Je vous parle d'un film qui m'a séduit par tous ses choix. Que ce soit sa musique, ses interprètes, sa réalisation, sa narration, ses audaces surtout, sa capacité à faire voyager à si peu de frais, ses sujets, ses trouvailles, ses innovations, son parfum.
L'art a pour but de transporter ailleurs. Le 7ème me transporte parfois, stimulé par tous mes sens, franchement ailleurs.
Le Mépris, l'a fait.
LE MÉPRIS de JEAN-LUC GODARD.
Le Mépris est d'abord un livre existentiel de l'italien Alberto Moravia, publié en 1954, dans lequel il racontait l'histoire d'un scénariste, dont le couple s'effondre peu à peu. Inspiré de l'une de ses propres expériences conjugales, son livre est un tour de force de la narration. La simplicité de son scénario (un homme doit adapter l'Odyssée pour le cinéma, à Capri, sa femme l'accompagne, leur mariage se décompose quand le scénariste pousse sa femme dans les bras du producteur du film.) et la dure familiarité qu'il décrit, précisément, sobrement autant que très simplement, dramatise avec succès, ce qui rend les relations entre deux êtres si compliquées. Le livre est écrit entièrement du point de vue de Molteni, le scénariste, mais on en vient à questionner les intentions du narrateur autant qu'il questionne lui-même les intentions de sa femme. Alors que Molteni descend en enfer dans ce corridor de miroir, ses doutes, ses réalisations, ses excès de rage, on se surprend à penser qu'il ne faille faire confiance à personne en général. Encore moins croire à sa propre révision mentale des réalités auxquelles nous sommes confrontés.
Moravia était un écrivain formidablement complet, capable de toutes les subtilités (comme ici) tout comme il était en mesure de parodier à peu près tout, comme l'Homme discutant avec son propre pénis, qui lui répond, et avec lequel il s'obstine, inspirant très certainement un Phillip Roth pré-Portnoy.
Avril 1963, Carlo Ponti, producteur et Jean-Luc Godard veulent travailler ensemble sur une co-production France-Italie. Godard propose une adaptation du Mépris de Moravia, duquel il a le ok pour faire quelques modifications. JLG veut Frank Sinatra et Kim Novak dans les rôles principaux, mais les deux refusent. Ponti propose alors dans sa cour italienne, Marcello Mastroianni et Sofia Loren, alors aussi l'épouse de Ponti. Cette fois, c'est Godard qui dit non. On s'entend alors sur Piccoli et surtout Bardot. dont les producteurs voudront voir le cul. Et les sous qui viendraient avec.
Godard ne se trompera pas beaucoup dans sa caricature du producteur carnivore ne voyant que les sous, incarné par l'Étatsunien Jack Palance.
Il offre le rôle du réalisateur (dans son film) à une idole de tous les cinéastes, le réalisateur allemand Fritz Lang, à qui il fera dire la philosophie de JLG par rapport au cinéma en général. Giorgia Moll est la traductrice et assistante de tournage, Raoul Coutard joue son propre rôle de cadreur, Godard joue l'assistant de M.Lang et Linda Veras incarne une sirène dans le film à l'intérieur du film.
Il offre la musique à George Delerue. Qui signera une musique si remarquable pour mes oreilles que je l'écoute toujours de nos jours. Même Scorcese la subtilise pour un de ses films. Étrangement, la version italienne est signée du jazzmen Piero Piccioni. Ponti et surtout le producteur des États-Unis, Levine, auront ce qu'ils voudront avec Bardot en affiche principale. Mais Godard n'aimera rien de l'expérience.
Moi j'aimerai tous ses choix. Moi qui n'aime en rien les voitures, je suis séduit par la Alfa Romeo de Jack Palance. La photographie de Raoul Coutard est d'une splendeur offrant un Capri savoureux de couleurs vives et estivales. On a chaud pour eux. La villa est presqu'un personnage en soi. Elle appartenait à un autre auteur italien, Curzio Malaparte. L'architecte de l'endroit, endroit qui n'avait alors que 20 ans, en 1963, était Adalberto Libera.
Le choix de L'Oddysée d'Homère n'est pas innocent dans la trame narrative.
Godard avouera avoir été largement influencé par Méditerranée de Volker Schlöndorff et Jean-Daniel Poisset, lancé la même année.
Je suis un amoureux absolu de Jean-Luc Godard et ne comprend pas pourquoi je ne vous ai pas placé un de ses nombreux films encore dans cette rubrique, sur ce blogue.
J'ai découvert Moravia par la suite, qui est un formidable auteur. Précisément intelligent.
Je revisite Le Mépris au moins une fois par année. Film, où on entend des dialogues en français, anglais, italien et allemand. "Silenzio" est le dernier mot du film. Ce mot sera repris au coeur du film et de la trame narrative de Mulholland Drive de David Lynch en 1996. Un autre film que je possède, chérie et revisite souvent.
Pour les plus beaux des voyages, chaque fois.
Jean-Luc nous offre ici une merveilleuse capsule du temps.
Que j'aimerai encore longtemps.