Carlos Tavares, le patron de PSA, l’avoue en interne : « Techniquement, le diesel moderne est guéri de tous ses maux. Mais la bataille politique est perdue ! » Les ventes de véhicules à moteur Diesel baissent très fortement depuis 2015 et plus nettement encore en 2018, dans le marché du neuf et également dans le marché de l’occasion. Les causes semblent multiples :
- La hausse de la fiscalité sur les carburants et notamment le rattrapage du diesel sur l’essence prévu par le gouvernement français pour 2019.Elle s’ajoute à celles initiées par le gouvernement précédent avec la loi de transition énergétique 2015 via la taxe carbone. Cela a pu remettre en cause le modèle économique pour les consommateurs.
- Le dieselgate, avec l’affaire Volkswagen qui a mis un sérieux doute dans l’esprit des consommateurs sur la fiabilité des informations sur ces moteurs.
- Les préoccupations écologiques et les alertes fortes sur la dangerosité des gaz d’échappement, qui ont amené la mairie de Paris notamment à vouloir interdire le diesel à l’horizon 2024.
Une guerre d’information sur le caractère polluant ou non du moteur Diesel notamment en le comparant au moteur à essence a eu lieu, orientée sur la quantité de CO2 produite. En tous cas, ce qui se confirme est qu’intrinsèquement le moteur Diesel produit des gaz d’échappement avec des particules néfastes pour la santé selon Agnès Lefranc, de l’INVS.
L’importance du diesel en France
Au-delà d’être un moteur nécessaire aux poids lourds, le diesel était une motorisation parmi d’autres. Elle a été développée par la société Peugeot, à partir de 1958 en France. L’origine de l’engouement pour le diesel vient d’un constat que l’Etat fait dans le début des années 80. L’énergie nucléaire a fourni l’électricité pour le chauffage des logements et des entreprises à la place du fioul. Les raffineries tournent au ralenti. Les gouvernements y voient un risque de hausse du chômage. Les gouvernements, par une fiscalité avantageuse sur le coût du gasoil, encouragent alors les fabricants de moteurs à en vendre et les consommateurs à les utiliser.
Dès le début des années 80, J. Calvet, PDG de Peugeot, convainc les autorités publiques de maintenir le régime fiscal favorable au gasoil. La santé économique des constructeurs automobiles n’était pas très bonne. Les ventes de véhicules à moteur Diesel poursuivent leur progression pour atteindre 65 % des ventes totales vers 2012-14 pour 4,5 % dans les débuts des années 1980.
L’emploi ou la santé ?
Cependant, dès 1983, un rapport «Roussel » est remis au 1er ministre de l’époque, A. Mauroy, alertant sur les risques pour la santé humaine dus aux pollutions des gasoils dans le moteur Diesel il reste lettre morte. Plus tard, le Premier Ministre L. Jospin est lui aussi alerté par un écologiste EELV (Europe EcologieLesVerts), A. Lipietz .Son rapport présente tous les risques pour la santé de la motorisation diesel même si d’autres motorisations sont également évoquées. PSA crée son premier filtre à particules en 2000, en réponse sans doute aux problèmes de pollution. En 2011, les filtres à particules deviendront obligatoires sur tous les véhicules neufs. Pour autant, le filtre à particules continue de concentrer à l’heure actuelle toutes les critiques qui remettent en cause son efficacité, notamment lors d’utilisations exclusivement urbaines , même si, en conditions idéales de fonctionnement, le rendement est, semble-t-il, de 99%. C’est une histoire longue, de près de 40 ans, que le diesel en France.
Qui a défendu quoi ?
Chacun des acteurs, constructeurs, Etat, gouvernement, écologistes et associations diverses a joué sa partition :
- L’Etat pour conserver des recettes fiscales a finalement augmenté les taxes sur les carburants tout au long des 40 dernières années, et depuis 2015, sous prétexte d’écologie pour atteindre en 2018, 57% du coût total du diesel, pour 61 % de celui de l’essence. Et cela ne semble pas terminé, car d’ici 2022, les taxes sur le gazole vont bondir de près de 23 centimes d’euro par litre et celles sur l’essence de près de 11,5 centimes. Pourtant aucun des gouvernements n’a clairement évoqué le risque sanitaire élevé de 15 000 décès par an en plus de toutes les maladies affectant les bronches. Les gouvernements ont peut-être préféré l’emploi à la santé publique…
- Les constructeurs ont alerté sur le risque de chômage tout en sachant que le principe de la combustion Diesel génère des particules NOx. « D’après les estimations de l’Observatoire de la métallurgie (patronat et syndicat), 10 000 à 15 000 emplois seraient menacés sur 37 500 d’ici à 2030 (« les Échos », 27 décembre 2019 ?). Personne n’arrive à se mettre d’accord sur les chiffres, mais une chose est sûre : des dizaines de milliers de postes sont concernés, tant chez les constructeurs automobiles que chez les sous-traitants ». L’ensemble de la filière automobile a bénéficié de cette niche « fiscale »
- Les écologistes ont bien sûr, avec d’autres averti des risques, en alertant sur la nature polluante de ces moteurs usant même de l’argument du CO2 (seules les particules NOx le sont). Ils se sont appuyés sur des rapports, des études, comme le révèle l’ONG « Transport et Environment ».
La stratégie des acteurs
L’Etat a privilégié l’emploi (raffinerie produisant du gas oil) pour sans doute des préoccupations électorales, au détriment de la santé publique. Celle-ci avant le scandale du sang contaminé n’était semble-t-il pas une des priorités politiques. En revanche, il apparait que les rapports alertant sur les risques ont été régulièrement produits depuis 1980. Les constructeurs : Peugeot d’évidence a réussi depuis les années 80 à bien vendre son savoir-faire, suivi en cela par Renault grâce au maintien des avantages fiscaux en « avertissant sur le risque de chômage ». Le chantage à l’emploi d’une filière essentielle en France, à la fois en nombre et en image est un classique vis-à-vis de la population française. Le charisme et le réseau politique de J. Calvet y sont sans doute pour quelque chose.
Les constructeurs ont répondu régulièrement aux attaques des écologistes, par des améliorations de la technologie (via des normes notamment). -Les écologistes ont réussi à faire passer les messages d’alerte au sujet de la pollution par de la communication attaquant des modèles européens et français qui ne se conformaient pas aux critères des normes. Ils ont joué sur la « dramatisation » auprès de l’opinion publique et sur le manque de respect des valeurs d’«honnêteté» des constructeurs.
Qui est sorti vainqueur de l’affrontement informationnel ?
L’Etat sort vainqueur car il n’y a pas, à ce jour, de scandale de santé publique malgré les 15 000 morts qui seraient dus à la pollution de l’air, et également grâce aux recettes fiscales sur les carburants. Elles ont augmenté même si elles ont été limitées par l’effet des manifestations des « gilets jaunes » ou suspendues par un moratoire de quelques mois. On peut imaginer qu’entre la baisse de la consommation du gasoil et donc des recettes fiscales, l’augmentation des taxes plus l’augmentation du cout du pétrole en 2019, les recettes seront « bonnes » en 2019.
Les écologistes avec l’appui de l’Union Européenne sortent en partie vainqueurs car ils ont démontré leur capacité à limiter une pollution provoquée par un bien de consommation qu’est l’automobile à moteur Diesel même si cela ne semble pas aussi évident.
Et les perdants finaux sont les constructeurs et surtout PSA, comme le dit Carlos Tavares mais pas sur tous les fronts. Les acheteurs vont vers de plus petits modèles, orientés essence sans plomb et vers les véhicules électriques. Reste pour les constructeurs à relever les défis de la motorisation électrique. Par ailleurs, avoir résisté depuis 1980 face à un problème de santé publique, connu dès les années 80 dans le rapport « Roussel » démontre un savoir-faire pour influencer les parties prenantes, en premier lieu les consommateurs et en second lieu les politiques.
Les salariés des industries liée à l’automobile, risque d’y perdre à en croire le Syndicat FO PSA France. La loi Mobilité qui doit être discutée à l’Assemblée Nationale au cours du mois de juin 2019 dit qu’elle veut supprimer le diesel à horizon 2040 avec une perte d’emplois de 340 000 postes dont 70 000 avant 2030.
Le consommateur : perdant ou gagnant ? Il a gagné pendant des années sur l’achat de gas-oil à la condition de rouler à des couts de carburants plus bas que l’essence. Réel gain ? Cela restera à évaluer entre le cout plus élevé du véhicule et la consommation plus faible en l/km. Des perdants aussi sans doute : ceux qui doivent revendre leurs véhicules avec la baisse du marché de l’occasion des véhicules diesel tout en encaissant la hausse du gasoil. On peut s’interroger sur la « naïveté » du consommateur à privilégier le diesel au détriment de sa santé.
Le perdant depuis des années, et peut être gagnant pour l’avenir, serait le citoyen : il a payé pour sa santé pour un plus grand nombre de victimes que les accidents de la route en France. Les gagnants seront peut-être nos enfants qui dans plusieurs années ne devront plus inhaler ces échappements nocifs s’ils ont disparu.
Patrick Le Men
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