Ceci n'est pas un énième article sur Libra, la nouvelle (crypto-)monnaie concoctée par Facebook ! En revanche, les premières réactions des « autorités » du monde entier à cette annonce « perturbante » offrent un extraordinaire aperçu de leurs priorités. Et, à ce jour, seule la Banque d'Angleterre paraît faire preuve d'un peu de discernement…
Depuis les sénateurs et représentants américains, qui convoquent les dirigeants du réseau social le 16 juillet pour s'expliquer, jusqu'au ministre français de l'économie, Bruno Le Maire, qui a fermement réagi, en passant, entre autres, par le président du Crédit Mutuel, Nicolas Théry, qui en demande plus ou moins l'interdiction immédiate, le réflexe défensif est unanime : Libra est une menace inacceptable pour les états et pour les banques, voire pour la stabilité et la prospérité économiques du monde.
Au milieu de la cacophonie de commentaires précipités, inspirés par une certaine panique, une voix légèrement différente [PDF] s'élève : celle de Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre. Oh, il ne voit pas forcément d'un très bon œil l'initiative et il appelle, comme ses collègues, à une concertation préalable afin de définir les garde-fous qui permettront de préserver la souveraineté des états en matière monétaire. Mais avant d'aborder ce point, il souligne les grands défis que Libra entend relever.
En citant, par exemple, l'impact positif potentiel du projet sur l'inclusion financière ainsi que sur la rapidité et les coûts des mouvements d'argent, notamment transfrontaliers, il reconnaît implicitement que ces sujets sont d'importance critique pour la planète. À ce titre, ils méritent certainement de rechercher des solutions, qui seront nécessairement disruptives (et donc susceptibles de déclencher l'inquiétude des acteurs historiques). Sa position est alors rationnelle : une telle révolution doit se mener avec prudence.
Ceux qui s'affolent à la perspective d'une monnaie nativement « digitale », accessible à tous, pour toutes sortes d'usages, transmissible instantanément, autorisant l'exécution de transferts sans frais (ou presque), devraient peut-être d'abord s'interroger sur sa raison d'être ! Avec Libra, Facebook et ses partenaires ne font finalement que répondre à un besoin de plus en plus criant – que les établissements traditionnels ne parviennent pas (et ne cherchent d'ailleurs pas) à adresser – de faciliter des transactions commerciales à une échelle globale, dans un environnement technologique omniprésent….
Il y a 10 ans, le lancement de bitcoin constituait une première expérimentation en vue de résoudre ce problème. Tout en le surveillant du coin de l'œil, les institutions financières ont continuellement sous-estimé ce qu'il représentait en matière d'attentes des utilisateurs. Une décennie plus tard, une nouvelle itération sur le même concept débarque soudain, avec le risque que, cette fois, l'adoption massive soit au rendez-vous, et elles persistent encore à ignorer la signification profonde de sa naissance !
Libra n'est qu'une manifestation de la nécessité incontournable de réinventer l'argent au XXIème siècle. Les banquiers qui n'y voient qu'un danger et s'empresseront de l'interdire se trompent de bataille : ils ont la responsabilité d'appréhender les besoins et de leur apporter une réponse, quitte à ce qu'elle n'émane pas directement d'eux s'ils ne savent pas la concevoir. L'attitude de la Banque d'Angleterre reflète une telle perception et elle ne peut surprendre : elle guide depuis des années son approche d'accompagnement de l'innovation et des mutations du secteur financier dans son ensemble.