La fabuleuse histoire de l’Eau de Cologne

Par Richard Le Menn

Cet été et jusqu'à la fin de l'année, le Musée International de la Parfumerie de Grasse organise une exposition consacrée à l'eau de Cologne, depuis son élaboration en 1709 jusqu'à aujourd'hui. Elle est intitulée : La fabuleuse histoire de l'Eau de Cologne. Entre baignades en Méditerranée et promenades dans les Alpes-Maritimes, les chanceux estivants ainsi occupés, ajouteront avec bénéfice un passage dans ce musée situé dans le pays du parfum !

S'il fallait afficher un parfum emblématique du XVIIIe siècle, ce serait sans doute celui-ci ! À la fin de ce siècle, beaucoup d'imitations et autres contrefaçons sont créées. Et oui, déjà au XVIIIe siècle la contrefaçon se propage dans le domaine du luxe, prenant une ampleur croissant avec l'industrialisation. Ce serait surtout à partir des années 1960, lorsque cette fragrance est récupérée par la grande distribution, qu'elle perd sa connotation luxueuse, pour englober une catégorie de parfums plutôt bon marché. Cependant, l'Eau de Cologne primitive serait toujours produite par les descendants du créateur.

À l'origine, il s'agit d'un parfum assez révolutionnaire, créé en Allemagne par un Italien, Jean-Marie Farina (1685 - 1766), et très en vogue dans toute l'Europe, en particulier en France. Il est d'abord vendu comme un remède. Il conserve ce rôle pendant longtemps, en complément de sa fonction olfactive. Dans le fascicule paru pour l'exposition universelle française de 1867 ( cliquer sur l'image ci-dessus pour accéder à cet ouvrage numérisé par Google ), sont encore vantées les vertus médicinales de cette potion considérée comme un " fortifiant du système nerveux " : " Les maux contre lesquels elle est un remède aussi prompt qu'efficace sont le mal caduc, l'apoplexie, le tremblement, la roideur du cou, les palpitations du cœur, les obstructions du foie ou de la rate, les douleurs des reins, la colique, les maux d'estomac et les indigestions. " Il s'agit véritablement d'une eau que l'on peut même boire, semble-t-il !

Je n'ai pas vu l'exposition, mais le musée m'a gracieusement envoyé le catalogue ( image ci-contre ). Celle-ci est très intéressante car exemplaire de l'évolution du secteur du luxe.

Il y a d'abord l'origine. L'Europe importe le savoir-faire italien dans le domaine du luxe depuis le XVI). Une boîte de ma collection est visible e siècle. En France, d'importantes manufactures sont créées par des Italiens ou grâce à l'apport d'immigrants de la Péninsule qui amènent avec eux leur savoir-faire. C'est le cas pour la céramique (majoliques), la dentelle, la peinture, la sculpture, etc. Cela est à la base de la Renaissance française. L'exposition retrace l'arrivée de Farina à Cologne, en 1706. Il est issu d'une famille italienne de parfumeurs. Il serait le premier à utiliser l'essence de bergamote. La bergamote est un nouveau fruit très à la mode au XVIIIe siècle, et on en fait même de jolies boîtes parfumées ( ici et ici. photographie ci-dessous du dossier de presse du musée

Au XVIIIe siècle, de nombreux fabricants de parfums prospèrent à Cologne, et beaucoup de contrefaçons existent. On considère alors cette eau comme une panacée (soignant tous les maux). Au début du XIXe siècle, son rôle de parfum est mis en avant. En 1803, un Allemand nommé Wilhelm Mülhens (1762 - 1841) crée l'eau de Cologne Franz Maria Fatrina qui, en 1807 devient N°4711. En 1862, est fondée en France la société Roger & Gallet, qui propose une grande gamme d'eaux de Cologne, des produits dérivés (poudre de riz, lotion, savon à base de cette eau) ainsi que divers autres vinaigres de toilette, eaux parfumées, savons, produits de soin et de maquillage. Cette société dépose plusieurs brevets (flacon goutte-à-goutte, rouge à lèvres...) et développe son activité de façonnier afin de fournir les premiers grands magasins (Le Bon Marché, La Samaritaine...). D'autres grandes maisons de parfumerie françaises déclinent leur eau de Cologne, comme les maisons Lubin, Guerlain, Chanel, Hermès, Christian Dior, etc. Diverses eaux sont produites et, comme déjà dit, la grande distribution s'empare de l'eau de Cologne lui faisant perdre tout ce qui fait auparavant sa renommée : panacée, eau pour la toilette et parfum de luxe.

Suivre cette évolution, c'est le faire de fragrances d'abord naturelles, aux propriétés non seulement olfactives mais aussi médicinales et lavantes (pour la toilette), pour s'acheminer progressivement vers quelque chose de plus en plus chimique. Cette histoire devrait inspirer les parfumeurs actuels, afin de revenir à des compositions naturelles, avec des effets médicinaux. Allier la délicatesse d'un parfum à des propriétés thérapeutiques et de bien être serait pour le coup du grand art ! En cette époque polluée, cela s'avère plus que jamais nécessaire !