Après avoir visité La Havane, Cuba et le Cap pour écrire ses dernières histoires, c’est à Ajaccio que Frédéric Couderc a posé ses valises pour écrire son dernier ouvrage, Je n’ai pas trahi. À l’occasion de la sortie de ce roman aux éditions Pocket Jeunesse, l’auteur est venu dans les locaux de Babelio le 14 juin dernier pour rencontrer trente Babelionautes et échanger avec eux autour de son enquête jeune adulte qui alterne récits de Résistance, histoire d’amour et vendetta moderne.
Luna, 16 ans, emménage avec sa mère à Ajaccio, après le divorce de ses parents. La jeune fille vit difficilement cette séparation et a du mal à s’intégrer dans son nouveau lycée. Heureusement, elle sympathise avec le charmant Mattéo. Elle se plonge dans les études et prépare le Concours National de la Résistance. Elle s’intéresse en particulier à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Corse, et découvre les exploits d’un jeune juif : Salomon. Lorsque Mattéo est sauvé d’une agression par un vieil homme prénommé Salomon, Luna commence son enquête, se pourrait-il que ce soit le même homme ?
À chaque roman son pays
Pour ses trois dernier romans comme pour celui-ci, l’auteur a pris le temps de découvrir la ville qui accueille ses personnages pendant quinze jours, sans famille ni amis : “Dans mes quatre derniers livres, j’ai essayé de dérouler un fil qui fait de chaque ville un personnage de mon roman. Il peut s’agit d’une ville que j’ai visitée ou dans laquelle j’ai vécu enfant. Mes personnages sont déjà esquissés lorsque je pars, ce sont donc eux qui me guident : cela me permet de me projeter dans un endroit.”
Jusqu’ici, Frédéric Couderc écrivait des romans aux accents historiques destinés aux adultes. Lorsqu’est née l’idée d’écrire son premier roman pour la jeunesse, il a pensé aux trois villes fortes de ses romans précédents : Buenos Aires (Aucune pierre ne brise la nuit), La Havane (Le jour se lève et ce n’est pas le tien), et le Cap (Un été blanc et noir), et c’est finalement la ville d’Ajaccio, sur l’île de Beauté qu’il visite régulièrement depuis 30 ans, qu’il a choisie comme décor de son nouveau roman.
Aux origines du roman
C’est alors que Frédéric Couderc a repensé à une histoire sur la Seconde Guerre mondiale qu’on lui avait racontée par hasard, celle d’un bateau de réfugiés juifs d’Anatolie : “Exclus par les Ottomans et les Anglais, ils ont reçu un formidable accueil à leur arrivée en Corse : scolarisation des enfants, coiffeur, tailleur, logement,… chaque réfugié avait un Corse pour prendre soin de lui.” Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire semble se répéter car c’est Paul Balley, le Préfet de Corse entre 1940 et 1943, qui fait en sorte qu’aucun juif Corse ne porte l’étoile jaune ou ne soit déporté. Touché et intrigué par ces histoires, Frédéric Couderc a pourtant déjà écrit un roman sur la Seconde Guerre mondiale (Et ils boiront leurs larmes), et craint de se répéter : “Je n’aurais pas repris le thème de la Seconde Guerre mondiale en littérature pour adulte, car je l’ai déjà trop creusé. C’est pour cela que j’ai choisi d’écrire un roman jeunesse, en ajoutant la particularité de la Corse. Je me suis alors demandé si l’île avait vraiment été une île de Résistants pendant la guerre : après tout, les hommes ne sont pas tous des héros, il y a eu des collabos partout, alors pourquoi pas en Corse ? C’est comme cela que j’ai eu l’idée d’introduire le concours national de la Résistance. J’ai pensé à Luna, une lycéenne qui se pose plein de questions, et qui aurait ingénieusement ajouté un point d’interrogation à son sujet d’exposé : “La Corse, île des Justes ?””
Même s’il s’adresse à un public différent avec ce roman, Frédéric Couderc est ainsi resté dans la veine historique : “j’essaie de proposer une littérature à la croisée des genres, dans laquelle une histoire d’amour ou une histoire de famille est prise dans les montagnes russes de l’Histoire.” Mais plutôt que de s’appuyer sur des témoignages, l’auteur préfère se nourrir de ses rencontres incongrues avec les îliens pour construire son roman. Alors qu’un bus manqué lui permet de repérer les lieux pour la cavale du livre, c’est à partir d’un graffiti découvert par hasard sur un mur Corse, et sur lequel il était indiqué “Je n’ai pas parlé” que Frédéric Couderc a trouvé le titre de son livre : “Fred Scamaroni, un héros de la Résistance Corse, était torturé et avait peur de parler : pour ne pas le faire, il s’est suicidé et a écrit “Je n’ai pas parlé” avec son sang.”
De la quête identitaire…
À l’aspect historique, Frédéric Couderc a cette fois ajouté une dimension jeunesse à son roman. À partir des recherches qu’elle va faire pour son exposé, l’héroïne Luna va ainsi s’interroger sur ce que cela veut dire d’être juif et d’être Corse : “Ces questions m’ont permis d’aborder le sujet de la quête identitaire chez les adolescents et de comprendre le puzzle des identités. Le but d’un livre, c’est de voir les personnages évoluer. Quand la fin du roman arrive, les personnages doivent avoir appris des choses de cette histoire.” C’est notamment pour cela qu’il a introduit les personnages de Mattéo, un camarade de classe de Luna, et de Salomon, un homme âgé : “j’avais vraiment envie de ces deux personnages, qui se transmettent une expérience et un savoir. Je crois en ces valeurs.”
Pour Frédéric Couderc, la Corse est fidèle à une tradition d’accueil des réfugiés, qu’ils soient 700 juifs dans un bateau au début du XXe siècle, ou qu’ils viennent depuis l’Aquarius un siècle plus tard, “Mattéo et Salomon se découvrent tous les deux corses, bien que l’un soit d’origine arabe et l’autre juive. Comme Paris, la Corse a cette capacité de réunir des gens qui viennent de partout.” Aujourd’hui encore, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’identité Corse continue de se réinventer : “La Corse a payé un lourd tribut à cette guerre. L’île a échappé à l’industrialisation du XIXe siècle, les élites sont parties sur le continent et dans les colonies, et les jeunes qui restaient ont été saignés à la guerre. Après cela, il a fallu repeupler l’île, la faire resurgir, et pas seulement par des touristes.”
Les personnages du roman de Frédéric Courderc sont ainsi là pour interroger l’identité Corse et la faire entrer en collision avec la modernité : “Garance, la mère de Luna, fait remarquer la culture du silence qui existe en Corse en disant que les îliens ont “de l’eau dans la bouche” mais Luna et Mattéo sont là pour changer cela : ils veulent s’ouvrir. L’une interroge l’histoire, et le second veut devenir artiste, graffeur.”
…à la quête du métier d’écrivain
Cette nouvelle expérience d’écriture l’a alors conduit à s’interroger sur son métier d’écrivain : “être auteur, c’est tout un cheminement. Je continue de tâtonner même après avoir écrit plusieurs romans. En sortant mon premier roman jeune adulte, j’espère que les lecteurs auront envie de retrouver les personnages le soir, j’espère qu’ils s’y reconnaîtront et que je ne suis pas passé à côté de thématiques essentielles.” Et aussi à réinventer son style d’écriture : “j’aime écrire des scènes de sexe ou hyper violentes, mais c’était difficile en jeunesse car le curseur de tolérance est placé plus bas. En revanche, l’écriture gagne en efficacité : les scènes sont plus rapides et plus courtes, plus fougueuses et rythmées, on accepte moins les digressions.”
Mais que ce soit pour la jeunesse ou pour les adultes, l’auteur a souligné l’importance de l’étape de relecture : “en relisant les épreuves, on a constaté qu’on avait fait une erreur de 20 ans sur une date de l’histoire Corse. C’est un décalage qui ne pardonne pas, car il nous renvoie à la position de l’outsider. Quand on est un auteur, on prend le risque d’être jugé par un spécialiste : un élément incorrect peut créer de la suspicion et détruire l’ensemble du travail effectué.”
Concernant son travail, Frédéric Couderc n’est d’ailleurs pas à court de projets : s’il aimerait écrire un deuxième tome de Je n’ai pas trahi, peut-être le retrouvera-t-on également dans un long roman de 700 ou 800 pages qu’il rêve d’écrire !
Retrouvez Je n’ai pas trahi de Frédéric Couderc aux éditions Pocket Jeunesse.