Ces derniers mois, j'ai consacré de nombreux billets à la situation économique de la France, de l'Allemagne, des États-Unis et de la zone euro. Il était grand temps que je vous propose d'aller jeter un œil sur le continent asiatique, précisément au Japon, où les politiques qui y sont menées constituent un véritable laboratoire conjuguant flexibilité et interventionnisme. Par ailleurs, malgré l'épisode caniculaire, je compte bien poursuivre mon travail d'analyse économique, mais à un rythme plus réduit durant l'été, d'autant que je serai en colloque universitaire à Lille au début du mois de juillet pour y présenter mes travaux sur la monnaie.
La croissance et la démographie en berne
La croissance a sérieusement ralenti au Japon et tangente désormais la barre du zéro :
[ Source : OCDE ]
Il est vrai que la natalité est très mal orientée au Japon depuis de nombreuses années :
[ Source : Le Monde ]
La population est vieillissante, même si les compétences de la population active sont élevées :
[ Source : IndexMundi ]
Autant d'éléments qui pèsent in fine sur la croissance potentielle du pays, d'autant que le partage des revenus se fait au détriment des salariés, comme dans la zone euro, mais à une échelle bien plus large, ce qui augmente les profits des entreprises bien au-delà du niveau nécessaire pour leurs investissements et termine sur les marchés financiers :
[ Source : Natixis ]
Pourtant, le degré de robotisation du pays est élevé comme le nombre de brevets déposés. Par ailleurs, l'industrie est de grande taille, avec un positionnement haut de gamme, tandis que les services domestiques emploient beaucoup, de sorte que le pays est proche du plein-emploi même si l'emploi à vie se réduit comme peau de chagrin et fait place aux contrats courts.
Un taux d'endettement public stratosphérique
Le graphique ci-dessous résume tout :
[ Source : OCDE ]
Pour l'instant, la dette publique japonaise,à plus de 240 % du PIB (sic !), n'est pas un problème trop grave, puisqu'elle est très largement détenue par les Japonais eux-mêmes. En effet, en simplifiant un peu, l’épargne des ménages et des entreprises se dépose dans les banques, qui l'utilisent pour acheter des obligations d'État. Cependant, cette situation est précaire, car les résidents pourraient très bien dans les prochaines années préférer des actifs étrangers bien plus rémunérateurs. Conjuguée à la détention massive d'obligations par les institutions bancaires japonaises, elle oblige la Banque centrale à maintenir désormais même le taux d’intérêt à 10 ans entre 0 et 10 points de base par accroissement de la taille de son bilan (resic !) pour éviter une crise de la dette publique et une crise bancaire :
[ Source : Natixis ]
Il faut comprendre que, comme nous l'avons vu plus haut, face à des travailleurs privés d'augmentation salariale, la demande intérieure s'est affaiblie et le gouvernement japonais n'a pu que se résigner à mener une politique budgétaire systématiquement expansionniste... d'où l'augmentation du taux d'endettement public ! Autre versant de ce partage des revenus défavorable aux salariés, les salaires n'augmentent plus et en tout état de cause l'inflation ne peut alors provenir que d'une dépréciation du yen ou de l'importation de produits étrangers plus chers. Chemin faisant, la Banque centrale du Japon n'arrive jamais à faire réellement repartir le taux d'inflation, qui de toute façon aurait un effet catastrophique comme nous l'avons vu.
Bref, tout cela ressemble fort à une usine à gaz économique ! Mais certains citent le Japon comme exemple d'application de la nouvelle théorie monétaire (MMT), qui n'est pas nouvelle mais refait surface aux États-Unis notamment dans les discours enflammés de la jeune élue de New York Alexandria Ocasio-Cortez. Pour en résumer la teneur, il serait possible de mener une politique budgétaire expansionniste pour arriver au plein-emploi, sans risque de voir les taux d’intérêt augmenter et la solvabilité budgétaire se dégrader, pour peu que les déficits publics soient financés par la création monétaire. Mais le Japon prouve au contraire que si l'inflation n'est pas revenue, c'est avant tout parce que les salariés ont payé le prix d'une telle politique économique, en voyant les salaires stagner et leur pouvoir de négociation au sein des entreprises réduit à néant.