Avec les années, il en était arrivé à considérer Guillaume Tell et la Mère Royaume comme un couple d'aïeux vaporeux qu'il n'avait certes pas connus, mais dont la hardiesse, l'abnégation et l'honnêteté le façonnaient plus sûrement que les sempiternelles réprimandes de ses géniteurs.
Bendiman Solal, Ben pour ses proches, est en effet né en Suisse, de parents tchadiens, Zakaria Solal et Liliane Kanda, et a coulé une enfance marquée par les feux des célébrations du 1erAoût, les lampions de la Fête de l'Escalade...
Les parents de Zakaria et Liliane ont été massacrés dans la brousse alors qu'ils se trouvaient dans la caravane qui sillonnait le pays, lors de la campagne pour la première réélection du président de la République du Tchad, Didi Salman Dada, alias L'Autre-là.
Zakaria et Liliane sont alors devenus pupilles de la Nation: Le Parti devint à la fois leur maman et leur papa de sorte qu'avant même de savoir distinguer un bulletin de vote d'un papier hygiénique, ils en étaient déjà devenus d'ardents zélateurs.
Des années plus tard, Zakaria et Liliane se marient et reçoivent entre autres cadeaux une mangeoire[version tchadienne du fromage français]: Zakaria fut nommé chef comptable à l'ambassade du Tchad en Suisse avec résidence à Genève.
A l'ombre tutélaire du Jet d'Eau, symbole de l'Esprit de Genève, qui conduit des parties en conflit sur le chemin de la paix, cette période baignée d'insouciance prend fin avec le rappel de Zakaria au Tchad, au moment où Ben doit entrer au collège.
Ben est séparé de ses géniteurs après sa descente d'avion peu avant minuit et se retrouve avec Prosper, le frère de son père. La nouvelle tombe sur le coup de midi: Madame et Monsieur Solal [ont] été arrêtés et mis au secret... pour raison d'État.
Bienvenue au Tchad! Dès lors l'existence de Ben est consacrée à la recherche de ses parents, dont le lieu de détention est maintenu secret pour raison d'État. Par rapport à la Suisse, quelles que soient ses imperfections, le changement est radical...
Ben, dans sa nouvelle école de Takoral, est qualifié de négropolitain [condensé de nègre et de métropolitain] et surnommé Mini Tell, pour moquer son côté justicier et son besoin obsessionnel de calquer son comportement sur Guillaume Tell
Ben apprend, à ses dépens, qu'au Tchad tout s'achète, que la corruption gangrène policiers et soldats, que la vie humaine ne vaut rien, que ceux qui prennent la brousse un jour pour rejoindre les rebelles peuvent se rallier un autre à la raison d'État.
Tout au long du roman, le sort de ses parents tourmente Ben et, pour le connaître, il va devoir se montrer rusé. Par ailleurs une série de nombres le turlupine: 10-15-6. C'est vraisemblablement une clé de la raison d'État infligée à ses parents.
Dans Au petit bonheur la brousse, Nétonon Noël Ndjékéry fait donc une peinture bien sombre du Tchad, tout en tenant habilement le lecteur en haleine jusqu'au bout, en ne dévoilant que dans les dernières pages le fin mot de l'histoire des Solal.
Mais il faut toujours espoir garder, car, comme l'écrit l'auteur:
La lumière renaît toujours des ténèbres.
Francis Richard
Au petit bonheur la brousse, Nétonon Noël Ndjékéry, 384 pages, Hélice Hélas