Comment apprendre à vivre avec la mort ? Peut-on survivre au deuil ? En a-t-on seulement le droit ? Avec une plume fluide et délicate, Marion McGuiness signe chez Eyrolles un roman optimiste qui nous invite à sortir du deuil et à réapprendre à vivre pleinement. Ode à la vie, Egarer la tristesse engage la réflexion : à travers l’importance des liens familiaux, amoureux et amicaux, l’auteure nous montre que la vie se fraye toujours un chemin. Nous avons eu le plaisir de recevoir Marion McGuiness dans nos locaux pour une rencontre conviviale avec ses lecteurs, le 11 juin dernier.
Depuis ce jour, son fils est la seule chose qui la tient en vie, ou presque. Dans le quartier parisien où tout lui rappelle la présence de l’homme de sa vie, elle cultive sa solitude au gré de routines farouchement entretenues : les visites au cimetière le mardi, les promenades au square avec son petit garçon, les siestes partagées l’après-midi…
Pourtant, quand sa vieille voisine Manou lui tend les clés de sa maison sur la côte atlantique, Élise consent à y délocaliser sa tristesse. À Pornic, son appétit de solitude va vite se trouver contrarié : un colocataire inattendu s’invite à la villa, avec lequel la jeune femme est contrainte de cohabiter.
La fiction constitue un nouveau banc d’essai exigeant pour l’auteure qui avait publié jusque-là essentiellement des livres pratique autour de la grossesse et de la petite-enfance. Pour ce premier roman, Marion McGuiness a décidé de revenir sur ses thèmes de prédilection : dans un style sobre qui met en lumière toute la délicatesse des sentiments, elle aborde les sujets de la maternité et de la reconstruction de soi après la perte d’un être cher. A l’origine de ce roman, on trouve une peur viscérale commune à toutes les mères : « Ce roman est né de cette angoisse que toutes les mères peuvent ressentir : la peur d’être seule. Comment pourrais-je élever un bébé si je n’avais pas mon conjoint sur qui compter ? » La couverture donne dès lors le ton : mélancolique et fleurie, la nature y est belle et touchante, une barrière blanche est close, à l’image de la narratrice qui se confine dans l’isolement au début du roman et qui devra s’ouvrir pour aller de l’avant.
Vivre le deuil au jour le jour
Le deuil est au centre du roman de Marion McGuiness : une douleur qu’elle a à cœur d’explorer sous toutes ses formes, avec toutes ses subtilités : « Chacun réagit au deuil différemment. Il y a autant de deuils que de relations. On doit parfois faire le deuil de gens qui ne sont pas morts. J’avais envie d’explorer d’autres douleurs ». Une souffrance que l’on retrouve dans le processus littéraire même, puisque ce roman, Marion McGuiness l’a porté en elle pendant longtemps. Une gestation lente et douloureuse puisque pour coucher sur le papier des émotions si intenses, l’auteure a dû s’imprégner entièrement des ressentis de son héroïne, jusqu’à atteindre une forme de synchronisation émotionnelle : « Certaines pages ont été très difficiles à écrire. Je me mets à la place de mes personnage. Pour moi, Elise est aussi réelle qu’une amie. Je me suis trouvée à la contempler, j’attendais de voir ce qu’elle faisait et comment elle réagissait au quotidien. C’est comme ça que les autres personnages ont surgi. J’essaye de me placer en observatrice de ce qui se passe dans mon esprit. » Durant tout ce temps où le personnage d’Elise a habité l’auteure, elle a pu évoluer, s’adoucir, grandir avec elle : « Grandir en tant que personne m’a permis de faire grandir mes personnages. Certains de mes personnages sont devenus autonomes et ont pris une existence réelle au fil de l’écriture. »
Au fil du roman, Marion McGuiness dévoile les étapes incontournables du deuil, détaillant les espoirs, les doutes mais également les souvenirs d’Elise. Ces réminiscences sont omniprésentes dans le roman : les personnages doivent lutter contre leur mémoire, les souvenirs sont douloureux, ils les retiennent : « À un moment de notre vie, on est la somme de tout ce qu’on a vécu, et de toutes les personnes avec qui on les a vécu. On a le choix de notre réaction : se laisser dépasser, ou permettre à ce passé de nous faire grandir. La douleur isole d’un côté et écarte de l’autre. On sait que les autres ne sauront pas dire les mots qu’on a envie entendre, et à l’inverse, l’entourage se sent impuissant à guérir cette douleur chez l’autre. Faire face à ses propres émotions tout en étant là pour l’autre demande une grande maturité. » Elise s’écarte de son entourage, mais renforce plus que jamais ses liens avec son bébé, avec qui elle vit en quasi symbiose : « Elise a besoin de lui comme d’un bouclier contre le monde, elle le porte, le tient contre elle. Il la rassure. Les enfants ont tendance à avoir ce 6e sens : ils sentent ce qu’ils doivent être pour se conformer aux attentes de leurs parents sans en parler. La séparation des corps s’amorce peu à peu : il fait plus de bruits, commence à parler, comme s’il pouvait laisser sa mère aller de l’avant sans crainte. »
Un deuil à vivre entouré
Peu à peu, l’acceptation amorce l’accomplissement du deuil : un processus qui ne peut fonctionner que grâce à l’épanouissement des relations, qu’elles soient amicales, familiales ou amoureuses. Elle se rapproche ainsi de Manou, sa voisine attachante, et de son petit-fils Clément, qui connaît lui aussi la douleur du deuil : « Au départ, il n’y avait pas beaucoup de personnages dans mon roman. Puis, j’ai eu besoin d’entourer Elise. Si on veut revivre et ressentir de la joie, on est obligés de s’attacher à certaines personnes. » La famille est peu présente durant la reconstruction de l’héroïne. Pour l’auteure, plus que les liens du sang, ce qui compte, ce sont les liens du cœur : « Je voulais évoquer le fait qu’Elise est aussi le produit de son enfance. Elle a grandi dans une famille où la violence est omniprésente : violence physique, psychologique, et c’est en partie pour cela qu’elle a moins de résilience pour se remettre de ce qui lui arrive. Elle a besoin d’une nouvelle famille pour passer le cap. Si elle avait eu une famille bienveillante, une famille de comédie américaine, le roman n’aurait même pas existé. On se crée sa famille. » Le cheminement du deuil mène Elise vers la réconciliation. Elle ne recouvre pas ce qu’elle a perdu, mais apprend à vivre avec sa perte dans un monde qui lui est désormais nouveau et inconnu, ouvert à l’imprévu.
La mer : lieu idéal du lâcher-prise
Une étape cruciale dans la libération de l’héroïne du roman est l’escale en bord de mer. L’horizon, la mer à perte de vue ouvre le champ des possibles : « La mer est un symbole de renaissance mais aussi de danger. C’est presque un personnage dans le livre. Chacun a une relation différente avec elle. Elle est bénéfique pour Elise mais elle ne l’a pas toujours été pour certains personnages du roman. » Quant à la ville, elle est une entité brutale pour l’héroïne : « J’ai quitté Paris il y a longtemps. Je n’aime pas la ville, et je crois que ça se ressent dans mon roman. On essaye toujours de chercher ce qui tient de l’auteur dans le livre : alors oui, ça tient de moi, pour moi, la ville est quelque chose de dur. » Référence à la fois à la mer, et aux larmes, le titre du roman était au départ Le goût du sel. Puis, il a fallu en changer, d’autres titres similaires existaient déjà. L’idée d’égarer sa tristesse est venue à l’esprit de l’auteure : elle ne disparaît pas mais on peut choisir la place qu’elle prend dans notre vie : « Elle est toujours quelque part, mais elle n’est plus tout autour. Elle ne nie pas sa douleur, mais peu à peu, elle arrive à la délocaliser et à la surmonter, presque, à la sublimer. »
Sortir du deuil et s’ancrer dans le réel passe également par des détails physiques, des petits gestes du quotidien qui semblent à première vue banals mais sont pourtant essentiels : « Quand j’écris, j’ai tendance à être trop dans l’abstrait, à mentaliser, j’essaye de m’ancrer avec des choses réelles, en réfléchissant à la sensation que ça peut faire, capter des sensations, des odeurs, partager des scènes… Ce sont des petites choses toutes simples mais qui rapprochent les personnes qui lisent. » Être sensuel, c’est être vivant pour l’auteure : l’ouverture sensorielle et émotionnelle permettent de se réconcilier avec le monde et de cheminer vers la guérison.
Marion McGuiness envisage déjà sérieusement la sortie d’un deuxième roman au printemps 2020. L’intrigue sera complètement différente, mais il se pourrait bien qu’on y retrouve certains personnages, d’un roman à l’autre, à la manière d’une carte postale : « Le fait de réussir à aller au bout de celui-ci me donne confiance pour la suite ! »
Découvrez Égarer la tristesse de Marion McGuiness aux éditions Eyrolle.