303 c’est son titre et il surprendra le public français. Il parlera davantage à nos voisins allemands car dans leur pays tout le monde sait qu’un 303 c’est un camping-car Mercedes.
Ils sont sans doute attachés à ce modèle comme nous pouvons l’être à notre deux-deuche, sauf que leur 303 est beaucoup plus grand et autrement mieux adapté pour partir en vacances.
Le réalisateur Hans Weingartner a filmé un road-movie amoureux dans l’air du temps, qui conduit le spectateur d’Allemagne en Belgique puis en France, en Espagne et jusqu’au Portugal.
Même si les paysages sont plutôt bucoliques ce ne sont pas eux qui font l’intérêt du film mais la confrontation entre les points de vue, radicalement opposés, de deux jeunes adultes (qui eux à l’inverse du mythique 303 sont bien de notre époque) sur différents sujets tels que l’écologie, l’économie, le pouvoir, l’individu, l’amour, la fidélité…
Le réalisateur n’a pas craint d’oser de long plans séquence, y compris en travelling arrière, ce qui permet de situer la progression de la discussion qui s’installe entre les deux jeunes gens. Le film est d’ailleurs assez long, et en deux heures, il a tout le loisir de restituer la manière dont les idées vont faire leur chemin dans le cerveau de chacun
Hans Weingartner a prévenu le spectateur par une citation de Rainer Maria Rilke : Zeit haben zur Liebe (avoir du temps pour l’amour, Ceci est la première anticipation de l’éternité -Dieses ist das erste Vorgefühl des Ewigen).
Les deux comédiens sont confondants de naturel. Le réalisateur dit avoir mis quatre ans pour constituer son casting. Jule (interprétée par une très jeune comédienne mais très prometteuse, Mala Emde) échoue à ses examens de biologie. On refuse d’octroyer une bourse à Jan (interprété par Anton Spieker), jeune étudiant en mathématiques. Tous deux sont un peu en échec. Pour une raison que vous apprendrez plus tard dans le film Jule va souhaiter aller au Portugal retrouver son petit ami et décide d’y aller en 303.
Jan s’apprête à descendre en Espagne voir à Bilbao un père biologique qu’il n’a encore jamais rencontré, mais son covoiturage l’a subitement laissé tomber. Le hasard veut que Jule s’arrête près de lui et accepte de le prendre en stop dans son vieux van.
L'action se situe presque toujours en extérieur et pourtant le réalisateur restitue une densité comparable à celle d’une pièce de théâtre. Les deux personnages sont comme seuls au monde, dans leur bulle qui est le 303, traversant des villages qui semblent même parfois inhabités.
Le garçon est convaincu que par nature, l’être humain est égoïste. La jeune femme croit quant à elle que l’humain est en réalité empatique et coopératif. Il y aura des affrontements, le premier sera assez vif en raison de leurs points de vue opposés sur le suicide mais il y aura aussi des concessions qui se révèleront profondes et captivantes et qui évolueront au cours du voyage qui au risque de me répéter, laisse le temps au temps.
On est loin de la rapidité avec laquelle on échange sur les réseaux sociaux avec des gens que parfois on n’a jamais rencontrés. On pourrait comparer ce film à une démonstration "anti-Tinder". On n’a pas l’habitude de voir s’installer sur une longue durée une relation ancrée dans le respect et l’écoute des besoins de l’autre. C'est une nouvelle vision du romantisme, totalement à l'opposé par exemple des amours de Laure dans le roman Comme elle l'imagine de Stéphanie Dupays.
Les deux voyageurs discuteront longuement d’écologie, d’économie, de pouvoir, d’amour et de fidélité.
Le réalisateur aborde des questions très politiques, à propos desquelles les allemands ont une forte sensibilité. Il y a 50% de la population qui vit seule en Allemagne et June démontre que l’économie capitaliste a tout intérêt à ce que cela perdure parce que les gens malheureux consomment davantage. A l’inverse l’écologie a tout à perdre avec un tel mode de vie.
Jule explique aussi que si l’homme de Cro Magnon a survécu c’est parce qu’il a su coopérer alors que l'homme de Néandertal a disparu parce qu’il était dans la compétition. Le partage permet la libération des hormones de bonheur (et vous apprendrez que la tarte aux pommes est un remède contre le chagrin) tandis que la solitude libère des hormones de stress. Nous comprenons laquelle des deux visions il faudrait adopter si on veut avoir une chance de survivre nous-mêmes.
Le film milite pour une écologie humaniste à travers la révélation de constats plutôt terribles : il existe un endroit sur notre planète qui suffirait à fournir de l’énergie solaire à toute la planète tellement le soleil y est puissant alors qu’au lieu d’en profiter on brûle du pétrole ...
Ce film est aussi l’occasion d’une réflexion sur la paternité, choisie ou imposée. Et nous remarquerons combien Jule et Jan vivent des choses semblables ou en miroir.
Néanmoins 303 n’est pas donneur de leçon et se déroule sur le mode d’une comédie romantique avec plusieurs séquences qui sont imprégnées d’humour.
Plusieurs séquences ont une valeur de métaphore, comme celle au cours de laquelle Jule initie Jan au surf sur une plage landaise. Le spectateur s'interroge sur l'issue du voyage et sur l'avenir du couple qui se forme, sur la voie de l'amitié à moins que leurs débats ne soient pas seulement motivés par l'envie de confronter leurs points de vue. A cet égard le réalisateur introduit avec beaucoup de subtilité la notion de désir.
Hans Weingartner, le réalisateur est autrichien. Son deuxième film "The Edukators" avait été projeté au Festival de Cannes en 2004 et avait reçu un accueil critique très positif. Après avoir été distribué dans le monde entier, il est devenu le film culte d’une génération et un des plus grands succès allemands de la décennie. Il réalisa ensuite "Reclaim your brain" en 2007, puis "Hut in the Woods" en 2012.
303Réalisateur : Hans WeingartnerScénaristes : Hans Weingartner et Silke Eggert Interprètes : Mala Emde et Anton SpiekerProducteurs : Hans Weingartner Production : Kahununa FilmsCoproducteurs : Rainer Kölmel, Matthias Bahr, Christine Tschanett- Weingartner, Simon Amberger, Korbinian Dufter, Rafael Parente Coproduction : Neuesuper GmbH, Starhaus Produktionen Directeur de la photographie : Mario Krause et Sebastian LempeCostume : Svenja Gassen, Renata RamiroMaquillage : Heiko Schmidt, Janina KuhlmannMusique : Michael RegnerSon : Johannes KaschekMontage : Benjamin Kaubisch, Karen Kramatschek, Sebastian LempeLieux de tournage : Allemagne, France, Espagne, Portugal A partir du 24 juillet dans les salles de cinéma