Dans ce passage, un philosophe américain remet en cause cette croyance en montrant qu'elle fait le jeu des intolérants, des communautaristes et des adversaires du progrès :
"Aux Etats-Unis [mais en Europe aussi, comme dans le reste du monde], les idées du constructivisme de la connaissance [c'est-à-dire du relativisme, selon lequel toute affirmation est construite par un sujet selon ses intérêts du moment] sont étroitement liées à des courants progressistes comme le postcolonialisme et le multiculturalisme, parce qu'elles fournissent des armes philosophiques pour protéger les cultures opprimées contre l'accusation de défendre des croyances fausses ou injustifiées.
Mais, même d'un point de vue strictement politique [c'est-à-dire pragmatique], on a du mal à comprendre comment cet usage de la pensée constructiviste [ou relativiste] a pu paraître judicieux. Car, si les puissants ne peuvent plus critiquer les opprimés parce que les catégories épistémiques fondamentales [comme le vrai ou le juste] sont inévitablement liées à des perspectives particulières [et donc, relatives], il s'ensuit également que les opprimés ne peuvent plus critiquer les puissants. Voilà qui menace d'avoir des conséquences profondément conservatrices. Pour les éviter, il faudrait alors faire 'deux poids deux mesures' : on pourrait critiquer une théorie quand elle est soutenue par ceux qui détiennent des positions de pouvoir - le créationnisme chrétien -, mais pas quand elle est soutenue par les [supposés] dominés - le créationnisme zuni [une tribu indienne]." (Paul Boghossian, La peur du savoir, p. 162)Remarquez, ce "deux poids deux mesures", c'est exactement ce qui se passe. Le "pas d'amalgame" surdosé quand il s'agit des crimes ou des superstitions des minorités, et l'amalgame le plus généreux et le plus dépourvu de scrupule quand il s'agit des méchants (l'homme, l'Occidental, le blanc, l'intellectuel, etc.).
L'intention initiale est sans doute belle : protéger les opprimés. Mais le moyen est ruineux : on a détruit ("déconstruit") tous les moyens de nous défendre et aussi bien, de défendre lesdits opprimés. Ainsi, en l'absence des catégories du "vrai" et du "juste", les islamistes peuvent tranquillement faire valoir qu'après tout, "tout est relatif, tout se vaut, charia ou Droits de l'Homme". Les charlatans de tous poils, de même, peuvent clamer sans crainte du ridicule, que tel mythe et telle théorie scientifique, c'est juste "deux façons de voir le monde", et qu'il serait abusif de prétendre qu'une vision est plus vraie qu'une autre. On voit chaque jour les conséquences de ces croyances absurdes. La culture disparaît un peu plus chaque jours. Ca n'est pas seulement la diversité du vivant qui est en jeu, mais aussi la diversité culturelle. Et cela fait, bien sûr, le jeu des grandes puissances commerciales. Et à ce titre, je crois devoir dire que la pensée postmoderne est l'une des plus criminelle jamais engendrée.
En détruisant toutes les structures et les repères, y-compris ceux de vérité, de justice et de raison, le relativisme postmoderne est sans doute l'un des principaux dangers du XXIe siècle, au même titre que l'ultralibéralisme et l'islamisme. Je le dis et le répète depuis plus d'une décennie et, bien malheureusement, l'histoire ne semble pas prête de me démentir.Cela étant, l'idéalisme que je semble professer ("tout est conscience") n'affirme-t-il pas, lui aussi, que tout est construit ? N'est-il pas, lui aussi, un facteur d'arbitraire dans tous les domaines ?
C'est un point très important.
Ma réponse est que je ne crois pas que mon idéalisme (qui rejoint en partie ce que l'on appelle actuellement le cosmopsychisme) soit un relativisme, c'est-à-dire que je ne pense pas que l'admission de la proposition selon alquelle "tout est conscience" revienne à admettre que "tous les points de vue se valent".Certes, tout est construit, si tout est crée par un acte conscient. Cela est inévitable. Et pourtant, le relativisme ne s'ensuit pas. Pourquoi ? Parce que, si tout est bien construit, tout n'est pas construit par des individus. Ces individus construisent des descriptions des faits, les interprètent selon leurs intérêts, mais les faits eux-mêmes sont des constructions qui ne dépendent pas des individus, mais de la conscience universelle ou cosmique. Nos faits sont les constructions de la conscience universelle. Par conséquents, nos descriptions des faits, qui sont bien des constructions relatives, n'en dépendent pas moins de faits qui, eux, ne sont pas construits par les individus. La distinction entre les faits et leurs interprétations se trouve donc conservée dans le cadre de cette forme d'idéalisme. Il n’implique donc aucun relativisme.
Bien sûr, on pourrait se demander si les faits (dont l'ensemble constitue la nature, l'univers, la réalité), qui sont des constructions faites par la conscience cosmiques, ne sont pas arbitraires. Je crois qu'elles le sont, dans une certaines mesure qui reste à préciser si cela est possible. Reste que cette construction dépasse nos constructions. Il y a donc encore place, dans le cadre de cette philosophie, pour l'objectivité, l'impartialité, la vérité ou la justice.