pas grand chose au consommateur occidental (sakura-mochi, azuki, patate douce grillées, kinako, etc).
On pourrait trouver les familles suivantes:
- végétal cru (herbe fraiche, légumes cru, etc)
- végétal sec (herbes sèches, bois, foin, etc)
- fruité (agrumes, fruits rouges, fruits jaunes, etc)
- épicé (cannelle, vanille, camphre, etc)
- floral (rose, jasmin, muguet, violette, etc)
- lacté
- autres (riz cuit, pomme de terre, biscuits, sucre noir, fruits à coque, cacao, etc)
ETC...
(les herbes aromatiques pourront tantôt être dans le domaine du cru, tantôt dans celui du sec).
L'exercice est surtout très subjectif, le ressenti de chacun étant parfois très différent.
Voici en tout cas quelques bases de mes descriptions. J'espère continuer à affiner mes perceptions et leur rendu, le travail maintenant à deux avec mon assistante en boutique donnant des échange plus fructueux autour d'un thé que des tergiversations solitaires.