Notes et soupirs - Lettre à Joseph Correa

Par Gangoueus @lareus



Cher Joseph,
Pour produire ma chronique sur l’ouvrage intitulé Notes et soupirs que vous avez récemment publié aux éditions Presses Panafricaines, je me suis pris au jeu de vos échanges épistolaires avec plusieurs intellectuels sénégalais. Et je me suis dit : « je vais moi aussi lui écrire une lettre ». L’exercice n’est pas aisé, je dois dire. Il est probable que je ne sois pas à la hauteur. Mes dernières correspondances soutenues remontent à mon adolescence...
A l’époque, j’écrivais à Sabine M., la fille de notre facteur à Décines, quelque part en banlieue lyonnaise. En effet mes parents m’avaient embarqué dans leurs valises vers cette terre inconnue qu’était le Congo Brazzaville, pour l’enfant que j’étais. Je contais à la lyonnaise cette découverte des rues du quartier populaire où j’habitais, le réveil au chant du coq et bien d'autres choses qui éveillent la curiosité d'un repat. Je serais très curieux de relire ces missives… Plusieurs années après, étudiant amoureux, je correspondis durant quelques années avec une amie. Plus qu’une amie. Et je mesure la force de votre initiative à la puissance que l’écrit figé sur une feuille de papier oppose à un e-mail tapotée de manière expéditive depuis un laptop et envoyé parfois sans relecture suite à un dérapage de notre auriculaire sur le bouton « Enter ». D’ailleurs pour la petite histoire, quand - après une rupture de communication - je tentai de nouveau d’écrire désormais par e-mail à mon ancienne correspondante, les malentendus ont tout de suite éclaté. L’immédiateté du web mit fin à un bel épisode de mon parcours terrestre…
Tout cela pour dire que j’ai tout de suite été emballé par votre projet. Ecrire de très belles lettres à des différents penseurs sénégalais, espérer leurs réponses pour celles et ceux qui ont le temps, la courtoisie et la capacité - c'est-à-dire le talent - de répondre, puis proposer un ouvrage, c’est un fait inédit. Un sacré défi. Il faut beaucoup croire en l'autre pour mener une telle action. Et j’aime me nourrir de ce genre d’initiatives périlleuses. Le fait de ne pas être sénégalais, dans ces échanges sénégalo-sénégalais, n’a pas vraiment été gênant à mon niveau pour trois bonnes raisons. Tout d’abord parce que je connais certains de vos interlocuteurs que j’ai côtoyés par le biais de l’Afrique des idées, un think tank africain créé initialement par de jeunes sénégalais, des écrivains comme Mohamed Mbougar Sarr, Souleymane Gassama dit Elgas, Fatou Diome ou des journalistes comme Sada Kane. Je connais un peu moins le milieu universitaire, mais je trouve que votre livre introduit assez bien dans ce monde élitiste. Comme, je vous l’ai indiqué, je ne lis pas ce qui se présente comme un échange épistolaire avec la même légèreté qu’une fiction ou même un échange d’e-mails. Il y a un recul obligé par ce genre littéraire qui suppose de la profondeur autant dans le traitement d’une question que dans la qualité de la formulation de dite question. On attend ou plutôt je m’attends à voir des questions essentielles être traitées. On ne prend pas une heure ou un après-midi, pour parlementer, discourir, plancher sur du papier par pure oisiveté.

Sur le fond

Et c’est la première critique que j’ai envie de faire sur cet ouvrage. On a dû mal à comprendre le fil conducteur de vos questions. Certes, vos préoccupations se portent avant tout sur la littérature et sa représentation dans les médias. Les initiatives qui sont prises en télévision ou sur la radio ne sont pas à la hauteur des enjeux qui semblent essentiels pour vous dans la nécessité de faire le pont entre lecteurs et écrivains. La critique est franche. Les chroniqueurs ne sont pas à la hauteur du défi imposé. Selon moi, ces trois missives sur ce thème qui comprennent la dernière lettre hommage dédiée à Sada Kane font fi de la révolution digitale actuellement en cours. Aujourd’hui, s’attaquer aux médias mainstream et à la sous-représentation de la culture dans les programmes est un combat d’arrière-garde. Car l’Internet offre des possibilités infinies de discourir sur ce qui se fait de mieux sur la littérature sénégalaise. YouTube, Viméo, Instagram, Facebook, les blogs ?
Cher Joseph, Internet ne nous permet plus de dire « Y-a-qu’à » … Tout y est possible et la jeunesse y recherche de plus en plus de contenus que sur les médias classiques qui sont en fin de vie. Ou pire, des médias qui neutralisent l'accès à la connaissance. D’ailleurs, il est intéressant dans cette lettre hommage à Sada Kane que vous fassiez référence à Bernard Pivot et Jacques Chancel. Ces références en disent long sur un décalage et une certaine idée que vous vous faites de ces passeurs de mots. Pivot, Chancel (que je n’ai pas connu comme chroniqueur, c’est trop ancien pour moi) sont des esthètes, des références absolues. Mais sur des formats qui me semblent obsolètes pour promouvoir de la littérature en ce 21ème siècle bien engagé. Donc, un problème mal posé à mon sens. Par contre, une question s’impose à moi : comment produire des contenus avec la même exigence et le même niveau d’engagement que ces hommes du livre sur les nouveaux médias ? Que valent les initiatives de critiques littéraires sénégalaises sur le web 2.0 ?
La deuxième remarque cher Joseph porte sur le caractère trop personnel des questions que vous posez dans vos lettres. Prenons l’exemple de votre message à Mohamed Mbougar Sarr à propos de son fabuleux premier roman Terre ceinte et sur la place de l’amour dans cette fiction que vous questionner. Vous vous attardez sur une scène secondaire qui m'est néanmoins revenue à l’esprit quand vous l’avez évoquée. Disons qu’il y a tellement de choses à dire sur ce roman… Alors la question de l’amour et du sexe. J'ai bien aimé la finesse de la réponse de Mbougar Sarr me rappelle la sagesse de ce jeune écrivain. Aborder la question des montées de l’intégrisme religieux dans le contexte du Sahel est en soi un défi, mais l’auteur doit également - si on vous suit - penser à nourrir notre voyeurisme avec le risque de réduire la portée d’un discours important. Je peux comprendre, on parle de littérature. Mais enfin, on meurt pour des parties de jambes en l’air non autorisées dans certains coins du monde. N’en demande-t-on pas trop à nos auteurs ? En fait, c’est cette fermeture au final qui me pose problème. Plutôt que d’avoir à être confronté à vos soupirs personnels, le lecteur que je suis, aurait aimé avoir un état des lieux de trente ans de littérature féminine au Sénégal et une évaluation de son impact sur la société... Ou encore sonder l’héritage ou pas de Senghor - le grand absent de cet ouvrage - sur le monde des lettres sénégalaises actuelles... Ou mieux les impasses de la littérature sénégalaise sur la collaboration de certains de ses éléments avec la France dans son projet colonial, un sujet plutôt croustillant, non ? Mieux une mesure de la portée des nouvelles formes d’expression dites « urbaines » comme le slam par exemple ?
Cher Joseph, j’ai eu le sentiment d’être dans un entre soi, de sachants s’attardant sur des problématiques secondaires. J'ai pensé parfois à Coluche. En vous lisant et m’imprégnant des réponses de celles et ceux qui ont eu la délicatesse de vous répondre, j’ai parfois eu l’impression d’avoir l’autoproclamation de celui qui a la plus belle bibliothèque française du 18ème et du 19ème siècle, en ressassant Musset, Balzac, Beaudelaire, Rimbaud ou Zola à tout va. Non, pas que je manque de respect pour ces grandes plumes qui sont des références pour toute littérature en langue française. Mais une telle allégeance devant ces « pères » sans citer une seule fois Senghor, David Diop, Boubacar Boris Diop, Aminata Sow Fall me parait très surprenant ou peut être révélateur de quelque chose de profond. C’est en reprenant ce classicisme, cette tradition littéraire française, qu' Elgas souhaite bousculer des pratiques culturelles et religieuses oppressantes, selon lui, de son pays. Mais si tel est le cas, pourquoi pas commencer cette déconstruction par l’outil même par lequel on prétend engager une révolution. Où peut être cette forme, révèle quelque part d’où on écrit ? Je viens d’une région d’Afrique où les auteurs sont moins révérencieux vis-à-vis de la langue française tout en connaissant leurs classiques. Cela explique un peu mon agacement. Tenez, même pas un mot sur le projet puissant de Boubacar Boris Diop de proposer une littérature en ouolof. Et de cette collection Ceytu proposée par deux éditeurs non sénégalais. Quelle réception au Sénégal d’Une si longue lettre en wolof ? Indifférence ? J’aurais été curieux d’avoir l’avis des enseignants que vous questionner sur ce qu’est vraiment une littérature réellement africaine.

Une note plus personnelle

Alors, je me montre quelque peu taquin. Je rajoute que j’ai trouvé ce projet trop impersonnel. Et d’une certaine manière, je me suis dit qu’il aurait été préférable de laisser tomber la correspondance et proposer un essai écrits à plusieurs.Un de vos soupirs m’a touchée quand vous avez écrit cette lettre à C. Vous y êtes certes maladroit, en exploitant sans un recul un cliché sur les « femmes camerounaises » qu'on perçoit vénales selon les piliers de bars. Au-delà de ces considérations générales sur cette gnak (1) qui a su se démarquer du rang de ses sœurs de race, les mots que vous avez pour elle sont beaux, ils portent une émotion complètement absente de vos autres missives. Ils parlent au lecteur que je suis, un peu voyeur comme vous pouvez l’être en lisant les scènes attendues d’amour des romans de Mbougar Sarr. Moins bien planqué que ce dernier, dans le fond, vous dépassez les représentations que de jeunes sénégalais se font, pour aller vers cette autre, cette camerounaise. Derrière, j’y vois quelque chose moins intime et de plus politique, une question qui n’est pas présente dans vos lettres jetées comme de nombreuses bouteilles à la mer : Qu’en est-il du projet panafricain dont nombre de penseurs sénégalais ont été pendant des décennies durant de grands défenseurs ? Un sénégalais parle à une camerounaise.
« Le malheur de pays comme le nôtre c’est d’avoir longtemps confiés à la France son destin et de continuer de le confier »
p.135 Notes et Soupirs, Editions Presses panafricaines
Dommage que nous n’ayons pas droit à la réponse de Cheikh Tidieye Ndiaye à cette remarque.Vous l’aurez compris, cher Joseph, j’ai été emballé par ce projet qui sort des sentiers battus et j’ai peut-être eu des attentes trop importantes sur ces invitations au dialogue. Il faut un début à tout et plus d'interlocuteurs courtois pour vous répondre. J'espère vous lire prochainement.
LaRéus Gangoueus
(1) Gnak! : Comment traduire ce terme tendre...